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La filière du chanvre alimentaire en France : le cas de Nunti-Sunya 

Milena Doucet

MOTS-CLÉS : CHANVRE, FILIÈRE, DÉBOUCHÉ, GRAINE, PRODUCTEUR

Le cannabis est l’une des plus anciennes plantes domestiquées par les humains, dont les plus anciennes traces proviennent de Chine. Cette plante est aujourd’hui populaire pour son usage récréatif lié au tétra-hydro-cannabinol (THC) qui engendre des effets psychotropes. Cette molécule est un cannabinoïde. Il existe plusieurs dizaines d’autres cannabinoïdes dans la fleur qui, eux, n’ont aucun effet psychoactif, comme par exemple le cannabidiol (CBD). Actuellement, on distingue la plante à usage récréatif, le cannabis, de la plante à des fins industrielles, le chanvre.

Dans les années 1830, la France atteignait son pic de production de cannabis avec 176 000 ha de plantation. Les graines de la plante, très nutritives, étaient consommées et utilisées pour fabriquer une bière à l’époque. Sa fibre était employée pour les cordages et les voiles des bateaux, et sa fleur était utilisée à des fins médicinales et spirituelles. Plus récemment, les treillis militaires ont été confectionnés en fibre de cannabis pour ses propriétés thermorégulatrices et sa solidité. Au XXe siècle, Opel confectionna une voiture roulant à l’huile de cannabis, qui possédait d’excellentes propriétés de combustion. Malgré toutes ces applications historiques ou innovantes, les lobbies de la pétrochimie ont réussi à instaurer une taxe américaine sur cette culture, profitant de la montée de la consommation du cannabis récréatif, pour peu à peu éliminer le cannabis et le substituer par des nouvelles matières synthétiques moins chères et plus compétitives. Le cannabis est donc peu à peu remplacé par le nylon et le coton, et sa culture en France baisse pour atteindre seulement 700 ha en 1960 (Callaway, 2004). Il a fallu attendre les années 1960 pour que l’Inrae développe une variété dépourvue de la molécule psychotrope, et communément appelée « chanvre ». Depuis les années 1990, cette plante se développe sur le territoire de façon constante, et en 2017 la France devient le premier pays producteur de chanvre en Europe avec 16 000 ha cultivés. Néanmoins, la surface de production a été divisée par dix par rapport au XIXe siècle (Interchanvre, 2018).

Dans un contexte d’évolution de la société et face aux changements climatiques, les producteurs français cherchent à diversifier leurs cultures et à augmenter leur autonomie en termes de fertilisation des sols. Leurs ventes ne leur permettent pas toujours de rentabiliser leur activité et la dépendance aux produits phytosanitaires et engrais chimique représente des dépenses non négligeables. Actuellement, certains producteurs se penchent sur des plantes capables de renouveler leurs sols, de leur apporter un revenu supplémentaire, et de nombreuses initiatives montrent l’intérêt des citoyens pour relocaliser les productions agricoles afin de nourrir les territoires environnants. Le chanvre apparaît comme une réponse possible à ces problématiques. De nombreux projets ont émergé afin de réintroduire cette plantation dans des exploitations, avec comme débouchés la construction et le textile. Ces filières se sont peu à peu structurées pour devenir aujourd’hui robustes. Dans cette même logique, d’autres porteurs de projet ont envisagé de remettre en place une filière destinée à l’alimentation humaine, afin de venir complémenter les autres actions entreprises. On peut ainsi se demander si le débouché alimentaire du chanvre est innovant et s’il renforce la durabilité de la filière globale.

UNE PLANTE VERTUEUSE

Propriétés agronomiques de la plante

Le chanvre, de son nom latin Cannabis Sativa L., appartient à la famille des Cannabaceae. C’est une plante dioïque, c’est-à-dire qu’il existe des pieds mâles et des pieds femelles. Sa culture annuelle de printemps croit à une vitesse élevée. En effet, le chanvre ne nécessite que trois à cinq mois de culture avant d’être récolté entre fin août et début octobre. Sa production génère beaucoup de biomasse, ce qui lui permet de stocker du CO2 (1 ha stocke 15 t de CO2) (Interchanvre, 2020).
C’est une excellente tête de rotation en agriculture, notamment avant une céréale, car il possède des racines pivotantes et profondes qui améliorent la structure des sols et laissent une terre meuble, ce qui permet de limiter le labour en pro-fondeur. À cela s’ajoute une fertilisation des sols pour la culture suivante grâce à ses feuilles. Le chanvre est dit nettoyant car ses racines et sa couverture sur le sol, entre autres, étouffent les adventices (Civam du Gard, 2018).

