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La Foncière Terre de Liens : finance solidaire et citoyens à l’assaut de la terre  

Florine Legarez

MOTS-CLÉS : FONCIER AGRICOLE, GESTION COLLECTIVE, FINANCE SOLIDAIRE, CITOYENS, INSTALLATION

La Foncière Terre de Liens (TDL) introduit une innovation organisationnelle dans l’espace foncier agricole français puisqu’elle renouvelle les modes d’accès aux terres et rompt avec la tradition du faire-valoir direct. Elle donne la possibilité à tout citoyen d’être le nouvel acteur d’une agriculture agroécologique, nourricière et paysanne. En souscrivant une action, le citoyen permet à la Foncière d’accumuler du capital pour acheter des terres agricoles. En adhérant à la charte, le citoyen s’engage auprès des associations territoriales, participe à l’acquisition et à la gestion des fermes et peut même intégrer la gouvernance de la Foncière TDL.

UN OUTIL INNOVANT AU SERVICE DU MOUVEMENT ASSOCIATIF

Foncier agricole et installation

Dans des sociétés de plus en plus urbaines, l’artificialisation des terres agricoles et la spécialisation des systèmes de production avec agrandissement des structures participent à la reconfiguration des campagnes françaises et accroît la difficulté d’accès à des terres agricoles. En conséquence, le nombre d’exploitations diminue et le prix des terres augmente. L’accès au foncier est devenu le principal obstacle pour les candidats à l’installation hors cadre familial (Pibou, 2016). L’effort financier nécessaire pour acquérir du foncier est souvent dissuasif, parfois même impossible pour ces néo-agriculteurs dont la demande de prêt bancaire peut être rejetée (Martin, 2013). Les portes des organismes institutionnels spécialisés leur restent fermées, en raison du corporatisme qui domine encore le système agricole et alimentaire français (Lombard, 2020). De nouveaux dispositifs alternatifs en matière de maîtrise foncière se développent pourtant pour tenter de transformer cette situation.

Genèse du mouvement Terre de Liens

C’est l’association « réseau d’expérimentation et de liaison des initiatives en espace rural » (RELIER), créée en 1985, issue du mouvement de l’éducation populaire, qui est la pépinière de TDL. Un groupe de travail sur les questions foncières en émerge en 1998 et se forge une véritable expertise grâce à l’analyse d’expériences innovantes de gestion collective du foncier agricole au niveau européen. La nouvelle économie fraternelle (NEF), une société anonyme financière et coopérative de collecte d’épargne solidaire et d’octroi de crédits pour financer des projets d’utilité sociale et environnementale, rejoint cet élan collectif. Celui-ci aboutit à la création de l’association nationale « Terre de Liens » en 2003, qui se fonde sur l’agir projectif de faire de la terre un bien commun inaliénable. Autour de l’association se construit ensuite une communauté d’intérêts pour la réalisation de son objet social . Les premières antennes régionales se créent la même année en Picardie, en Île-de-France, en Rhône-Alpes. Entre 2007 et 2013, dix-neuf associations territoriales (AT) fleurissent partout en France (Terre de Liens, 2017). Toutes poursuivent les mêmes finalités que l’association nationale : la facilitation de l’installation en allégeant le poids financier de l’acquisition et la préservation du foncier agricole à vocation alimentaire (Lombard, 2020).

Le besoin d’un outil financier pour acquérir des terres

C’est la rencontre avec la société foncière Habitat et Humanisme, qui œuvre à la construction, à l’acquisition et à la rénovation de logements sociaux, qui oriente la stratégie du mouvement associatif. La décision est prise de créer une société foncière, la Foncière TDL, dont le montage juridique se concrétise en décembre 2006. Un premier appel public à l’épargne est lancé en novembre 2008 à hauteur de 3 millions d’euros, qui permet l’achat des premières fermes. L’activité de la Foncière consiste alors à acquérir et gérer collectivement un domaine foncier de plusieurs fermes, louées à des porteurs d’un projet agricole. En complément, un fond de dotation est créé en 2009, qui devient la Fondation TDL, reconnue d’utilité publique en 2013. Celle-ci est placée sous la tutelle des ministères de l’Agriculture et de l’Alimentation et de la Transition écologique et solidaire. D’abord conçus comme de simples outils au service du mouvement associatif, la Fondation TDL et la Foncière TDL se sont développées et professionnalisées pour devenir depuis 2014 des organes autonomes d’un point de vue budgétaire et d’envergure nationale. Aujourd’hui, le mouvement Terre de Liens se structure donc autour de trois piliers multiscalaires (Figure 1), interdépendants, qui agissent directement sur les fermes par une action commune et coordonnée (Le Mounier, 2013).

