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Oléo-déclic : quand huile de friture usagée rime avec énergie de proximité 

Camille Acedo

MOTS-CLÉS : HUILE ALIMENTAIRE USAGÉE (HAU), ÉCONOMIE CIRCULAIRE, ÉNERGIE RENOUVELABLE, BIODÉCHET, CIRCUITS COURTS

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Que faire de mon huile de friture usagée ? Telle est la question à laquelle sont quotidiennement confrontés les professionnels de la restauration, et à laquelle l’association marseillaise Oléo-Déclic a choisi d’apporter une réponse locale s’inscrivant dans une dynamique d’économie circulaire. Dans un contexte de développement des énergies renouvelables et d’incitation à la revalorisation des biodéchets, son action repose sur la collecte et le recyclage des huiles alimentaires usagées (HAU) dans le but de proposer un biocombustible de proximité aux collectivités territoriales et entreprises de la région. Elle vise ainsi à réduire l’empreinte environnementale des activités humaines tout en créant des emplois locaux non délocalisables.

CONTEXTE DU PROJET

Les huiles alimentaires usagées : un biodéchet à haut potentiel…

En France, chaque année, c’est entre 75 et 115 millions de litres d’huiles alimentaires usagées brutes qui sont générées par les activités de l’industrie agroalimentaire, de la restauration collective et commerciale, des grandes et moyennes surfaces ainsi que des particuliers (BIO by Deloitte, 2015). Ces HAU sont définies comme des résidus de matières grasses d’origine végétale ou animale utilisées pour l’alimentation humaine, en indus-trie agroalimentaire, en restauration collective ou commerciale (Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, 2015).

Au niveau français, les HAU proviennent de quatre sources principales, présentées sur la figure 1.

La réglementation française actuelle classe les HAU dans la catégorie des déchets non dangereux. Néanmoins, elles représentent un risque de pollution important pour l’environnement car encore trop souvent déversées dans l’évier de la cuisine. L’accumulation de graisses dans les canalisations, au contact de l’eau et du froid, finit par les boucher, entraînant des frais de maintenance très onéreux pour les collectivités. De plus, le bon fonctionnement des installations de traitement des eaux usées est également impacté, les huiles formant une pellicule à la surface de l’eau [1] qui empêche les bactéries chargées de l’épuration des eaux d’accéder à l’oxygène dont elles ont besoin.

Depuis 2016, la réglementation impose aux producteurs d’HAU de faire collecter et valoriser ces dernières à partir de 60 l/an, ce qui correspond à la production d’un restaurant d’environ cent cinquante couverts. Néanmoins, on estime que seulement 50 % sont réellement pris en charge. Une grande diversité d’acteurs intervient : des grands collecteurs (Veolia, Suez, Total, etc.), des cour-tiers, des autoentrepreneurs, des points d’apport volontaire, et environ cinquante petits collecteurs de type petites et moyennes entreprises et associations. Oléo-Déclic (OD) est l’un de ces petits collecteurs.

… mais valorisé au prix d’un impact environnemental fort

Les HAU collectées par les grands groupes sont en majorité intégrées dans la filière agrocarburants, au sein de laquelle elles sont mélangées à des huiles végétales pures puis transformées en biodiesel par procédé de transestérification. Ce biodiesel est incorporé à hauteur de 7 % dans le diesel que trouve le consommateur. Ce combustible possède donc un impact environnemental fort pour un faible rendement énergétique, de l’ordre de 30 à 40 % dans un moteur de voiture (le reste étant dissipé sous forme de chaleur).

OD propose une nouvelle utilisation pour ces HAU : les transformer en biocombustible pour des installations de chauffage. Leur rendement énergétique s’élève alors à 90 % dans le cadre de cet usage.

Par ailleurs, dans la voie classique de valorisation, les HAU sont transportées sur de longues distances entre leur point de collecte et celui de traitement, pour être transformées via un pro-cédé industriel chimique lourd.

OD se positionne au contraire sur une valorisation en circuits courts, directement sur le péri-mètre du gisement.

Quelle est l’histoire de l’association OD ?

