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Les unités de transformation territoriales : un moyen de revalorisation durable des produits de la pêche locale en Méditerranée française ? 

Maurine Mamès

MOTS-CLÉS : PÊCHE, MÉDITERRANÉE, TRANSFORMATION, LOCAL

Lorsque l’on évoque la durabilité des systèmes alimentaires, il est encore rare de les aborder sous l’angle de la transformation. En effet, les grands groupes agroalimentaires sont souvent entourés de scandales, tant sur le plan nutritionnel des produits que sur le plan environnemental. Se détachant de ce modèle, les unités de transformation territoriales (UTT) proposent de recréer une relation plus équitable entre les acteurs de la filière à une échelle locale et de proposer aux consommateurs des produits adaptés à leurs besoins tout en prenant en compte les enjeux environnementaux. Nous nous intéresserons à des unités spécialisées dans les produits de la pêche : dans quelle mesure ces unités innovantes peuvent-elles jouer un rôle dans la revalorisation durable de la pêche locale, en améliorant notamment l’état de la ressource et l’équité dans la filière ? Cette synthèse est centrée sur les pourtours français de la Méditerranée, les conditions de pêche et les enjeux locaux étant très différents de ceux de la côte atlantique.

LA SITUATION ACTUELLE DE LA PÊCHE LOCALE EN MÉDITERRANÉE

Comprendre pourquoi aujourd’hui les produits de la pêche locale en Méditerranée sont peu valorisés nécessite une vision holistique du problème (Figure 1). Deux facteurs principaux ont été identifiés et sont présentés dans cette partie .

État de la ressource en Méditerranée

En 2020, 21 % des populations de poissons pêchées évaluées en France sont touchées par la surpêche (Ifremer, 2020). Il faut cependant considérer ce chiffre avec du recul, car il est en effet difficile d’évaluer le statut des stocks réels de poissons du fait, entre autres, du manque de connaissances sur les années d’abondance. Seulement huit populations sont ainsi évaluées sur les deux cent soixante-quatorze pêchées en Méditerranée française.

Si certaines espèces ont vu leurs stocks diminuer en Méditerranée, la surpêche n’est pas la seule explication. En effet, d’autres facteurs sont à prendre en compte dans ce phénomène, comme par exemple le changement des périodes de reproduction de certaines espèces (un effet probable du changement climatique). En outre, il reste encore aujourd’hui beaucoup de connaissances à acquérir sur le monde sous-marin, ces facteurs ne sont donc potentiellement pas tous connus.

Dans ce contexte, le merlu et le rouget ont été identifiés par l’Ifremer comme étant les espèces principales les plus menacées en 2020 (Figure 2). En réponse à ces diminutions de stocks, l’Union européenne a mis en place le plan de gestion pluriannuel de la pêche en Méditerranée occidentale en 2019. Ce plan présente des actions telles que la fermeture de certaines zones de pêche et la limitation du nombre de jours de pêche au chalut. Le thon rouge a pu bénéficier de ce plan et est ainsi en voie de reconstitution (Figure 2).

D’autres espèces de poissons comestibles moins « populaires », comme le congre, restent cependant capturées par les pêcheurs locaux. Ces espèces se vendent alors moins bien auprès des consommateurs et à un prix moindre.

Le changement des modes de consommation

Le marché de la consommation du poisson semble avoir changé depuis quelques années. La consommation globale en produits aquatiques a diminué : - 5 % depuis 2014 (FranceAgrimer, 2020). Le prix en moyenne élevé des produits frais de la pêche peut notamment expliquer cette baisse. Paradoxalement, certaines espèces de poissons ont pourtant vu leur consommation augmenter. Par exemple, la consommation de thon frais a connu une augmentation de 5,2 % en 2018 par rapport à 2017, quand celle des espèces comme le merlu ou la raie a diminué (FranceAgriMer, 2018). Il y a donc une concentration de la consommation sur certaines espèces en particulier. Plusieurs raisons peuvent-être avancées pour expliquer ces chiffres, comme l’essor des produits japonais (sushis, sashimis, etc.), qui a fortement popularisé le thon et le saumon au détriment de certaines espèces locales.

