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Et si on valorisait l’urine en agriculture ? 

Clémentine Camara

MOTS-CLÉS : URINE, VALORISATION, ASSAINISSEMENT, NUTRIMENTS, FERTILISATION

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Le recyclage, et par conséquence le tri des déchets solides – pour en faire de nouvelles ressources – est aujourd’hui entré dans les mœurs françaises. Il en est tout autrement pour nos déchets liquides, qui sont centralisés dans des stations d’épuration afin d’être traités sans différenciation. L’urine, même si elle ne représente que 1 % du volume total des eaux usées, mérite un regain d’attention du fait qu’elle concentre 66 % de l’azote et 50 % du phosphore éliminés au total par les stations d’épuration (Caby, 2013). Valoriser ces nutriments pourrait engendrer un changement de paradigme complet dans nos visions et comportements face à nos déchets les plus intimes.

POURQUOI VALORISER L’URINE ?

L’urine, source de nutriments

Nous rejetons entre 1 000 et 1 400 g de déjection par jour et par personne, à 90 % sous forme d’urine. L’urine est composée de 95 % d’eau, quelques 2 % d’urée et de nutriments (Caby, 2013). Environ 85 % de l’azote (N) et du potas-sium (K) ainsi que 65 % du phosphore (P) du total des nutriments excrétés se trouvent dans l’urine [Figure 1]. Ces données diffèrent d’une personne et d’une région à l’autre, suivant la quantité d’eau bue et le régime alimentaire (Richert et al., 2011).

Rupture des cycles biogéochimiques

Malgré sa richesse, l’urine n’est plus valorisée en France actuellement, ce qui participe à la rupture des cycles biogéochimiques (Pellerin et Martinez, 2015) alors qu’autrefois, pas plus tard qu’au XIXe siècle, nos déjections étaient logiquement intégrées dans un cycle de retour à la terre (Actu-Environnement, 2018).

Avant 1894, les déjections humaines étaient récupérées dans les fosses d’aisance et séchées à l’air libre pour produire un engrais, la poudrette. Mais ce procédé générait de mauvaises odeurs du fait de la volatilisation de l’ammoniac et ainsi 90 % de l’azote était perdu. Les toilettes à chasse d’eau sont alors apparues dans l’idée de valoriser les eaux par épandage sur les surfaces agricoles, ce qui eut pour effet de diminuer les pertes azotées.

Mais cette valorisation qui permettait de boucler les cycles biogéochimiques fut abandonnée avec l’apparition des engrais chimiques, bien plus performants et pratiques à l’usage. Les eaux de toilettes étaient alors déversées dans les rivières sans traitement. En 1940, les toilettes ont été raccordées au tout-à-l’égout et les stations d’épuration ont été créées pour améliorer la qualité des eaux rejetées (Esculier, 2018).

Aujourd’hui, nos déjections sont donc mélangées à l’ensemble des eaux usées. Le système d’assainissement conventionnel permet de collecter et de charrier ces eaux usées vers les stations d’épuration où elles sont traitées. Après séparation de la phase solide et de la phase liquide, la première – les boues – est valorisée en agriculture ou éliminée par incinération tandis que la seconde est purifiée par divers procédés biologiques pour être rejetée dans les cours d’eau (Actu-Environnement, 2018). L’ONU a cependant chiffré à 80 % la quantité d’eaux usées mondiales issues des activités humaines rejetées sans traitement (ONU, 2017).

Ces pratiques, souvent imparfaites, ne sont pas sans conséquences sur les écosystèmes, la santé humaine et l’état des ressources.

Des nutriments éliminés pourtant utiles en agriculture

L’urine contient les principaux nutriments nécessaires à la croissance des plantes (N, P, K) et dans de bonnes proportions ; le potassium et le phosphore contenus dans l’urine ont en outre l’avantage d’être directement assimilables par les organismes (Richert et al., 2011). Il a été démontré que la fertilisation à base d’urine humaine donne des rendements équivalents à ceux obtenus avec des engrais de synthèse (Etter et al., 2015). Le processus de fabrication de ces derniers est par ailleurs extrêmement énergivore et consommateur de ressources non renouvelables, comme les gisements de phosphore (Caby, 2013). L’urine est traitée en station d’épuration pour éliminer les nutriments qu’elle contient afin de rendre au milieu naturel une eau non polluée.

