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Let’s Food Cities : la coopération entre collectivités territoriales pour des systèmes alimentaires plus durables 

Veronica Bonomelli

MOTS-CLÉS : SYSTÈMES ALIMENTAIRES DURABLES, COOPÉRATION, COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, INTERMÉDIATION

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Dans l’urgente nécessité d’une transition vers des systèmes alimentaires plus durables, les collectivités territoriales sont des acteurs fondamentaux (Bricas et Fages 2017). L’échange d’expériences et de compétences peut être une manière pour renforcer les dynamiques portées par ces collectivités et accélérer ainsi la transition. Let’s Food Cities intervient à l’interface entre sept villes françaises et sept villes étrangères, pour impulser leur coopération sur la thématique des systèmes alimentaires territoriaux durables.

UN NOUVEAU SUJET POUR LA COOPÉRATION ENTRE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

La coopération décentralisée est définie par l’administration publique comme « toutes les formes de coopération que les collectivités territoriales françaises ou leurs groupements peuvent développer avec des autorités ou des collectivités locales étrangères, dans le respect des engagements internationaux de la France ». Le terme a été remplacé en 2014 dans le Code général des collectivités territoriales par celui de « action extérieure des collectivités territoriales » (AECT). Après la seconde guerre mondiale, les collectivités territoriales françaises ont accéléré leurs collaborations avec des collectivités étrangères, notamment via les premiers jumelages franco-allemands (Doyen, 2017). Depuis une vingtaine d’années, les thématiques de ce type de coopération se sont élargies aux thèmes du changement climatique, du développement durable et de l’économie sociale et solidaire. Parallèlement, beaucoup de collectivités territoriales ont pris conscience de l’importance de leur rôle dans la transition vers des systèmes alimentaires durables, s’engageant dans des actions concrètes [Figure 1].

De nombreuses expériences montrent que les villes disposent de leviers d’action pour améliorer la durabilité des systèmes alimentaires (Debru et al., 2017 ; Forster et al., 2015). Les gouvernements urbains peuvent agir sur l’aménagement des zones commerciales, sur le système de distribution alimentaire et sur l’accès au foncier. Par ailleurs, ils peuvent gérer les approvisionnements alimentaires du secteur de la restauration collective et hors foyer, privilégiant ainsi certains modes de production et de consommation. Finalement, face à la distanciation (géographique, économique et cognitive) qui s’est amplifiée entre les habitants de la ville et ceux des zones rurales, les villes peuvent favoriser l’essor de nouvelles formes de connexion à travers, par exemple, la création de marchés paysans et la relocalisation des approvisionnements alimentaires (Brand et al., 2017 ; Debru et al., 2017).

Cependant, la mobilisation des villes reste limitée par rapport à leur potentiel et il est nécessaire d’amplifier leurs engagements pour accélérer l’urgente transition vers des systèmes alimentaires durables. Une des manières de stimuler leur mobilisation pourrait être la coopération décentralisée. Cette forme de coopération permet aux collectivités qui sont encore novices dans le domaine de l’alimentation durable de s’inspirer des collectivités affirmées. Pour les collectivités déjà engagées dans des stratégies alimentaires, elle favorise le partage d’expériences et connaissances, donnant lieu à un renforcement mutuel (Doyen, 2017).

LET’S FOOD CITIES : UN INTERMÉDIAIRE ENTRE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Dans ce mouvement de grand élan des collectivités et de la nécessité d’une transition vers des systèmes alimentaires durables et territoriaux, une initiative a récemment pris pied : Let’s Food Cities. Le projet est né en 2017 en France, où un nombre conséquent de villes ont déjà engagé des réflexions autour de l’alimentation et où des collectivités se sont mobilisées pour formaliser ces engagements dans le cadre des projets alimentaires territoriaux (PAT). Let’s Food Cities est un projet porté par l’association de loi de 1901 Let’s Food, fondée par deux jeunes professionnelles. Il s’agit d’Anna Faucher, experte dans l’accompagnement de collectivités françaises à la mise en place de projets alimentaires territoriaux, et Louison Lançon, ayant un background dans la sensibilisation et l’accompagnement des gouvernements locaux des pays du Sud dans leur transition vers des systèmes alimentaires territorialisés.