OLÉO-DÉCLIC OU COMMENT PRODUIRE UNE ÉNERGIE RENOUVELABLE DE PROXIMITÉ À PARTIR D’HUILE USAGÉE

À l’origine de l’initiative

Fondée en 2011 par Alain Viguier à Marseille et incubée dans la couveuse d’activités InterMade, qui accompagne et héberge des porteurs de pro-jets en économie sociale et solidaire, OD démarre son activité en 2012 par le chauffage des locaux d’InterMade grâce au biocombustible produit. À partir de 2017, elle déménage pour installer une station de valorisation plus grande d’une capacité de 200 000 l/an avec un objectif de 300 000 l en 2020, sur les 2 millions de litres collectables sur le territoire de la métropole d’Aix-Marseille.

L’association emploie aujourd’hui trois salariés : Alain Vigier, directeur ; Eloïse Leclercq, chargée de gestion et de développement ; et Jocelyn Michard, chargé de collecte et de valorisation. Auparavant journaliste cameraman mais avec une préoccupation environnementale, Alain Viguier est allé se former à l’Association savoyarde pour le développement des énergies renouvelables (ASDER) à Chambéry en 2009. En réaction à l’utilisation des huiles alimentaires usagées recyclées (HAUR) comme carburant, qui ne collait pas à sa vision, il souhaitait que la valorisation des huiles soit maximale au niveau du rendement énergétique tout en restant locale. Venait également s’ajouter à sa réflexion le souhait de créer des emplois non délocalisables, prenant pour contre-modèle à nouveau le biodiesel, dans lequel une grande quantité de matières premières importées est incorporée (Cour des comptes, 2016).

Pour compléter son modèle, l’association a également développé une activité d’étude des gisements d’HAU présents dans la région, associée à une réflexion sur les modes de collecte et de recyclage. Certaines collectivités locales souhaitent en effet estimer leur ressource en huiles usagées pour déterminer ensuite l’usage du biocombustible le plus adapté à leurs besoins.

De la collecte à la valorisation : le cheminement de l’huile alimentaire usagée

En misant sur la souplesse de la collecte, OD se charge maintenant des huiles de friture usagées de près de deux cents restaurateurs marseillais chaque semaine.
Les huiles alimentaires collectées contiennent des éléments étrangers en quantité variable, dont OD cherche à se débarrasser grâce à un procédé de traitement des HAU en quatre phases, comme illustré sur la figure 2. Ce procédé simple, à la fois sobre en énergie et en chimie, permet d’obtenir un biocombustible de qualité (pauvre en eau et en impuretés).

Une fois traitées par OD, les HAUR se prêtent à deux types de débouchés :
→ une valorisation énergétique, en tant que biocombustible dans des installations de chauffage ou de production d’eau chaude sanitaire ; pour des groupes électrogènes ; pour chauffer des alambics d’huiles essentielles (Les jardins d’Esculape de Jamil Hadjaj au Causse de la Selle) ou des brassins pour une brasserie locale (La Brasserie des Suds) ;
→ une valorisation « matière », actuellement en cours de structuration : en tant qu’ingrédient servant à la réalisation des ocres de Roussillon, ou encore entrant dans la composition de détergents.

Une réflexion est également en cours sur le potentiel d’utilisation des HAUR en fonction de leurs propriétés une fois solidifiées, notamment l’effet « non gras » au toucher et la barrière imperméable créée face aux liquides.

À l’heure actuelle, l’utilisation du biocombustible fourni par OD a permis le chauffage de cinq cents personnes de la commune de Six-Fours Les Plages au cours de l’hiver 2015-2016, par l’alimentation de deux écoles primaires et d’un bâtiment des services techniques. Une expérimentation de chauffage d’un bureau de poste à Marseille sur un an est maintenant en cours, avec Atanor (société de R&D et audit/conseil dans les domaines de l’énergie, environnement et des installations thermiques) comme fournisseur de brûleur (début d’ici juin/juillet) : le succès de ce partenariat serait une vitrine importante pour la reconnaissance de l’utilisation des HAUR au niveau local, et Atanor constituerait de plus un client important pour OD, avec un besoin en biocombustible estimé à 12 000 l/an. Cette initiative n’aurait cependant pas été possible avant fin 2016 et la sortie du statut de déchet des HAU, en grande partie portée par l’association.