Autant d’énergie est dépensée pour fabriquer une tonne d’azote réactif en usine (fabrication des engrais de synthèse) que pour dénitrifier la même quantité dans les stations d’épuration (élimination de l’azote par évaporation) [Salon, 2017]. Ne sommes-nous pas face à un paradoxe ?

Une pression sur la ressource en eau qui s’intensifie

Bien que nécessaires en agriculture, l’azote et le phosphore constituent des polluants s’ils sont rejetés dans les cours d’eau, où ils peuvent causer une eutrophisation des milieux. Malheureusement, ces rejets s’accentuent avec l’industrialisation de l’agriculture d’une part (diminution des capacités de rétention des sols, surproduction de lisier en élevage intensif, augmentation du ruissellement et de la lixiviation, etc.) et le double phénomène de croissance démographique et d’urbanisation d’autre part. Ce dernier enjeu questionne les capacités des stations d’épuration à absorber l’augmentation des effluents à traiter (Caby, 2013).

En plus de mettre en danger les écosystèmes aquatiques et la qualité sanitaire des eaux, un système d’assainissement conventionnel utilise environ 20 % de l’eau potable consommée par les ménages pour charrier les déjections (Salon, 2017) : une aberration dans un contexte mondial de raréfaction de l’eau de qualité.

Si le traitement des eaux usées répond encore à une logique de dépollution, nous arguons ici qu’il pourrait être intéressant de changer de paradigme pour aller vers une logique de valorisation des ressources contenues dans les déchets. On pressent que l’extraction de l’urine du système d’assainissement conventionnel et sa valorisation en tant que fertilisant agricole permettraient de réduire la pression sur les ressources naturelles (eau, gisements) tout en diminuant la quantité d’énergie globale consommée. De plus, une telle démarche pourrait réintroduire de la durabilité dans nos systèmes alimentaires. Mais comment et sous quelle(s) forme(s) l’urine peut-elle être valorisée ?

COMMENT VALORISER L’URINE ?

Considérer les déchets comme des ressources pour boucler les cycles des matières et ainsi limiter les pollutions est au cœur des principes de l’assainissement écologique. Ce système repose sur la gestion différenciée des eaux usées afin d’en valoriser au mieux les éléments et ce avec un faible bilan énergétique (Actu-Environnement, 2018).

Collecte primaire de l’urine

La majorité des pathogènes se trouvent dans les fèces ; ceux retrouvés dans les urines proviennent le plus souvent d’une contamination croisée, puisque les urines sont stériles dans un corps en bonne santé (OMS, 2012).

Séparer les urines des matières fécales à la source est donc une étape cruciale : l’urine pourra subir plus efficacement un traitement spécifique pour récupérer les nutriments qu’elle contient. Les fèces peuvent quant à elles être récupérées dans une cuve séparée où elles sècheront plus rapidement (ce qui permet d’accélérer l’inactivation des pathogènes) et seront valorisées en compost, ou aller dans le système d’évacuation conventionnel.

Dans le monde, les technologies de séparation peuvent prendre des formes variées, allant de la simple cabine avec deux trous percés à même le sol, à la toilette occidentale à trône raccordée au réseau d’assainissement [Figure 2].

Une fois récoltée, il s’agit de s’assurer de l’innocuité effective de l’urine, afin de pouvoir l’utiliser en tant qu’engrais. L’innocuité va reposer sur deux aspects : la maîtrise du risque sanitaire lié aux pathogènes, et la réduction des produits pharmaceutiques que l’urine contient encore à ce stade.

En effet, 70 % des produits pharmaceutiques consommés sont excrétés dans les urines (Larsen et Lienert, 2007). Plusieurs voies de traitement de l’urine existent.

Hygiénisation par simple stockage

Le stockage en récipient fermé constitue le premier traitement de l’urine. Cette technique, appelée hygiénisation, est considérée par l’OMS comme un traitement efficace et suffisant si elle est appliquée correctement au sein d’une approche de
barrières multiples (Richert et al., 2011) [Figure 3].