UN OPÉRATEUR FONCIER À L’HORIZON TEMPOREL INFINI

La finance solidaire au cœur du dispositif

La Foncière TDL est la première structure d’investissement solidaire appliquée à la gestion du foncier agricole et du bâti rural en France (Terre de Liens, 2020a). Pour construire son modèle juridique et financier, les fondateurs du mouvement TDL ont analysé de manière critique d’autres expériences alternatives de gestion collective du foncier en France, essentiellement les sociétés civiles immobilières (SCI) et les groupements fonciers agricoles (GFA). Pour dépasser les limites identifiées dans ces dispositifs, la Foncière TDL s’est dotée d’un statut de société en commandite par actions (SCA) dont la gestion est assurée par une société à responsabilité limitée (SARL) nommée « Terre de Liens Gestion », ce qui permet de séparer le pouvoir de gestion de l’apport de capital et d’éviter tout conflit d’intérêt. Ce statut permet de se voir délivrer un visa par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour réaliser un appel public à l’épargne à l’échelle nationale. Autre spécificité de la Foncière : elle s’engage à ne pas revendre les fermes en référence au principe d’inaliénabilité des terres, précisé dans la charte du mouvement TDL.

La Foncière obtient en 2007 l’agrément d’« entreprise solidaire d’utilité sociale » (ESUS), reconnue par l’État français, qui lui confère la possibilité d’accueillir des souscriptions de fonds d’épargne salariale solidaire, en plus des placements d’épargne des particuliers. Mais afin d’assurer un portage collectif et non spéculatif de son patrimoine immobilier agricole sur le long terme, tout en intégrant la nature temporaire de l’épargne, la Foncière encourage une rotation de ses actionnaires. Tous peuvent partir quand ils le souhaitent, car son fond de réserve, qui correspond à 25 % de son capital, permet le remboursement de l’épargne des actionnaires sortants. Le capital variable de la Foncière dépasse actuellement 100 millions d’euros pour 17 316 actionnaires solidaires . Pour conserver son identité « citoyenne », la Foncière a aussi choisi de limiter le poids de l’épargne des actionnaires institutionnels à 30 % de son capital. Au 31 décembre 2020, 97,9 % de ses actionnaires, portant 78 % de son capital, étaient des citoyens. Aucune redistribution de dividendes n’est par ailleurs envisagée, dans la mesure où la Foncière cherche à « dé-marchandiser » la terre. Sans avoir vocation à être un véhicule de défiscalisation, elle offre à ses actionnaires des avantages fiscaux , à condition que les actions acquises soient conservées pendant cinq ans. En 2007, la Foncière obtient également l’attribution du label Finansol agréé par l’AMF, renouvelé chaque année, qui permet au grand public de distinguer ces financements transparents, éthiques et solidaires d’autres produits d’épargne classique. L’opportunité d’agir dans le « concret » (Grisot, 2021) en investissant dans les fermes fait de la Foncière une destination d’épargne attractive.

Une société foncière au pays des SAFER

La Foncière TDL se distingue d’autres opérateurs fonciers par son modèle organisationnel et financier innovant. En tant que nouveau propriétaire foncier, elle achète des fermes grâce à un capital social et solidaire. En sortant le foncier agricole des marchés financiers, elle semble priver les SAFER de leur droit de préemption et tenir le foncier agricole hors de portée du modèle de gestion dominant (Baysse-Lainé, 2018 ; Lombard 2020). Pour autant, la Foncière n’entend pas se substituer à cet opérateur historique, mais propose une approche complémentaire et partenariale, formalisée par une convention-cadre en 2010 . Cette convention vient notamment sceller le rôle de la Foncière comme acheteur final signant la promesse de vente (Lacaze, 2021). Les SAFER apportent donc leurs outils, leur réseau et leur expertise aux projets de Terre de Liens, avec par exemple l’estimation du prix des biens fonciers réalisée par le conseiller SAFER ou les acquisitions conjointes avec des collectivités locales. Si la coopération entre les deux organismes n’est pas systématique et a du mal à sortir de la « relation dossier par dossier », elle apporte une solution supplémentaire pour « lever les freins de l’accès au foncier » (Lacaze, 2021 ; Martin, 2013).