De plus, les producteurs peuvent facilement mener leur culture en bio car aucun produit phytosanitaire n’est nécessaire grâce aux propriétés couvrantes de la plante, qui diminuent fortement la compétition avec les mauvaises herbes. Les fertilisants ne sont également pas nécessaires, car les besoins en azote de la plante sont faibles. Si le sol ne contient pas assez d’azote, un apport d’engrais organique tel que du fumier peut naturellement pallier les carences de la parcelle. Le besoin en eau du chanvre est modéré, et selon la localisation, son irrigation n’est pas indispensable. Le semi et la récolte constituent donc les deux seuls travaux conséquents pour l’agriculteur (Civam du Gard, 2018). Ces différents avantages font du chanvre une option pour diversifier les plantations, en plus des légumineuses.

Point sur la législation

En France et en Europe, cette production est soumise à une vigilance assez élevée. Dans le cannabis à usage récréatif, la teneur en THC est généralement comprise entre 6 et 15 % du poids des fleurs. En effet, la molécule psychoactive des Cannabaceae est essentiellement présente dans ces dernières. Concernant le chanvre industriel, la teneur en THC est règlementée à 0,2 % depuis 2000. Cette teneur très basse n’induit pas d’effet, même si le chanvre est ingéré en grande quantité (Interchanvre, 2020). Les teneurs en autres cannabinoïdes ne sont quant à elles pas règlementées car elles n’engendrent pas d’effet psychotrope.

Les variétés et les semences utilisées pour la culture doivent être certifiées et les producteurs doivent se fournir auprès d’un fournisseur agréé, une règle spécifique à cette plante. En France, il s’agit de Hemp It, anciennement la coopérative centrale des producteurs de semences de chanvre. Il est également interdit de resemer ses propres graines à cause d’une possible dérive génétique qui engendrerait des taux en THC supérieurs à la règlementation. L’identification cadastrale et l’étiquette des semences doivent être envoyées lors de la déclaration dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) des agriculteurs.

Les débouchés de la filière en France

Les débouchés de cette filière se répartissent en fonction de la partie de la plante qui est utilisée. On peut transformer la graine appelée chènevis, la fleur, et la partie rigide de la tige appelée chènevotte (Tableau 1). Cette plante est souvent qualifiée de championne de l’économie circulaire grâce à ses avantages agronomiques mais aussi car tous les co-produits peuvent être valorisés.

Les matériaux d’isolation et de construction, suivis par le paillage, sont les débouchés les plus ancrés dans le territoire français, avec six chanvrières implantées dans la moitié nord regroupant plus de cent vingt salariés. Ces usines réalisent la première transformation de la fibre et de la chènevotte, c’est-à-dire de la tige en général, pour fabriquer du béton de chanvre, du papier, de la litière et des isolants. Ces filières sont présentes sur le territoire depuis des dizaines d’années. La première transformation du textile (c’est-à-dire le traite-ment des fibres et le tissage) a quant à elle totalement disparu en France, et les usines se procurent actuellement des tissus à base de chanvre venant d’autres pays européens. Néanmoins, il y a une certaine volonté d’acquérir les machines à tisser et de relancer des filières locales pour répondre aux enjeux environnementaux et face aux besoins importants en eau du coton. Par ailleurs, grâce à ses qualités nutritionnelles, le chènevis est utilisé principalement pour l’alimentation animale et comme appât, et les débouchés comme l’alimentation humaine et les cosmétiques tendent à se développer. La fleur est très peu commercialisée à cause d’un flou juridique, mais son intérêt premier reste l’usage pharmaceutique grâce à sa teneur en cannabinoïdes, des molécules réputées pour leur propriétés apaisantes. La graine et la tige, elles, ne contiennent pas ces molécules. Enfin, la poussière provenant des machines agricoles ou d’usinage peut être transformée en pellets pour produire de l’énergie, mais le secteur reste actuellement peu étendu.