L’hygiénisation repose sur la présence d’ammoniac (NH3) dans l’urine, un biocide dont la concentration augmente avec le temps si l’urine n’est pas diluée. La durée de la période de stockage est cruciale : il est considéré que 6 mois suffisent à éliminer la quasi totalité des pathogènes qui seraient encore présents suite à l’étape de séparation des fèces. Par précaution, l’utilisateur de l’urine ainsi hygiénisée doit ensuite se protéger lors de l’application au champ. Des équipements de protection type gants et lunettes ainsi que l’épandage au plus près du sol et un enfouissement immédiat (ce qui permet aussi de limiter la perte d’éléments volatiles) sont conseillés.

Appliquer l’urine sur des cultures destinées à être transformées et respecter un temps de latence entre l’application et la récolte pourraient finir d’assurer l’innocuité de l’urine en tant que fertilisant pour les consommateurs.

Il est en outre à signaler que, contrairement à l’eau dans laquelle l’urine se retrouve actuellement, le sol est une matrice complexe (c’est-à-dire dans laquelle de nombreux processus de transformation sont à l’œuvre) qui constitue donc à lui seul un dernier traitement efficace contre les pathogènes, et certainement aussi contre les résidus médicamenteux, bien que cela reste à démontrer (OMS, 2012).

Si l’on se place du point de vue d’un acteur cherchant à commercialiser un engrais homo-gène, stable dans le temps et peu volumineux, la seule technique d’hygiénisation n’est pas adaptée. Des chercheurs développent donc d’autres techniques pour récupérer les nutriments utiles de l’urine sous forme condensée. Le projet VUNA de l’Eawag, Institut suisse de recherche sur l’eau, nous apporte les enseignements les plus récents (Etter et al., 2015), résumés ci-après.

Production de struvite

La précipitation de l’urine par l’adjonction de magnésium permet de récupérer 93 % du phosphore et 4 % de l’azote de l’urine sous forme de cristaux solides, appelés struvite. Ce procédé peut être effectué manuellement (peu efficient) ou automatisé. Cependant, seul le phosphore est finalement réellement valorisé par cette méthode. Et quid des réserves mondiales de magnésium et du coût environnemental de sa fabrication ?

Nitrification / distillation

Le couplage nitrification, pour stabiliser l’azote (oxydation de l’ammonium NH4+ en nitrate NO3-), et distillation, pour concentrer la quasi totalité des nutriments dans un faible volume, semble être la méthode la plus prometteuse. 99 % de l’azote sont alors récupérés, ainsi que 100 % des autres nutriments comme P et K, dans seulement 3 % du volume initial. L’eau récupérée lors de la distillation, contenant des résidus d’ammonium, pourrait de plus être réutilisée en étant réinjectée dans le système pour charrier les fèces ou en eau d’irrigation pour l’agriculture.

Ce procédé est cependant encore expérimental : très sensible aux variations (de pH par exemple, causant une accumulation dangereuse de nitrite NO2-), il nécessite de fortes compétences et un contrôle soutenu encore à l’étude.

LES INNOVATIONS D’ECOSEC

En Europe, on connaît surtout les projets VUNA (et son prédécesseur Novaquatis) de l’Eawag. Les travaux du Stockholm Environment Institute (SEI) à travers le réseau international EcoSanRes (Ecological Sanitation Research) qu’il dirige se distinguent aussi.

Ecosec, une société coopérative et participative montpelliéraine créée en avril 2015 par Benjamin Clouet et Bernard Caille, est un des premiers acteurs économiques français à s’emparer de la question de la valorisation agronomique de l’urine humaine en dehors du seul monde de la recherche. Le partenariat entre l’Établissement public d’aménagement Paris-Saclay, l’École des Ponts ParisTech et le laboratoire Eau, Environnement et Systèmes urbains constitue un autre exemple français, qui ne sera pas étudié ici, de la réflexion sur l’évolution du système d’assainissement conventionnel (Maysonnave et al., 2016).

Les toilettes à séparation d’Ecosec

Ecosec propose des toilettes publiques sèches séparatives. Ce « nouveau mobilier urbain […] symbole de la transition agroécologique » (Ecosec, 2018) utilise le système Ecomodeo [Figure 4], qui fonctionne sans eau ni sciure : un tapis roulant incliné vers l’avant permet de récupérer l’urine par gravitation tandis que les matières fécales sont entraînées dans une cuve séparée à l’arrière grâce à une pédale à pied (processus parfois automatisé grâce à l’énergie de panneaux solaires). Un système de flux d’air forcé permet de réduire drastiquement les mauvaises odeurs.En traitant les déjections de manière distincte, les toilettes d’Ecosec permettent donc de récupérer l’urine d’un côté et d’accélérer le processus de déshydration des fèces de l’autre. Ces dernières sont collectées et transportées régulièrement sur une plateforme de compostage pour servir d’engrais. La préservation de la ressource en eau, inutile pour faire fonctionner les toilettes, est un atout majeur.