Ces changements de consommation peuvent s’expliquer, en autres, par une évolution du mode de vie des consommateurs. Dans les couples notamment, les femmes et les hommes sont généralement plus actifs professionnellement qu’à une certaine époque et disposent donc de moins de temps pour préparer le poisson. On peut également évoquer un manque de transmission culturelle de la préparation du poisson, beaucoup de jeunes n’ayant plus cette connaissance. À cela s’ajoute la difficulté d’obtenir du poisson écaillé (sous forme de filets préparés par exemple) : les professionnels de la pêche effectuant de la vente directe ne disposent pas toujours des autorisations sanitaires pour nettoyer et préparer le poisson eux-mêmes.

Le poisson semble aujourd’hui davantage se consommer sous des formes différentes : semi-transformé et transformé. Ces produits sont plus faciles à consommer car ils présentent un temps de préparation réduit, s’ils ne sont pas déjà prêts à cuire. Dans une étude réalisée par l’association pour la pêche et les activités maritimes (APAM) en 2019 sur la population du Var, 74 % des personnes interrogées consomment des produits transformés et 83 % indiquent qu’elles consommeraient plus de poissons frais s’ils étaient déjà préparés (APAM, 2020). Le marché des produits marins transformés existe donc réellement et tend à se développer.

La transformation constitue alors un levier intéressant pour mieux valoriser les produits de la pêche locale, notamment les espèces de poissons méconnues, et sensibiliser davantage les consommateurs.

VALORISER LES PRODUITS DE LA MER LOCAUX : LES UNITÉS DE TRANSFORMATION TERRITORIALES

Dans le cadre de cette étude, une unité de transformation territoriale (UTT) est définie comme une usine de transformation dont l’approvisionnement se fait uniquement par des producteurs locaux. Les UTT se différencient donc des autres usines de transformation, petites ou grosses, par cette notion d’approvisionnement exclusivement locale.

Quels sont les avantages de la transformation ?

Il existe plusieurs catégories de produits en fonction de leur stade de transformation : les produits semi-transformés, dans lesquels le poisson est préparé mais gardé à l’état brut (par exemple : un poisson préparé vendu en barquette, conserves), les produits transformés, dans lesquels le poisson est cuisiné (par exemple : soupe de poisson) et les produits ultra-transformés, dans lesquels le poisson a subi un processus modifiant son aspect originel (par exemple : nuggets de poisson). Selon le stade et le mode de transformation, les valeurs nutritionnelles et la qualité du poisson sont plus ou moins préservées. Il est donc important de souligner que les processus de fabrication sont variés et ne sont pas tous synonymes de produits bas de gamme, mauvais pour la santé.

La transformation permet une meilleure conservation des produits. Des processus comme la congélation ou l’appertisation (mise en conserve) peuvent ainsi permettre de manger tout au long de l’année un poisson ayant une saisonnalité spécifique. Ce détachement de la saisonnalité permet donc d’assurer l’homogénéité des ventes de produits tout au long de l’année, y compris en période hivernale, quand les prises sont en moyenne moins élevées.

La transformation permet de limiter les pertes de production des pêcheurs, qui n’auraient éventuellement pas écoulé leurs prises en vente directe, et d’ainsi les valoriser.

Les atouts des UTT

La transformation des produits aquacoles est la plupart du temps assurée, au niveau national, par de grands groupes industriels. La transformation à l’échelle industrielle est pourtant peu compatible avec une pêche durable, car elle demande des volumes importants en matières premières à bas prix. D’un autre côté se trouvent de plus petites structures de transformation, telles que les conserveries familiales de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA).

Les UTT se distinguent de ces structures par un approvisionnement uniquement via les producteurs locaux afin de permettre à ceux-ci de nouveaux débouchés à l’échelle du territoire. Sur le plan environnemental, ces unités promettent de s’adapter à la production réelle des pêcheurs en respectant la saisonnalité des espèces pêchées. Sur le plan économique, le rachat des poissons se fait à un meilleur prix que celui que certains pêcheurs peuvent espérer ailleurs. Jusqu’alors, certains pêcheurs augmentaient leur volume de pêche afin de compenser la mauvaise rémunération de certaines espèces. Cette meilleure valorisation pourrait donc permettre de limiter l’incitation à la surpêche.

À l’échelle du territoire, les UTT permettent aux acteurs (pêcheurs, transformateurs, criées, etc.) de se réapproprier la filière. Cette nouvelle activité est, en outre, génératrice d’emplois. Enfin, elles participent à la valorisation du paysage territorial en aidant le maintien de la pêche artisanale, tout en valorisant les produits locaux dans une dimension plus touristique.