Par ailleurs, puisqu’elles sont principalement financées par leurs activités commerciales, les SAFER n’ont pas toujours les moyens de mener sur leurs fonds propres une politique volontariste pour l’installation au-delà de la procédure de vente et n’ont pas vocation à porter durablement les terres agricoles en qualité de propriétaires, contrairement à la Foncière (Martin, 2013). De plus, si les conventions d’occupation conclues par les SAFER peuvent contenir des clauses environnementales, elles n’équivalent pas le bail rural environnemental (BRE) que la Foncière met en place de manière systématique avec ses porteurs de projet. En effet, la loi d’orientation agricole de 2010 est venue élargir la liste des personnes pouvant contractualiser le BRE aux entreprises sociales et solidaires et donc à la Foncière TDL. Les quinze clauses qui peuvent être introduites dans ce bail portent sur des pratiques culturales dites exemplaires dont le non-respect peut conduire à sa résiliation (Baysse-Lainé, 2018 ; Lombard, 2020). Enfin, les relations entre les SAFER régionales et les associations territoriales TDL varient d’une région à l’autre et peuvent se traduire par des conventions de partenariat locales, comme celle du 19 octobre 2018 entre la SAFER Occitanie et l’AT Terre de Liens Occitanie.

UNE GOUVERNANCE COLLECTIVE ET CITOYENNE DU FONCIER AGRICOLE

La structuration complexe de la gouvernance de la Foncière TDL

Afin de mieux saisir les logiques du portage collectif et citoyen que permet la Foncière TDL, il s’avère nécessaire d’en analyser la structure de gouvernance. Les actionnaires détiennent l’intégralité du capital social de la Foncière, qui lui permet d’acheter les fermes. Ces actionnaires, en majorité des citoyens provenant de divers horizons, ne peuvent prendre part à la gestion du capital et du domaine foncier mais élisent des délégués lors d’assemblées générales annuelles, qui siègent au sein du conseil de surveillance. Statutairement, ce conseil est renouvelé tous les six ans dans sa totalité et peut contenir jusqu’à douze délégués.

Une représentante de la Caisse des dépôts et consignations, devenue actionnaire, intervient également au sein du conseil de surveillance. En charge du contrôle de la SARL « Terre de Liens Gestion », ce conseil présente annuellement aux actionnaires un rapport qui signale les éventuelles irrégularités, les inexactitudes des relevés de compte et livre son appréciation sur la gestion. Toutefois, toute décision prise par ce conseil ne peut être validée sans l’approbation de la SARL.

La direction et l’administration de la Foncière TDL sont assurées par la SARL « Terre de Liens Gestion », en qualité de gérante. La répartition du pouvoir de décision entre les associés de la SARL correspond à leur apport financier au capital de celle-ci (Figure 2). Elle est investie de pouvoirs étendus pour accomplir toutes les opérations de gestion, sous la surveillance du conseil de surveillance et dans les limites de son objet social. Les associés se réunissent une dizaine de fois par an, participent aux discussions avec le réseau associatif et entretiennent des échanges réguliers avec la direction de la Foncière TDL et son équipe salariée. Ses missions comprennent l’acquisition et la réhabilitation des fermes, la résiliation d’un contrat de fermage, la décision d’emprunt, etc. Toutes ses décisions d’investissement doivent être soumises à l’avis consultatif d’un comité d’engagement et donnent lieu à l’établissement d’un procès-verbal.

Le comité d’engagement agit donc comme un dispositif d’information sur la décision finale de gestion, partagé avec la Fondation TDL. C’est un collectif d’experts désignés par le conseil de surveillance, sur proposition de la SARL « Terre de Liens Gestion ». Il est actuellement composé de cinq membres qualifiés, issus du réseau associatif, dont le mandat est renouvelé chaque année. Les membres, reconnus pour leurs « compétences avérées », sont les garants de la qualité et de la faisabilité de la maîtrise foncière par la SCA « La Foncière Terre de Liens » (Grisot, 2021 ; Lombard, 2020). De par sa gouvernance bureaucratique, la Foncière s’expose à un risque d’isomorphisme institutionnel qui l’oblige à se réinventer et s’enrichir continuellement, au travers de l’engagement des bénévoles notamment. L’ensemble des membres des instances qui constituent la gouvernance de la Foncière TDL occupe des fonctions à titre bénévole. Cet engagement citoyen permet de bâtir un espace collaboratif et de construire des propositions collectives « vectrices d’une parole organisée et représentative » (Terre de Liens, 2018).