Un acteur majeur dans l’évolution de la réglementation française

La sortie du statut de déchet des HAU définie par l’arrêté ministériel du 24 août 2016 a marqué un tournant dans le développement de la filière de réutilisation de cette biomasse à des fins énergétiques (Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, 2015). En effet, malgré un contexte de transition énergétique encourageant l’économie circulaire autour des déchets et la production d’énergies renouvelables, le cadre réglementaire concernant les usages des huiles filtrées bloquait. OD s’est alors engagée en tant que pionnière dès 2014 dans une démarche de demande de sortie du statut de déchet (SSD) afin d’élargir les débouchés du biocombustible issu de la valorisation des HAU à des installations de combustion plus puissantes, de plus de 100 kW, comme celles équipant des bâtiments administratifs. L’association s’est notamment adjoint l’expertise du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et d’associations relevant du domaine de l’énergie et de l’environnement comme le Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarité (GERES) pour appuyer ce dossier. Suite à l’étude prospective menée, elle a aussi pu compter sur le soutien de communes souhaitant à terme utiliser les HAUR dans leurs chaudières, comme Miramas ou les Pennes-Mirabeau. Sortir les huiles alimentaires usagées d’un statut réducteur pour qu’elles soient reconnues comme un produit énergétique à part entière, à intégrer dans le mix énergétique français, était une priorité. Grâce à OD, un pas a donc été engagé vers la pérennisation de la filière, et cette initiative marseillaise va pouvoir essaimer sur le reste du territoire.

Potentiel de réplication en France

OD est membre du réseau associatif national Résoléo, composé de huit structures représentant 365 000 l d’huiles collectés en 2015 et dix emplois fixes. Celui-ci œuvre à la valorisation des HAU en circuits courts sous différentes formes. En collaboration avec des instances comme Zero Waste France, des collectivités territoriales, la Fondation de France et l’Agence de l’environne-ment et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), OD travaille à la mise en place d’une filière nationale de valorisation énergétique des HAU en circuits courts, avec des unités de recyclage ne dépassant pas 500 000/an. Cela correspond au volume d’huiles généré par une métropole d’environ 450 000 habitants comme Montpellier. L’objectif d’OD est de faire essaimer son activité sur le reste du territoire, ce qui pousse l’association à vouloir créer un cahier des charges définissant une unité de valorisation en termes de matériaux nécessaires, d’énergie utilisée, de capacité de stockage, de maximum de production, etc. Dans cette optique, toutes les études réalisées sont en accès libre sous licence Creative Commons. En région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA), un gisement potentiel de 7 millions de litres collectables a été identifié, dont 2 millions de litres par an pour la métropole d’Aix-Marseille. Selon Alain Viguier, cela laisse la possibilité de créer dix-sept unités locales de valorisation pour couvrir le territoire régional, en fonction de la densité de population. Mais quelle échelle territoriale retenir pour que cette revalorisation soit considérée comme « locale » ?

QUELLE DURABILITÉ POUR CETTE INNOVATION ?

Dimension sociale

En terme de durabilité sociale, la création d’une unité de valorisation comme celle d’OD permet d’employer au moins trois personnes à temps plein. Si l’essaimage de l’initiative réussit au niveau national, cela permettrait de créer plus de six cents emplois non délocalisables, rien qu’en considérant les personnes nécessaires au fonctionnement des unités de valorisation locales, de la collecte à la distribution des HAUR auprès des consommateurs. D’autres acteurs, comme les constructeurs de chaudières adaptées, les chauffagistes et les bénévoles de l’association, viennent s’articuler autour du projet, contribuant ainsi à renforcer le tissu social local et la diffusion de l’idée et attirant l’attention de nouveaux clients.