Trouver un modèle d’organisation pérenne adapté à son territoire

Les unités de transformation territoriales sont apparues en France vers 2010, et traitent pour la plupart les produits agricoles (Abadie et al., 2017). Très peu d’études ont été effectuées sur ce sujet jusqu’à présent. Les UTT ne sont pas encore très répandues sur le territoire, du fait de leur existence plutôt récente, en lien avec la popularité croissante des plans alimentaires territoriaux (PAT). Les unités existantes semblent être très différentes les unes des autres de par, entre autre, le type de structure mis en place, les acteurs impliqués et le modèle économique. Cette diversité des stratégies semble cohérente avec la nécessité d’adaptation aux problématiques et aux réalités de production locales, tant pour les produits agricoles que pour les produits aquacoles.

Sur le pourtour méditerranéen, en régions PACA et Occitanie, il a été difficile de répertorier les différentes initiatives mises en place, certaines étant encore au stade de projet. Dans le cadre de cette étude, trois UTT ont été analysées. La première est la société Brise de Terre située au Grau d’Agde (département de l’Hérault), déjà implantée depuis 2018 dans les bâtiments de la criée. La deuxième est celle de Saint-Raphaël (département du Var) dont l’unité de transformation est encore en projet au moment de la rédaction de cette synthèse. Il en est quasiment de même pour l’unité Côté Fish du Grau-du-Roi (département du Gard) qui souhaite transférer son atelier de préparation actuel (mareyage, assemblage de paniers recettes, qui sont des paniers d’ingrédients permettant la réalisation d’une recette en particulier par le consommateur) dans un local plus grand afin de pouvoir intégrer des activités de préparation de produits finis. Les caractéristiques principales de ces trois projets sont regroupées dans le tableau 1.

Ces trois initiatives ont pour point commun la volonté de mieux rémunérer les pêcheurs locaux et se démarquent des autres usines de transformation en proposant un prix pour le poisson frais plus élevé que la moyenne, surtout pour les espèces moins populaires, méconnues. Il est intéressant de noter que chacune met l’accent sur un second objectif différent : Brise de Terre au Grau-du-Roi défend une pêche artisanale et durable rentable pour les pêcheurs, Côté Fish au Grau d’Agde apporte lui une dimension plus sociale via l’insertion, tandis que l’APAM de Saint-Raphaël souhaite reconnecter le consommateur avec certaines espèces de poissons oubliées. Le statut de ces structures ainsi que les acteurs impliqués découlent de ces objectifs. Le porteur du projet de Saint-Raphaël étant associatif, le projet est donc multi-acteurs et inclut notamment des acteurs publics qui font le lien avec l’UTT de produits agricoles déjà présente sur le territoire. À l’inverse, au Grau-du-Roi, la mise en place d’une UTT pour les pêcheurs artisans n’a bénéficié que d’un apport financier modéré de la part des pouvoirs publics et l’agrandissement de l’atelier existant se fait entièrement à l’initiative de pêcheurs engagés. La société Brise de Terre du Grau d’Agde, née d’une initiative commune de la Croix-Rouge Insertion et de la criée, souhaite aujourd’hui être suffisamment rentable pour s’émanciper des aides publiques sans pour autant chercher à maximiser ses profits.

D’un point de vue technique, ces UTT ont pour point commun d’effectuer la transformation des produits uniquement à la main et n’ont pas pour projet d’investir dans des chaînes automatisées. C’est un avantage pour mieux maîtriser la qualité des produits mais le « fait main » ne permet pas de travailler avec de gros volumes de production. Les UTT semblent donc avoir vocation à garder une taille modeste.

Ces projets restent compliqués à mettre en œuvre du fait de l’importance des frais avancés pour le matériel, de la lourdeur des normes d’hygiène à respecter, ainsi que de la nécessité de recruter et former du personnel qualifié. La construction d’un modèle de rentabilité cohérent est donc primordiale pour assurer la survie de ces structures. En outre, l’épidémie du Covid-19 a fortement ralenti l’avancement du projet de Saint-Raphaël et remet même en question l’agrandissement de l’atelier prévu par Côté Fish au Grau-du-Roi.