La plus-value d’Ecosec se situe également dans le design de leurs cabines, moderne et utilisant des technologies peu consommatrices d’énergie [Figure 5].

La valorisation agronomique chez Ecosec

Ecosec souhaite adapter le processus de nitrification/distillation de l’Eawag cité au-dessus en partenariat avec l’ONG allemande SNG : ensemble, ils développent un réacteur mobile qui transformerait l’urine en fertilisant directement dans les cabines dans un but de sensibilisation des utilisateurs des cabines (Ecosec, 2018).

Autres partenariats majeurs et innovants, l’équipe d’Ecosec s’est associée à Bruno Molle de l’Irstea, centre de recherche à Montpellier, et plus récemment à Bruno Lebreton, viticulteur au domaine de la Jasse. Dans un premier temps, des essais sur des parcelles expérimentales d’épi-nards et de pâturins des prés ont été menés pour constater l’effet fertilisant de l’urine à différentes concentrations. La viabilité de la ferti-irrigation (apport d’engrais liquide par un système de goutte-à-goutte) a aussi été étudiée. Il existe en effet un risque de colmatage des tuyaux d’irrigation par la struvite, issue de l’hydrolyse naturelle de l’urée. L’étude a montré que le risque n’était pas préoccupant, l’urine n’étant pas continuellement distribuée et l’eau d’irrigation nettoyant les tuyaux entre deux applications.

En 2018, les expérimentations ci-dessus vont être testées en plein champ, sur des par-celles de vigne (projet Valurine) et une réflexion plus globale sera structurée autour d’un projet d’écoquartier à Marseille.

POURQUOI L’URINE N’EST-ELLE PAS PLUS VALORISÉE ?

La valorisation agronomique de l’urine humaine suscite un engouement mondial croissant. Pourtant, on remarque que les projets sont toujours au stade expérimental et que les innovations (technologies de séparation à la source et techniques de collecte et de traitement), bien que datant des années 1990, peinent à se démocratiser.

Des problèmes techniques contraignants

Le colmatage des tuyaux par la struvite est le problème majeur encore non résolu à ce jour. Ceci pose de nombreuses complications pour la maintenance des toilettes pour lesquelles les tuyaux d’évacuation doivent être régulièrement changés, faute de pouvoir les nettoyer (Larsen et al., 2009). Les techniques de nettoyage des toilettes à séparation sont en cours de réflexion.

Le transport est aussi un enjeu capital, car stocker et déplacer de grands volumes est onéreux et nécessite une logistique complexe.

Les processus de transformation de l’urine en engrais sont quant à eux pour le moment instables et/ou peu efficients.

Il subsiste enfin une inquiétude liée à la présence de pathogènes et surtout de résidus médicamenteux. En effet, les temps de stockage associés aux traitements complexes sont souvent trop courts pour éliminer tous les pathogènes : si la distillation permet d’en venir à bout du fait de la haute température, il subsiste un risque de sur-vie dans la struvite si le processus n’est pas associé à une technique de séchage. La question des résidus médicamenteux pose encore problème dans les deux cas car aucun protocole n’existe à ce jour pour suivre leur dégradation du fait de leurs quantités infinitésimales (Molle, 2018).

Des solutions peu opérationnelles à grande échelle

Que ce soit du côté technique ou organisationnel, les solutions complexes de traitement de l’urine à grande échelle sont encore au stade expérimental. Anecdotiques, les quelques applications qui ont été évoquées se situent à l’échelle d’un bâtiment ou d’un groupe d’habitations tout au plus (au maximum sept cents toilettes à diversion) [Etter et al., 2015]. Seule la technique d’hygiénisation par simple stockage est assez répandue dans les pays du Sud et dans certains pays d’Europe, principalement lorsque peu de toilettes à chasse existent et/ou qu’elles ne sont pas raccordées à un système d’assainissement (cas de la Suède) [Caby, 2013 ; Richert et al., 2011].