Du côté des restaurateurs faisant confiance à OD pour la collecte de leurs huiles de friture usagées, il règne une plus grande sérénité quant à la prise en charge des HAU. Ils bénéficient d’abord de plus de souplesse sur les quantités minimales collectées et les horaires de passage en comparai-son des grands groupes recycleurs comme Veolia. De plus, ils sont assurés de voir ce type de déchets enlevés quel que soit le cours du pétrole, car il est nécessaire de respecter la réglementation en vigueur. En effet, comme les grands groupes destinent les HAU qu’ils collectent à la filière de production de biodiesel, lorsque les prix du pétrole chutent, cette production s’avère moins rentable pour eux, entraînant une diminution de l’offre de collecte. Plusieurs petits restaurateurs dépendants de ces groupes se retrouvent alors du jour au lendemain sans solution de gestion de leurs huiles usagées.

Dimension environnementale

Les HAU représentent pourtant un risque pour l’environnement et pour les installations de traitement des eaux, même si officiellement ce sont des déchets non dangereux. La collecte des HAU permet ainsi d’éviter des rejets sauvages dans les égouts et de réduire des frais de maintenance des réseaux d’assainissement.

Certains polluants émis dans l’atmosphère (soufre, poussières) par la combustion du fioul ou du diesel sont fortement réduits voire absents dans le cas de la combustion de HAU. Il n’y a pas d’émission supplémentaire de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, grâce à la substitution d’énergies fossiles par une énergie renouvelable, issue d’un déchet de biomasse. En circuits courts, l’usage de 1 000 litres d’huiles végétales au lieu de dérivés pétroliers permet ainsi d’éviter 3,2 tonnes de CO2 (Vaitilingom, 2007).

L’étude d’impact environnemental réalisée par le bureau Ouvert en 2017 confirme ces avantages pour l’utilisation du biocombustible produit par OD. Cela implique une réduction des émissions de CO2 de 96 % par rapport au fioul et de 62 % par rapport à l’ester méthylique d’huile pure. Près de 80 % des émissions de CO2 générées par le processus de revalorisation des HAU par OD (de la collecte à la combustion) sont dues à la phase de combustion du biocombustible. Hormis cela, le bureau d’études a constaté que les transports (livraison et collecte) étaient l’activité à plus fort impact carbone, d’où la nécessité de rester à une échelle locale et d’optimiser l’impact environne-mental de chaque kilomètre lors des tournées de collecte d’HAU, en essayant de récupérer de gros volumes d’huiles.

De plus, l’électricité utilisée par l’association pour son activité est issue d’un mix d’énergies renouvelables produites localement en région PACA, grâce au fournisseur énergétique Enercoop : cela permet de réduire par six l’impact carbone de l’énergie par rapport à une fourniture classique d’électricité (Ouvert, 2017).

Dimension économique

Sur le plan économique, l’innovation d’OD s’inscrit dans le modèle de l’économie circulaire, car elle « vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien-être des individus » (ADEME, 2014). Le bassin d’approvisionnement en HAU et le bassin d’utilisation des HAUR se confondent, conservant ainsi la richesse créée sur le territoire. Le biocombustible est en effet livré au maximum à 170 km de Marseille.

Le modèle économique n’est toutefois pas encore rentable, OD tenant debout grâce à des subventions de la Région, de l’ADEME et du Département. L’association ne peut pas dégager de revenus de la collecte des HAU. En effet, celle-ci étant proposée gratuitement par les gros collecteurs, qui disposent par ailleurs d’avantages fiscaux, OD est obligée de faire de même afin de rester compétitive. Quant à la vente du biocombustible produit, elle s’effectue à hauteur de 80 cts/l pour l’achat de 1 000 litres, contre 0,6 cts/l pour le fioul. Cependant, le cours du fioul connaît beaucoup de fluctuations, alors que le prix de l’HAUR est relativement stable. Ainsi, les collectivités ou entreprises s’approvisionnant en biocombustible issu d’HAU s’affranchissent de la dépendance au cours du pétrole. Cet argument a d’ailleurs convaincu Jamil Hadjaj, distillateur d’huiles essentielles de plantes aromatiques au Causse de la Selle, près de Montpellier, de franchir le pas et d’investir dans une chaudière fonctionnant aux HAUR pour chauffer ses alambics. De plus, comme le pouvoir calorifique inférieur (PCI) est de 35 MJ / l à la fois pour les HAUR et le fioul, il n’est pas nécessaire d’acheter de plus gros volumes pour alimenter son installation. Cependant, il a fallu plus d’un an à M. Hadjaj pour trouver les réglages optimaux au fonctionnement de l’installation, ce qui amène à s’interroger sur les obstacles inhérents au développement de l’innovation d’OD.