L’implication citoyenne bipolarisée

Le mouvement TDL propose à des citoyens de se mobiliser et d’agir concrètement pour créer les conditions d’une meilleure accessibilité à la terre. La Foncière TDL permet d’abord un portage collectif et citoyen du foncier agricole, en impliquant ses actionnaires et en faisant de l’épargne solidaire un levier d’action au moment de l’acquisition et lors du suivi de la gestion locative et patrimoniale des fermes. Ensuite, l’échelle macroéconomique à laquelle opère la Foncière et sa centralisation administrative la rendent physiquement éloignée des fermes, qui sont dispersées spatialement. Par conséquent, ce sont très souvent les bénévoles locaux qui sont au contact direct des fermiers et qui la représentent sur le terrain. Ces bénévoles sont obligatoirement des « adhérents statutaires » qui ont ensuite choisi de s’impliquer au sein de leur AT. Parmi les 7 790 adhérents nationaux, seuls 1 100 étaient bénévoles en juillet 2020 (Terre de Liens, 2020b). Mais « une fois la porte de Terre de Liens franchie, les évolutions sont rapides et les tâches assumées se multiplient et se diversifient rapidement » (Terre de Liens, 2018). Plusieurs statuts bénévoles ont été développés pour une meilleure continuité organisationnelle, comme celui de « référent ferme » en 2016. Enfin, certains bénévoles peuvent être nommés ou élus au sein des instances de gouvernance de la Foncière TDL si leurs compétences et expériences sont reconnues.

Partant du principe que l’agriculture est l’affaire de tous, le mouvement TDL organise donc une participation citoyenne effective en faisant intervenir les bénévoles au sein des arènes décisionnelles de l’aménagement du territoire, en faisant d’eux des interlocuteurs légitimes d’acteurs dont ils étaient auparavant tenus à l’écart . Ils acquièrent une « expertise citoyenne » sur la question du foncier agricole grâce à leur participation sur le terrain et aux formations additionnelles (Terre de Liens, 2018 ; Lacaze, 2021). Outre l’apparente démocratisation de la gestion foncière, ce dispositif participatif permet d’améliorer la qualité des outils techniques et organisationnels au sein du mouvement en développement des « expérimentations pratiques » (Lombard, 2020). Par exemple, le diagnostic participatif « Humus » qui évalue l’état des sols a été pensé pour évaluer les effets de l’action des paysans sur les ressources naturelles. D’abord déployé à titre expérimental sur les fermes, son contenu a été précisé grâce aux apports des bénévoles afin de proposer une notice renseignant les modalités pratiques pour le réaliser. Ce bénévolat de compétences participe donc à la formation d’un « réseau sociotechnique citoyen » (Lombard, 2020). Toutefois, cette représentativité citoyenne est à pondérer : les citoyens qui s’engagent sont généralement déjà en lien avec le monde agricole ou disposent d’un capital culturel et du temps suffisants pour s’approprier cette technicité.

La terre, un bien commun ?

Le mouvement TDL vise à faire de la terre un bien commun : dans la mesure où tout citoyen peut s’investir pour la préserver, il s’agit d’une responsabilité collective. En souscrivant une action auprès de la Foncière, les actionnaires deviennent détenteurs d’une partie de son capital financier. Pour autant, ce titre n’ouvre pas à une co-propriété des fermes. En effet, d’après Adrien Baysse-Lainé, « la propriété n’est pas partagée, c’est plutôt la gestion qui est partagée » (Baysse-Lainé, 2021). En cela, la Foncière participe au renouveau de la propriété en questionnant la relation dualiste « propriétaire – fermier », en mobilisant des fonds privés pour l’acquisition et en construisant une gestion collective et citoyenne du foncier agricole (Figure 3).

La Foncière, en qualité de propriétaire, détient l’ensemble des droits d’administration, contrôle l’accès au foncier, l’utilisation qui en est faite et la transmission des droits d’usage entre les porteurs de projet. Les AT et leurs bénévoles-citoyens instruisent les dossiers de candidature, en sélectionnant les porteurs de projet et en accompagnant les fermes quotidiennement. Le comité d’engagement, en conseillant sur les choix d’acquisition ou de contractualisation, exerce également des droits d’inclusion et d’exclusion. Par ailleurs, le fermier, en tant qu’usager, n’est que peu intégré aux processus décisionnels et administratifs de la gestion foncière. Ses droits se limitent aux aspects techniques, culturaux et commerciaux relatifs à l’activité développée sur la ferme (Baysse-Lainé, 2018 ; Lombard, 2020).