Le changement d’échelle pour une diffusion de plus grande ampleur est donc encore à l’étude. L’Eawag est de nouveau l’institut qui apporte le plus d’enseignements sur le sujet. Le projet Novaquatis a étudié la faisabilité d’une diffusion des toilettes à séparation de 2000 à 2006 principalement en Suisse (Larsen et Lienert, 2007), puis le projet VUNA s’est concentré sur les différentes techniques de traitement et d’organisation du réseau de collecte en Afrique du Sud de 2010 à 2015 (Etter et al., 2015). L’acceptation sociale est toujours un fil directeur des études. On retiendra que les chercheurs sont optimistes quant au potentiel d’optimisation du réseau de collecte mais préconisent tout de même une approche décentralisée. Ils sont par ailleurs confiants sur la réduction des coûts d’unités de traitement locales : le progrès technologique ainsi que la production en masse de telles unités devraient les rendre économique-ment accessibles à l’échelle d’un bâtiment ou d’un groupement d’habitations. Cependant, les activités de production et de commercialisation d’engrais à base d’urine ne seraient pas économiquement rentables.Enfin, l’innovation se heurte à l’inertie des institutions actuelles. Par exemple, il semblerait plus probable de pouvoir mettre en place un tel système dans les zones qui ne sont pas équipées de système d’assainissement conventionnel ou dans de nouvelles constructions (Maysonnave et al., 2016) mais encore faudrait-il avoir le support des promoteurs immobiliers et de la population.

Il n’existe évidemment pas une seule solution mondiale qui puisse résoudre définitivement ces problèmes techniques et organisationnels et plusieurs pistes d’amélioration sont à l’étude. Chaque territoire doit composer en fonction de sa densité démographique et des ressources dont il dispose. Par exemple, des unités de traitement sur site seraient plus adaptées pour les espaces urbains denses (Larsen et al., 2009) tan-dis qu’il serait plus pertinent pour les espaces ruraux peu denses de centraliser le traitement en association avec un réseau de collecte optimisé (Etter et al., 2015).

Un atout environnemental incontestable

Toutes les études s’accordent à dire que la séparation des urines à la source représente un atout environnemental majeur comparé à leur traite-ment en station d’épuration, souvent imparfait, voire inexistant dans certains pays. Cependant, il serait judicieux d’entreprendre une étude com-parée plus poussée, de type analyse de cycle de vie (ACV), pour prendre en compte l’ensemble des coûts. Cela permettrait notamment d’améliorer les dispositifs en ciblant les étapes les plus polluantes tout en prenant garde à ne pas transférer cette pollution sur une autre étape (éco-conception). Certaines ACV ont déjà été tentées (Ishii et Boyer, 2015) mais elles sont partielles et aucune ne semble s’être encore intéressée à la récupération complète des nutriments.

L’acceptabilité sociale : frein ou levier ?

L’innovation des toilettes à séparation fonctionnant sans eau se heurte à des préjugés freinant sa démocratisation. Les mauvaises odeurs et la peur d’un moindre confort (Larsen et al., 2009) sont les deux difficultés majeures. En Europe, seulement 50 % de la population serait prête à aménager dans un logement personnel équipé de telles toilettes. L’acceptation augmente en milieu professionnel et urbain pour atteindre 80 % (Caby, 2013). En Afrique du Sud, les toilettes à diversion qui n’utilisent pas d’eau sont considérées comme des solutions temporaires avant la construction d’un système « normal », c’est-à-dire avec chasse d’eau (Etter et al., 2015).

Cependant, on remarque que l’acceptabilité sociale envers les toilettes séparatives augmente nettement après explication des risques sur l’environnement liés au système d’assainissement conventionnel (sur la qualité et la quantité d’eau surtout) [Etter et al., 2015]. Les programmes de sensibilisation et d’apprentissage (sans une bonne utilisation le système risquerait de mal fonctionner) semblent donc primordiaux pour une intégration réussie des toilettes séparatives et de la valorisation des nutriments dans les esprits et les ménages. Il a aussi été évoqué que des personnes clés comme les chefs des gouvernements devraient montrer l’exemple (Etter et al., 2015).