Le projet part de trois constats. Premièrement, l’urbanisation massive et l’intérêt pour une meilleure alimentation sont au cœur des questions de développement durable. Deuxièmement, l’engagement croissant de villes dans le monde pour une alimentation durable peut être renforcé au travers des échanges d’expériences et de bonnes pratiques qui peuvent s’inspirer mutuellement. Troisièmement, il existe un besoin d’internationaliser la question auprès des villes françaises signataires du Milan Urban Food Policy Pact (MUFPP) [1], en s’appuyant sur les outils de la coopération décentralisée, de laquelle, pour l’instant, la question alimentaire est relativement absente.

Le propos

Le projet veut accompagner des collectivités qui ont déjà montré leur intérêt à travailler sur des questions de systèmes alimentaires, en s’appuyant sur la coopération internationale entre les villes. L’outil de l’action extérieure des collectivités territoriales n’est pas considéré par les porteuses du projet selon son emploi traditionnel, c’est-à-dire que la France « va investir dans le Sud ». Il est plutôt proposé comme un instrument d’échange, au cours duquel les villes qui coopèrent apprennent l’une de l’autre (Lançon, 2018). L’initiative s’appuie sur les sept villes françaises signataires du Pacte de Milan : Paris, Nantes, Bordeaux, Montpellier, Marseille, Grenoble et Lyon. Elle vise à encourager et faciliter la coopération internationale sur les thématiques de l’alimentation et de l’agriculture entre chacune de ces villes et une de leurs villes partenaires étrangères. À titre d’exemple, le Grand Lyon coopère avec Hô-Chi-Minh-Ville (Vietnam) et la Métropole de Bordeaux avec l’État mexicain du Guanajuato. La collectivité partenaire est choisie sur la base de collaborations déjà existantes, sous la forme du jumelage par exemple, ce qui devrait faciliter les interactions. De plus, une analyse préalable a été faite, proposant des villes dans lesquelles il y avait déjà des initiatives en lien avec au moins une des dimensions de la durabilité alimentaire, garantissant ainsi un intérêt potentiel à travailler sur ces questions.

Concrètement, Let’s Food Cities propose de faire un échange entre les deux villes en identifiant, via un diagnostic du système alimentaire local, les principaux défis auxquels elles font face en matière d’alimentation et d’agriculture ainsi que les alternatives et actions innovantes à mettre en place ou valoriser. Ceci contribuerait à une meilleure compréhension du système alimentaire de la part des acteurs locaux, leur permettant une prise de décision plus réfléchie et adaptée, et apporterait des avantages de différents types aux deux villes impliquées.

Les collectivités étrangères pourront bénéficier des informations issues de l’étude et de l’échange avec la ville française, pour éventuellement impulser une dynamique locale vers la construction de systèmes alimentaires durables. Les collectivités françaises, quant à elles, pourront apprendre des initiatives présentes sur le territoire de la ville partenaire et mieux orienter leurs stratégies d’action extérieure. La contribution financière demandée aux collectivités françaises pour participer au projet est minime et, avant tout, symbolique. Ceci est dû au fait que les porteuses du projet sont conscientes de la difficulté de mobilisation des acteurs publics, l’idée étant de faciliter leur implication et de leur montrer qu’ils ont intérêt à s’impliquer.

Les objectifs affichés par Let’s Food Cities, dont les effets ne sont pas encore mesurables étant donné la jeunesse du projet, sont donc d’une part de favoriser le partage d’expériences, de connaissances et d’initiatives entre les sept villes françaises signataires du Pacte de Milan et sept villes étrangères et d’autre part d’encourager et accompagner les dynamiques naissantes des villes étrangères, avec l’appui des villes françaises.

Le fonctionnement

Let’s Food Cities a tissé deux types de partenariats. Un partenariat institutionnel avec le Pacte de Milan, car il s’inscrit dans sa démarche d’échanges d’expériences entre villes à l’inter-national. Des partenariats financiers variés qui incluent la fondation LÉA Nature, la Chaire Unesco Alimentations du monde, les collectivités françaises participantes au projet et le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (MAA). Pour ce dernier, le financement perçu par Let’s Food Cities est issu d’un appel à projet du Programme national de l’alimentation (PNA) qui, traditionnellement focalisé sur des initiatives françaises, a récemment montré un intérêt pour la valorisation des expériences françaises à l’international.