Si ces UTT ont des objectifs énoncés parfois différents, toutes semblent prendre en compte les trois piliers de la durabilité, à savoir le social, l’environnement et l’économie. En assurant des débouchés supplémentaires, autres que ceux fournis par les grandes et moyennes surfaces, et une clientèle nouvelle comparée à celle des divers débouchés commerciaux, ces UTT permettent (ou permettront) a priori de revaloriser durablement les produits de la pêche locale. Ces initiatives sont très encourageantes, car elles proposent des modèles alternatifs de production et de consommation plus durables. Cependant, elles restent complexes à mettre en place et il est possible de s’interroger sur leur impact réel en termes de durabilité à une échelle plus globale.

LES UTT, VERS UNE TRANSFORMATION PLUS DURABLE ?

Les limites de l’essaimage

Du fait d’un contexte historique, culturel et d’un paysage différents, la situation de la pêche dans le golfe du Lion est à différencier de celle de la côte atlantique. Un écart important s’observe, notamment concernant les volumes de pêche prélevés. Sur les 243 139 t de poisson frais / surgelé vendues par la filière pêche française en 2019, 95 % proviennent de l’Atlantique et 4 % de la Méditerranée en 2019 (FranceAgriMer, 2020). Cela peut s’expliquer, en outre, par le fait que la pêche artisanale est beaucoup plus présente dans le golfe du Lion, surtout en région PACA où les fonds rocheux ne facilitent pas la pêche au chalut. Si plusieurs définitions peuvent-être données à la pêche artisanale, beaucoup s’alignent sur celle de l’ONG Bloom : « Pêche de petite échelle, le plus souvent côtière, aux techniques de pêche pour la plupart basées sur des engins de types dormant (filets, casiers, lignes) et surtout à dimension humaine (le patron du navire travaille à bord) avec un ancrage territorial fort » (Bloom, 2021). Pour l’Union européenne, cela correspond aux bateaux dont la taille n’excède pas 12 m.

L’organisation de la pêche en région PACA est principalement régie par les Prud’homies, organisation de pêcheurs apparue au Xe siècle. Il n’existe plus de criée depuis la disparition de celle de Marseille en 1976, tout se fait en vente directe par les pêcheurs.

En Occitanie, cinq ports accueillent 75 % de la flotte méditerranéenne française, Sète étant le plus important (CCI Occitanie, 2019). Des criées localisées dans ces ports permettent d’organiser les ventes aux sorties de pêches.

Ces différentes conditions de pêche sont à prendre en compte lors de la mise en place d’une UTT. Il est donc difficile de répliquer un modèle en particulier. De plus, le poisson est vendu en moyenne plus cher du côté PACA, car la pêche y est principalement artisanale. Dans le cas d’un partage d’une UTT entre produits agricoles et produits de la mer, la bonne gestion sanitaire de la structure demande une organisation particulièrement rigoureuse. Il s’agit donc d’adapter finement le modèle économique et l’organisation des UTT au territoire.

Le climat social régnant entre les acteurs d’un même territoire doit également être pris en compte. Par exemple, il est plus difficile de fédérer les pêcheurs de PACA, ceux-ci étant traditionnellement plus habitués à travailler seuls. Un essaimage durable des UTT de pêche n’est donc possible que si les modèles sont entièrement adaptés au contexte local.

D’autres modèles alternatifs faisant appel à la transformation pour valoriser les produits de la pêche locale ont vu le jour, sans que l’on puisse pour autant les qualifier d’UTT. On peut par exemple citer celui d’une coopérative de pêcheurs à Hyères (département du Var) qui fait sous-traiter la transformation des produits pêchés à des usines de transformation locales, notamment la conserverie Le Bec Fin de Cogolin. Les pêcheurs ont la liberté de proposer eux-mêmes les recettes des produits composés à partir de leurs poissons (exclusivement des soupes de poisson à ce jour). Ils peuvent ainsi s’assurer de la qualité des produits finis, point qui tient à cœur à bon nombre des pêcheurs rencontrés dans le cadre de cette étude. Le Bec Fin traite ces produits locaux en priorité mais conserve tout de même une grosse part d’approvisionnement non local, à la différence des UTT.

Ces initiatives restent cependant minoritaires, car leur mise en place est assez lourde et chronophage pour les pêcheurs qui n’ont pas forcément le temps d’intégrer des activités supplémentaires à leur métier.