Il existe plusieurs acteurs qui gravitent autour du chanvre dit industriel. Interchanvre représente l’interprofession et travaille avec la fédération nationale des producteurs de chanvres (FNPC), créée en 1932. C’est un acteur important de la filière en France. Il regroupe les différents syndicats des producteurs de chanvre avec pour vocation la préservation de leurs intérêts. Elle participe activement à l’amélioration des variétés destinées aux débouchés historiques et s’investit pour les débouchés futurs tels que le bioplastique à base de chènevotte, l’alimentation issue de chènevis, etc. Par ailleurs, le développement de semences monoïques, c’est-à-dire avec organes femelles et mâles sur le même pied, qui assurent une plus grande régularité dans la production de chanvre, a fait la réputation de la FNPC en France.

Les semences sont produites sur plus de 1 700 ha par Hemp It, et environ 40 % de la production partent à l’exportation. Les agriculteurs coopérateurs des chanvrières industrielles envoient par la suite leurs produits bruts aux ateliers de transformation (16 400 ha cultivés en 2017), et les autres transforment le chanvre seuls ou en association avec d’autres producteurs (Interchanvre, 2020).

L’ALIMENTATION COMME DÉBOUCHÉ INNOVANT ? L’EXEMPLE DE NUNTI-SUNYA

Intérêts nutritionnels

Ce qui est consommé dans le chanvre, c’est la graine. Elle est très riche en protéines : elle en contient environ 25 %, dont l’albumine et l’édestine. Ces deux protéines sont facilement digestibles et contiennent de plus les huit acides aminés essentiels. Ceux-ci ne peuvent être synthétisés par le corps humain, il est donc important de varier son apport protéique afin de couvrir ses besoins. Le taux de lipides dans la graine varie entre 30 et 35 % et se compose essentiellement d’acides gras polyinsaturés, dont notamment l’acide linoléique (oméga 6) et l’acide alpha-linolénique (oméga 3). Cette source d’antioxydants permet de réduire le stress oxydant de l’organisme et diminue le risque de cancer, de maladies cardiaques et intestinales. Selon Interchanvre, une cuillère à soupe d’huile de chanvre couvre 85 % des besoins journaliers en oméga 3. De plus, le ratio oméga 6 / oméga 3 est une variable importante pour caractériser les huiles. Sa valeur pour l’huile de chanvre se situe entre 2 / 1 et 3 / 1, une proportion optimale pour les besoins humains. Par comparaison, ce ratio se situe au-delà de 15 / 1 dans les huiles végétales de type tournesol, arachide, etc. Bien que les apports en acides gras insaturés soient essentiels pour le bon fonctionnement de l’organisme afin de pré-venir certaines affections inflammatoires, un excès d’oméga 6 peut entraîner des maladies car-diovasculaires et favoriser un terrain allergique. Il est donc important d’équilibrer ses apports en lipides. En outre, la graine est une excellente source de vitamines du groupe B et de vitamine E, et contient des fibres insolubles qui facilitent la digestion (Callaway, 2004). Enfin, son apport en minéraux tels que le phosphore, le potassium, le magnésium, le calcium et le zinc complètent ses propriétés nutritionnelles et font de cette graine un excellent produit alimentaire, à la fois nutritif et sain.

Les produits alimentaires à base de chanvre

La graine peut se manger entière ou décortiquée, en salade ou en accompagnement. Elle peut également être pressée pour extraire d’une part l’huile et de l’autre le tourteau qui est par la suite broyé. Cette poudre de couleur verte et aux notes de noisettes torréfiées est utilisée en complément protéique pour les sportifs, en farine ou encore en tant qu’ingrédient pour des préparations industrielles. Actuellement, de nombreux pro-duits innovants à base de chanvre apparaissent sur le marché européen, comme les desserts non lactés, les produits fermentés de type tofu, les pâtes à base de plusieurs farines sans gluten, les limonades, les bières, etc. L’huile de chanvre, extraite par pression à froid de la graine, est commercialisée comme huile d’assaisonnement et s’utilise préférentiellement dans les préparations froides car ses qualités gustatives et nutritionnelles sont rapidement altérées lors de la cuisson (Interchanvre, 2018).