QUELS FREINS AU DÉVELOPPEMENT D’OLÉO-DÉCLIC ?

Une filière encore peu structurée

En 2014, sur les presque 70 millions de litres d’HAU prêts à être recyclés en France, plus de 98 % ont suivi la voie classique de production de biocarburants. La transformation en biocombustible reste à l’heure actuelle une activité de niche, et l’HAUR n’a pas vocation à remplacer la totalité des 8,5 millions de tonnes de fioul domestique consommés annuellement (Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, 2017). Gilles Vaitilingom, chercheur au Cirad et spécialiste des biocarburants, se montre optimiste sur ce sujet, mais également réaliste : « Aujourd’hui, il se crée des débouchés qu’on n’imaginait pas il y a quelques années, mais cela reste pour un usage local. » De plus, à cause de la concurrence avec les dérivés du pétrole, dont le cours est proche du prix de vente des HAUR par OD, faire le choix d’un approvisionnement en biocombustible pro-duit à partir d’HAU ne s’avère pas toujours rentable. C’est une des limites qui contraindrait Jamil Hadjaj à chercher une autre source pour alimenter sa chaudière polycombustible, ou éventuelle-ment à participer à la mise en place d’une unité de revalorisation dans le Languedoc. En effet, malgré la promesse d’un prix de vente stable, il a dû faire face à une hausse non négligeable de 10 centimes d’euro en un an. Cette instabilité des prix peut notamment s’expliquer par un cadre réglementaire autour de l’usage des HAUR encore peu favorable.

Une réglementation encore en construction

Maintenant que les HAU ne sont plus considérées comme des déchets, le cheval de bataille de l’association porte sur l’obtention d’une fiscalité plus avantageuse pour les entreprises produisant du combustible à partir de biomasse végétale comme elle. En effet, à l’heure actuelle, le biocombustible issu du recyclage des HAU est taxé à la hauteur du fioul domestique, puisqu’il est censé remplacer son usage. Cela implique donc l’appli-cation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) à la vente du combustible, qui s’élève à 15,62 euros / hl en 2018, à laquelle s’ajoute une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 20 % (Ministère de la Transition écologique et solidaire, 2018). Les performances environnementales et sociales liées à la revalorisation des HAU ne sont ainsi pas prises en compte, limitant le développement de la filière. L’association est par conséquent obligée d’envoyer près de deux tiers des huiles collectées en Espagne, où elles sont transformées en biodiesel. Pour Alain Viguier, l’objectif serait de « faire entrer les huiles alimentaires recyclées dans le bouquet des énergies renouvelables, ce qui passe par une TVA réduite et le droit à une réduction d’impôts pour les particuliers par exemple ».

Une nécessaire adaptation des installations de production de chaleur

Actuellement, les installations de production de chaleur sont conçues pour fonctionner uniquement avec des combustibles fossiles comme le fioul domestique. En raison des caractéristiques physiques différentes des huiles, utiliser un biocombustible comme les HAUR demande une adaptation technique sur les installations, au niveau du brûleur, dans lequel le combustible est injecté. En effet, l’étude commanditée par OD pour appuyer la demande de SSD a mis en évidence une viscosité des HAUR à 40° C de l’ordre de dix-neuf fois supérieure à celle du fioul, ce qui les rend beaucoup plus difficiles et longues à enflammer au début. Il faut également prendre en compte les imbrûlés du combustible, qui, du fait du point éclair plus élevé pour les huiles que pour le fioul, sont beaucoup plus présents et entraînent à moyen terme des problèmes d’encrassement des chaudières. Le biocombustible doit alors être préchauffé à 70-80° C afin de diminuer sa viscosité, et un compresseur pour faibles pressions doit permettre d’assurer une bonne pulvérisation du biocombustible (Energira, 2015).