Les limites des UTT relatives à la durabilité

Il semble que l’impact des UTT sur un territoire donné et sur les ressources n’ait pas encore été étudié à ce jour, du fait notamment du manque de recul sur les projets plutôt récents et de leur grande diversité qui rend difficile toute définition précise.
Sur le plan environnemental, Tristan Rouyer (Ifremer Sète) souligne qu’il reste encore beaucoup de lacunes concernant les connaissances du monde marin et qu’il faut donc être vigilant sur les conséquences de nouvelles initiatives (Rouyer, 2021). Un éventuel succès important des produits issus de ces UTT pourraient avoir une incidence sur les populations de poissons jusqu’alors méconnus. Il s’agit d’être prudent quant aux effets d’une éventuelle popularisation soudaine de ces espèces. La diffusion de ces initiatives sur le territoire national doit donc être maîtrisée. Un dialogue entre les scientifiques et les porteurs de projets pourraient potentiellement permettre de mieux coordonner ces initiatives dans le cadre de modes de production raisonnés.

Il est important de souligner que les UTT à elles seules ne pourront pas permettre d’influer profondément sur la consommation française en poisson et ainsi rétablir un certain équilibre au sein des espèces consommées. Il existe en effet d’autres initiatives permettant de valoriser et mieux accompagner la pêche locale. On peut citer, par exemple, la vente mensuelle de paniers de la mer locaux par Poiscaille qui permet elle aussi de valoriser l’ensemble des espèces pêchées consommables. La mise en place de labels est un autre moyen de valoriser la pêche locale.

La sensibilisation des consommateurs à une pêche plus durable et plus juste est également un point primordial en faveur duquel d’autres actions doivent être menées, en parallèle des UTT. Le WWF et l’association de pêcheurs « Ligneurs de la Pointe Bretagne » ont ainsi organisé des campagnes de sensibilisation sur les espèces méconnues / oubliées en réponse à la surpêche (campagne « délit de sale gueule »). L’éveil des consciences et la modification des habitudes de consommation restent cependant des processus très longs.

Enfin, la redynamisation des marchés aux poissons, aujourd’hui délaissés par la jeune génération, pourrait constituer un levier supplémentaire.

CONCLUSION

Les UTT proposent une organisation innovante de la transformation en valorisant uniquement les produits issus de la pêche locale. Elles se démarquent des autres types d’usines de transformation en intégrant ce critère. Outre l’approvisionnement local, les UTT peuvent s’inscrire dans une démarche de durabilité plus ou moins avancée sur d’autres dimensions.

Sur le plan environnemental, certaines UTT peuvent aider à rééquilibrer les populations de poissons en valorisant des espèces méconnues. D’autres vont être particulièrement vigilantes quant à la sélection des pêcheurs locaux aux pratiques les plus respectueuses du milieu marin. La transformation est pour la plupart des UTT entièrement faite à la main et ne fait pas appel à des lignes de production automatique, souvent génératrices d’un nombre important de déchets. Ces seules initiatives ne suffisent pas à répondre aux enjeux environnementaux et doivent-être couplées à d’autres.

Sur le plan économique, les UTT ont toute vocation à améliorer la rémunération des pêcheurs locaux en rachetant leur production plus chère, notamment les espèces méconnues qui se vendent moins bien.

Sur le plan social, les métiers de pêcheurs et de transformateurs sont revalorisés : les poissons issus de la pêche locale sont transformés en des produits de qualité. Ces deux professions ayant parfois une mauvaise image, les UTT permettent de mettre en lumière de meilleures pratiques. Par ailleurs, les UTT génèrent localement de l’emploi et certaines ont même une activité de réinsertion de personnes rencontrant des difficultés à trouver du travail.

La vision holistique du sujet présentée dans cette synthèse montre donc que les UTT offrent de sérieux éléments de réponse aux enjeux de durabilité.
Cependant, ces démarches doivent être considérées avec un regard critique et mériteraient une étude plus approfondie de leur impact, autant pour confirmer leurs effets bénéfiques que pour préciser leurs limites.

Il serait également intéressant que ces UTT puissent intégrer une autre problématique à leur fonctionnement, aujourd’hui peu traitée en Méditerranée française, celle de la valorisation des coproduits de la pêche. En effet, environ 50 % du poisson est jeté après préparation (yeux, arrêtes, etc.) : il y a donc ici aussi un enjeu de durabilité vis-à-vis du gaspillage. Si Côté Fish au Grau d’Agde a commencé à intégrer cette problématique dans ses perspectives d’évolution, elle n’a pas encore été reconnue par tous.

Auteure : Maurine Mamès