Les innovations

Les produits alimentaires issus de la graine sont commercialisés essentiellement en magasins spécialisés et entrent petit à petit dans les circuits conventionnels de la grande et moyenne surface. Ces produits sont qualifiés de superaliments, ce qui permet aux consommateurs, notamment aux végétariens et végétaliens, plus sujets aux carences, de combler leurs besoins nutritionnels journaliers. Dans le contexte de l’essor de pro-duits nutritifs non carnés en France, le chanvre apparaît comme une solution originale et dont les bienfaits sont reconnus historiquement. Grâce à son profil agronomique et ses bienfaits nutrition-nels, cette plante pourrait remplacer les produits à base de soja, une culture nécessitant de grandes quantités d’eau et majoritairement importée.

Le projet Nunti-Sunya

Issu d’une volonté de confectionner des tee-shirts respectueux de la nature et plus particulièrement des océans, un ancien surfeur a créé la marque Nunti-Sunya [1] (Figure 1) qui repose aujourd’hui sur un projet global appelé les Chanvres de l’Atlantique, consistant à relancer la filière du chanvre biologique dans les Landes. Plusieurs débouchés sont visés, dont principalement la production de tee-shirts, les produits alimentaires, et les matériaux d’isolation. Actuellement, cette petite entre-prise collabore avec une vingtaine de producteurs pour un total de 200 ha qui seront plantés en 2020. Les agriculteurs souhaitant adhérer au projet sont suivis et conseillés pour mener la culture à bien sur une base de trois ans de contrat.

Pour la partie alimentaire, l’entreprise s’occupe de réceptionner les graines dans son atelier de transformation afin de les décortiquer et de les presser avant de les emballer. Les produits sont distribués sur leur site et en magasins spécialisés dans toute la France. Concernant la fibre, elle est envoyée dans les usines au nord de la France pour la fabrication de litière, de matériaux d’isolation ou encore de bioplastique. Elle est labellisée AB (agriculture biologique). Les Chanvres de l’Atlantique ont pour projet de transformer et valoriser la tige pour pouvoir proposer leurs matériaux de construction et leur textile d’ici fin 2020. Ainsi, ils recherchent des fonds pour pou-voir acquérir de nouvelles machines et ils sont actuellement en train de construire leur usine afin de quitter la pépinière d’entreprises qui les héberge. Pour les porteurs du projet, la filière du chanvre est en plein essor et ils sont confiants pour l’avenir (Lartizien, 2020).

AVANTAGES ET LIMITES


Du point de vue des consommateurs

Malgré le développement de plusieurs projets sur le chanvre alimentaire, ceux-ci se heurtent à différentes problématiques. La réputation du canna-bis porte préjudice à cette filière, entraînant une certaine méfiance de la part du consommateur peu informé. Selon le porteur de la marque Nunti-Sunya, certains se questionnent sur les possibles effets psychotropes s’ils ingèrent des graines ou des produits à base de chanvre. Il est donc nécessaire de communiquer largement sur cet aspect, et de façon ludique pour faciliter l’apprentissage. Malgré les efforts de communication, il reste des personnes totalement opposées au développement de cette culture, allant jusqu’à détruire les plantations ou dénoncer les producteurs, en les accusant de pratiques illégales (faisant référence à la plante contenant du THC). Ces types de personnes sont sûrement les plus difficiles à convaincre car leurs peurs face à la drogue et l’illégalité est trop importante pour être surmontée par seulement de la sensibilisation.

Par ailleurs, certains trouvent les produits alimentaires à base de chanvre trop chers, par exemple lorsqu’ils comparent de la farine de blé avec de la farine de chanvre. Les qualités nutritionnelles ne sont cependant pas les mêmes, et il faudrait la comparer avec de la farine de châtaigne par exemple. Le prix au kilo de la farine de chanvre en magasin spécialisé bio se situe aux alentours de 19 €, celui de la farine de châtaigne à 16 €, alors que la farine de blé est à 2 € (Naturalia, 2020). Il est donc indispensable de comparer les mêmes types de produits, ce qui n’est pas suffisamment clair dans l’esprit des consommateurs. Selon le porteur de projet des Chanvres de l’Atlantique, les mentalités changent concernant cette plante, et ce sont actuellement des personnes déjà sensibilisées aux bienfaits nutritionnels et environnementaux du chanvre qui achètent les produits. Il ne faut cependant pas catégoriser trop rapidement ces produits comme étant destinés aux « bobos », car le budget alimentaire des foyers et la priorité aux aliments sains est ce qui va conditionner le plus l’achat des produits à base de chanvre. Pour le moment, la majorité des canaux de distributions sont les magasins spécialisés ou la vente en ligne sur les sites Internet des entre-prises et agriculteurs. Afin de toucher d’autres consommateurs, les produits apparaissent peu à peu sur les étals des magasins conventionnels, ce qui permettra à ces consommateurs de se familiariser avec la plante et pourquoi pas, de goûter.