L’association travaille actuellement en partenariat avec Atanor à la fabrication et à la démocratisation de brûleurs multicombustibles, car adapter une installation pour un fonctionnement aux HAUR présente un certain surcoût. En effet, un brûleur classique pour une utilisation au fioul domestique coûte environ 700 à 800 €, contre plus de 2 000 € pour un brûleur polycombustible neuf, sans compter l’étude de faisabilité, la pose et l’entretien. Ce détail technique mais aussi financier peut constituer un potentiel frein pour les clients qui ne souhaiteraient pas faire d’investissement supplémentaire lors du changement de combustible.

Vers une collecte des particuliers ?

Il n’existe aujourd’hui aucune solution de recyclage nationale pour les HAU des particuliers, alors même que le gisement d’huiles provenant des cuisines de beaucoup de français représente presque 40 % de la ressource française. On estime que seulement 5 % est actuellement collecté, le reste étant jeté avec les ordures ménagères ou partant dans le réseau d’assainissement des eaux usées. Au regard des contraintes logistiques qu’une collecte individuelle semble poser, les points d’apport volontaires en déchèterie semblent être la meilleure solution pour les faibles quantités produites par chaque foyer, sous réserve d’une implication forte des collectivités dans cette problématique de gestion des biodéchets. OD a récemment été contactée par un bailleur social fortement intéressé par son initiative et souhaitant tester la mise en place d’une collecte des HAU produites par les habitants de cent cinquante logements, dans une optique de sensibilisation des citoyens au recyclage de tout type de déchets. Une initiative locale dont pourrait s’inspirer l’agglomération d’Aix-Marseille est celle développée par la communauté de communes du Grand Chambéry, associée au collecteur de déchets Trialp. En 2017, suite au besoin d’assainissement du réseau de canalisations et de la station d’épuration de la métropole, la Baraque à huile a été créée. Cette entreprise met gratuitement à disposition des citoyens de la région des « Olibox » vides de 3,5 l, à rapporter pleines aux points d’apport volontaire en déchèteries. Cependant, à la différence d’OD qui prône une valorisation en installations de production de chaleur afin d’avoir un rende-ment optimal, l’entreprise savoyarde mise sur-tout sur un débouché de biocarburant pour l’huile usagée récupérée, n’achevant pas complètement la démarche de durabilité et de réinjection de richesse dans l’économie locale. Cette collecte des particuliers pourrait aller plus loin et s’étendre à d’autres biodéchets, comme le marc de café, qui seraient centralisés dans un même espace avant d’être revalorisés en biocombustibles ou même en compost, à destination des habitants du territoire fournissant ces déchets par exemple.

CONCLUSION

En réponse aux enjeux actuels de transition énergétique, de valorisation des déchets et de développement des circuits courts, Oléo-Déclic apporte une solution innovante à la problématique du traitement des huiles alimentaires usagées issues de la restauration via la création d’une filière locale de collecte et réutilisation. Ce type d’initiative prendrait tout son sens sur des territoires insulaires, où une revalorisation locale des biodéchets serait plus cohérente avec l’idée d’autonomie énergétique. Néanmoins, il reste un long chemin à parcourir avant de pérenniser cette démarche dans une logique de durabilité. Cette pérennisation exigerait notamment d’assouplir le cadre réglementaire lié à l’utilisation des huiles recyclées, d’impliquer les pouvoirs politiques dans la gestion de ce déchet, et surtout de trouver suffisamment de débouchés locaux au biocombustible pour assurer la rentabilité du modèle et envisager sa diffusion sur d’autres territoires.

Auteur : Camille Acedo


[1La densité des HAU à 15° C est estimée à 923 kg / m3, valeur intermédiaire entre la densité de l’eau et celle de l’huile pure.