Dans une autre perspective, des mesures publiques comme une taxe sur l’eau par exemple, où le coût réel de l’eau serait payé, pourraient accélérer la diffusion de ces innovations puisque l’assainissement représente environ 50 % de la facture d’eau des ménages.

Un vide juridique

Globalement, il existe un vide juridique mondial : aucun texte législatif ne vise précisément la réutilisation de l’urine humaine en agriculture (OMS, 2012 ; Larsen et Lienert, 2007). Les « directives OMS pour l’utilisation sans risque des eaux usées, des excréta et des eaux ménagères » sont néanmoins reconnues et applicables, ce qui constitue une première base d’action commune. Pour aller plus loin, en France notamment, il faudrait déterminer la nature du produit : est-ce un déchet ou une matière fertilisante ? Suivant l’un ou l’autre cas, les normes à considérer ne sont effective-ment pas les mêmes (Portal, 2018). La Suède fait partie des pays les plus avancés sur ces questions. Son Code de l’environnement fait la promotion du recyclage des nutriments pour entretenir des cycles naturels. Par ailleurs, l’OMS préconise une approche locale de l’assainissement, dans laquelle les collectivités seraient des acteurs clés dans la diffusion de l’innovation, ainsi qu’une approche holistique, dans laquelle la coopération entre services de santé publique, environnement, agriculture, développement rural, etc., serait encouragée.

HYBRIDATION D’ALTERNATIVES ET COOPÉRATION MULTI-ACTEURS, LE FUTUR SCHÉMA ORGANISATIONNEL ?

Selon l’auteure, la séparation de l’urine à la source représente une alternative complémentaire au système d’assainissement conventionnel, qui devrait être pilotée par les autorités locales dans un but d’allègement des stations d’épuration. La valorisation de nos urines en engrais serait donc un service public et non une solution commerciale. L’amélioration de la qualité de l’eau serait l’externalité première et la vente d’engrais, coproduit du processus, viendrait alléger les coûts du système.

De plus, l’emploi d’engrais à base d’urine représente une solution pour remplacer une partie des engrais de synthèse. Et l’autre partie est-elle vrai-ment nécessaire ? Les efforts dans le sens du raisonnement de la fertilisation pour une meilleure adéquation des apports aux besoins doivent être encouragés mais ils ne sont pas suffisants. La diminution des apports pourrait être encore plus grande si elle va de pair avec la promotion des pratiques agroécologiques telles que l’intégration culture / élevage, les associations et rotations de cultures, la réintroduction des légumineuses, etc. (Pellerin et Martinez, 2015).

Dans un système de pensée plus holistique, la priorité pourrait en effet être donnée à la coexistence d’une pluralité de solutions.

De même, les innovations liées à la séparation de l’urine à la source et la valorisation agronomique de cette dernière font appel à une pluralité d’acteurs : utilisateurs des toilettes, constructeurs, promoteurs immobiliers, autorités locales, chercheurs, utilisateurs de l’engrais, consommateurs des produits fertilisés à l’urine humaine… Une logistique complexe à mettre en place.

L’information des utilisateurs et des mangeurs, la disponibilité des technologies et matériaux mais aussi l’évolution de la législation sont donc primordiales à ce jour pour une diffusion de plus grande ampleur des innovations présentées dans cet article.

CONCLUSION

Les alternatives au système d’assainissement conventionnel comme la séparation de l’urine à la source ont le potentiel de limiter la pollution des cours d’eau par les nutriments, notamment par l’azote et le phosphore. Valoriser les nutriments contenus dans l’urine pourrait en outre permettre de remplacer au moins en partie les engrais de synthèse, dont la fabrication est énergivore et consommatrice de ressources non renouvelables. En respectant le concept de barrières multiples de l’OMS afin d’assurer l’innocuité de l’urine humaine en tant que fertilisant, les cycles biogéochimiques pourraient être rebouclés. Avec un niveau d’information suffisant, les consommateurs seraient alors reconnectés à leurs systèmes alimentaires. Mais malgré ces avantages, le changement de paradigme semble assez radical et son adoption est encore anecdotique. La valorisation agronomique de l’urine humaine pourrait cependant trouver bon entendeur grâce à la vague de prise de conscience sociale et écologique de la société civile que l’on connaît actuellement.

Auteur : Clémentine Camara