Du point de vue des producteurs

Pourquoi certains producteurs ont-ils décidé de cultiver cette plante et quelle sont les difficultés auxquelles ils font face ? Comme il s’agit d’une culture à haute valeur ajoutée, les producteurs peuvent la cultiver soit pour bénéficier d’un revenu supplémentaire, soit pour fertiliser la parcelle et briser les cycles de maladies. Le faible temps de travail nécessaire est très avantageux, car cela laisse la possibilité aux agriculteurs d’effectuer d’autres travaux pendant ce temps. Mais le pic de travail à la récolte peut être très important en période estivale. Même si des machines de récolte spécifiques ne sont pas essentielles, il est indispensable d’aiguiser les couteaux des moissonneuses-batteuses, normalement destinées au blé, et parfois d’ajuster la machine car la tige du chanvre est extrêmement rigide. Les agriculteurs ne possédant pas de cultures céréalières n’ont souvent pas les machines adaptées et doivent se regrouper pour en acquérir une afin de baisser les coûts. La mauvaise gestion du matériel dans quelques associations de producteurs a été source de conflits et n’a pas permis de produire suffisamment pour faire perdurer les projets.

De trop faibles rendements agricoles ont entraîné la fermeture d’Agrofibre dans la région toulousaine et de l’association des Chanvres Gardois, à cause notamment de la sécheresse et des inondations. Afin de pallier cela, il est indispensable de réaliser le semi sur un sol équilibré, selon Jenny des Chanvres de l’Atlantique (Lartizien, 2020). La plante poussera mieux sur un tel sol et cela permettra à l’agriculteur d’être rentable. L’entreprise a donc développé un suivi et des formations pour ses producteurs afin d’analyser les sols qui vont être cultivés et d’estimer si un apport d’engrais est nécessaire. La qualité du sol peut être un facteur clé de réussite pour la culture de cette plante si les conditions climatiques sont par ailleurs trop austères. Certains agriculteurs finissent par abandonner la culture du chanvre par manque de rendement et parce que la revente du produit est parfois trop incertaine. La coopérative Virgocoop conseille donc de contractualiser afin de sécuriser les acteurs de l’amont et de l’aval, et de rendre la production assez conséquente pour être valorisée (Virgocoop, 2020).

Un des freins au développement de la filière du chanvre est la vente de la récolte à un atelier ou une usine de transformation car ces derniers sont trop peu présents et préfèrent souvent marchander avec de grandes chanvrières. Grâce à un contrat avec une coopérative ou une association locale, le producteur est assuré de revendre la totalité de ses produits, ce qui est plus efficace que d’essayer de les valoriser lui-même avec peu d’outils et de moyens. Cela peut se traduire par des contrats au sein d’une coopérative ou venant d’une entreprise comme les Chanvres de l’Atlantique. Dans ce cas, une partie des bénéfices est utilisée pour aider les agriculteurs.

Enfin, un autre frein au développement de la filière alimentaire particulièrement est la manipulation et le stockage de la graine. Étant riche en acides gras insaturés, ces molécules s’altèrent rapidement à la chaleur (au-delà de 40 °C) notamment et les graines perdent leurs qualités nutritives. Elles ne peuvent finalement plus être commercialisées en tant que produits alimentaires et sont envoyées pour l’alimentation animale. Le tonnage est dans ce cas moins bien valorisé économiquement. Une des principales causes de chauffe est l’utilisation de machines mal adaptées et un mauvais stockage.