UN MODÈLE ORGANISATIONNEL ET ÉCONOMIQUE FRAGILE

L’avantage fiscal des actionnaires en péril

La Commission européenne a considéré comme contraire aux critères du droit communautaire la réduction fiscale « Madelin IR » que proposait notamment TDL. Son application a donc été restreinte par la loi de finances de 2020, excluant la Foncière TDL et supprimant l’éligibilité de ses actionnaires. À force de plaidoyer, le Sénat a depuis adopté un amendement de l’article 157 de cette loi, afin d’inclure les foncières immobilières à vocation agricole et environnementale telles que la Foncière TDL, dont l’équilibre économique était menacé à court terme. Le maintien du dispositif fiscal s’articule ici avec la reconnaissance d’un service d’intérêt économique général (SIEG) , permettant à la Foncière TDL de ne plus être en infraction et de reprendre sa collecte d’épargne solidaire (Lavocat, 2020 ; Grisot, 2021).

Un besoin structurant de bénévoles

Du fait d’un léger déséquilibre entre le capital financier de la Foncière TDL et son budget de fonctionnement tiré des fermages et du placement financier à faible plus-value de l’épargne, son modèle économique demeure fragile. Ses ressources financières limitées l’empêchent de développer sa masse salariale. L’équipe salariée assure pourtant un travail indispensable de coordination des bénévoles et de définition de leur implication. Ce manque de moyens financiers est également ressenti par les bénévoles, lorsqu’il leur est demandé, par exemple, d’avancer leurs frais de déplacement au sein du territoire. Ainsi, le mouvement TDL se caractérise par un besoin structurel de bénévoles pour pouvoir mener à bien ses missions (Terre de Liens, 2018 ; Grisot 2021). « Le gros chantier de l’année 2020, c’était le mandat SIEG. 2021 ça va être comment s’organisent les équipes salariées en relation avec les AT pour être en mesure d’absorber la croissance » (Grisot, 2021).

Un patrimoine « en chantier »

Les premières années d’existence de la Foncière TDL ont été marquées par un rythme d’acquisition élevé alors que ses outils de gestion patrimoniale n’étaient pas encore aboutis. Dépassée par les besoins de rénovation de ses premiers achats, la Foncière a décidé en 2014 de limiter les acquisitions de fermes avec du bâti nécessitant des travaux, afin que les fermes déjà acquises soient rénovées en priorité. Poussée par de nombreuses injonctions à maintenir en valeur son patrimoine immobilier, la Foncière a donc développé un panel d’outils (autodiagnostic du bâti, compte d’exploitation prévisionnel du bien, guide technique de l’habitat paysan, etc.). Pour maîtriser les charges de gestion, la Foncière privilégie des acquisitions de fermes aux valeurs agronomiques et vénales élevées et recherche des subventions spécifiques, par exemple le mandat de maîtrise d’ouvrage d’insertion (MOI) de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), qu’elle commence à déployer sur ses fermes.

CONCLUSION

Alors que la Foncière TDL est maintenant propriétaire de deux cent vingt fermes, soit une surface totale de 6 054 hectares, deux cents fermes continuent de disparaître chaque semaine en France. À elle seule, la Foncière ne suffira pas à enrayer la disparition des terres agricoles : « On reste sur un impact territorial de l’ordre du symbolique, pour montrer que c’est possible de faire autrement » (Baysse-Lainé, 2021). Mais ses fermes viennent progressivement innerver le territoire, renouant avec une « territorialité réticulaire du commun ». (Lombard, 2021). En parallèle, les associations territoriales continuent de développer des partenariats avec des collectivités locales, accompagnent des groupements fonciers et se mobilisent pour développer des espaces-tests agricoles. En élargissant leurs champs d’action, la Foncière et le mouvement TDL entendent bien servir d’exemples en termes de gouvernance et de maîtrise foncière : « Elles sont en train d’éclore, les autres foncières [agricoles] » (Grisot, 2021). L’AT Terre de Liens Pays de la Loire a par exemple créé sa propre foncière, « Passeurs de terres », sous le statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) en 2018. Portée par la confédération paysanne du Pays basque et d’autres structures locales, une autre foncière, « Lurzaindia », a été créée en 2013, également en SCA, pour remplacer un ancien GFA. Même la MAIF Transition travaille actuellement au montage juridique de la sienne, comme société par actions simplifiées (SAS), dont le statut est plus souple que celui de la Foncière TDL.

Auteure : Florine Legarez