Du point de vue des acteurs d’un territoire

L’avantage environnemental principal du chanvre est son intégration dans une économie circulaire. Tous les acteurs ou organismes rencontrés en sont convaincus et sont fiers de pouvoir valoriser cette qualité. Cette plante est bien évidemment très avantageuse car chaque partie est transformable et destinée à différents secteurs. En réalité, même si plusieurs parties peuvent être utilisées, il n’est pas possible de produire avec une seule plantation à la fois des produits alimentaires, du textile, et d’autres produits, comme c’est pourtant l’ambition de certains projets. Les variétés pour la fibre sont généralement plus hautes et produisent peu de fleurs et de feuilles, alors que les producteurs de graines alimentaires sélectionnent des variétés plus garnies. La fibre pour le textile doit en effet être suffisamment grande et récoltée avant maturité de la plante pour éviter la perte de qualité. Les graines quant à elle sont récoltées seulement plusieurs semaines après la récolte du chanvre pour le textile. Cette différence est à prendre en compte à la fois pour la sélection variétale, la machinerie agricole, le traitement et le conditionnement après récolte afin de répondre aux besoins du transformateur. Finalement, une même plantation ne peut servir à la fois pour les secteurs alimentaire et textile, au contraire de ce qui avait été initialement pensé par les Chanvres de l’Atlantique, qui envisageaient d’associer la production d’aliments avec celle du textile.

À cela s’ajoute le changement climatique, qui induit des perturbations non négligeables pouvant mettre en péril les cultures. Avec l’augmentation de la sècheresse dans le sud de la France et des inondations sur d’autres territoires, le chanvre a des difficultés à produire un rendement stable année après année. Les parcelles irrigables sont finalement avantagées dans un contexte de réchauffement climatique, et les parcelles exposées à la chaleur estivale ne seront plus adaptées à cette culture comme cela était le cas jusqu’ici. À l’avenir, les producteurs devront faire attention aux besoins de la plante et privilégier les par-celles suffisamment ombragées et équilibrées en nutriments.

Le développement de la filière chanvre peut être un vecteur de dynamisation d’un territoire comme c’est le cas dans le projet de CAP Cévennes (Mareine, 2020). L’ambition de cette association de producteurs est de développer différents secteurs du chanvre sur le territoire du Gard et de la Lozère, afin de proposer des produits respectueux de l’environnement et locaux, sans pour autant rechercher la rentabilité en premier. Avec cette activité, ce projet en plein essor vise à créer un lieu d’échange autour de cette plante, en lien avec un espace de restauration pour se rencontrer autour de plats sains et issus de produits du territoire, et d’un espace informatif et ludique sur l’histoire et la plantation du chanvre.

Dans un objectif de développement de la filière chanvre, un suivi des agriculteurs concernant leur façon de mener la culture est primordial, ainsi qu’un appui financier et un soutien des acteurs publics locaux. Un tel appui est également nécessaire dans le cas des fleurs de chanvre, qui restent actuellement très peu utilisées. De nombreuses études scientifiques ont vu le jour au sujet des bienfaits en termes de bien-être et de thérapie du CBD contenu dans la fleur, mais le manque de volonté politique et d’accompagnement des organismes agricoles publics entrave ce développe-ment et celui de la filière chanvre en général.

CONCLUSION

Malgré des problématiques relatives à la structuration de sa filière et à sa réputation récréative auprès de la population, le chanvre semble être destiné à un avenir prometteur en France, comme en témoigne l’émergence d’une grande diversité d’acteurs intéressés par la culture de cette plante. Même si sa première utilisation remonte à plusieurs siècles, son utilisation dans le secteur alimentaire est une nouveauté car les consommateurs ne connaissent pas ses avantages et les produits à base de chanvre n’existaient pas dans les magasins il y a quelques années. Finalement, cette filière vient soit renforcer les autres déjà en place de façon complémentaire soit se placer en concurrence, notamment en ce qui concerne le chanvre pour le textile. Même si le lancement d’une filière régionale peut engendrer des difficultés sur les plans technique, économique et même politique, la filière générale du chanvre se structure de plus en plus. Les produits alimentaires à base de cette plante constituent un débouché qui vient consolider toute la chaîne et qui va tendre à se développer en France, mais également à l’étranger.

Auteure : Milena Doucet