Il s’agit d’un projet pilote qui se déroule sur trois ans, avec des actions spécifiques qui devraient mener à la collaboration entre les partenariats constitués.

La première année, en cours, est consacrée à la réalisation d’un diagnostic des quatorze villes impliquées pour évaluer la durabilité de leurs systèmes alimentaires [Figure 2]. Ce travail pré-voit l’implication d’étudiants volontaires inscrits dans vingt-six universités situées dans les sept villes françaises. Il s’agit d’étudiants de disciplines variées, telles que les sciences politiques, la géographie, l’urbanisme et l’agronomie, qui contribuent à la conduite d’une étude diagnostic du système alimentaire des villes impliquées, françaises d’abord et étrangères par la suite. Le but est de systématiser des informations sur les systèmes alimentaires locaux, sur les initiatives qui pourraient être reprises par les différentes villes, et de commencer à identifier des aires de collaboration possibles entre les deux villes partenaires.

Pendant la deuxième année, les fondatrices de Let’s Food iront à la rencontre des acteurs des villes étrangères. Pour chaque ville, l’idée est de produire des outils permettant aux acteurs locaux de visualiser les freins auxquels ils sont confrontés et les leviers dont ils disposent et, par conséquent, de pouvoir éventuellement prendre le contrôle de leur système alimentaire, renforçant ainsi sa durabilité. Il s’agit de réaliser une vidéo illustrant le système alimentaire, pouvant servir comme outil de communication pour la ville. Ensuite, un atelier de construction collective sera mis en place, incluant les étudiants locaux et les acteurs du territoire, afin de partager les résultats du diagnostic et d’identifier des pistes d’action potentielles. Finalement, un évènement grand public sera organisé, afin de faire une restitution aux deux villes partenaires, de valoriser les initiatives locales et d’éventuellement arriver à l’engagement de la ville pour la signature du Pacte de Milan.

La troisième année prévoit un suivi de la collaboration entre les villes et une valorisation des résultats atteints. Le but est de diffuser le bilan de l’initiative et les premiers résultats de la coopération entre villes à travers un cycle de conférences. Un effet domino influençant d’autres collectivités françaises pour l’engagement dans la coopération sur la thématique de l’alimentation durable pourrait se produire. Pour les villes participantes au projet, il s’agirait d’arriver à l’établissement de partenariats plus pérennes, par exemple au travers d’une convention.

L’approche avec les représentants des collectivités

Il est intéressant d’observer la manière dont les fondatrices de Let’s Food présentent leur projet aux représentant(e)s des collectivités territoriales. Il s’agit de les interpeller via les chargé(e)s de mission « relations internationales » et les chargé(e)s de mission « agriculture et alimentation ». Pour les services « relations internationales », l’avantage consisterait à inclure un nouvel axe thématique dans leurs actions extérieures et à faire rayonner un projet alimentaire à l’international. Pour les services « agriculture et alimentation », ce projet permettrait de mieux intégrer les innovations issues des secteurs public et privé et de la société civile afin d’encourager et accélérer leur projet alimentaire. Le travail en binôme de ces deux services devrait également faciliter la communication au sein de la collectivité et renforcer la place de l’alimentation dans l’agenda politique des villes.

Le comité scientifique et les volontaires

Let’s Food Cities bénéficie de l’appui d’un comité scientifique et de nombreux volontaires. Le premier inclut des membres de la Chaire Unesco Alimentations du monde et du Pacte de Milan, ainsi que des experts sur ces questions issus de la FAO, du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et des universités françaises partenaires. Son rôle est de conseiller les porteuses du projet sur la méthodologie et les orientations de l’initiative, par exemple à travers une veille scientifique sur les questions alimentaires. Parallèlement, un groupe de volontaires, com-posé de jeunes professionnels qui travaillent dans l’alimentation, apporte son aide sur des missions ponctuelles telles que des recherches bibliographiques.

La coopération entre collectivités dans le contexte international et français

Le caractère innovant de Let’s Food Cities réside dans son positionnement comme acteur intermédiaire entre les collectivités territoriales qui sont, et seront, en première ligne dans la transition vers des systèmes alimentaires durables. Globalement, il existe de nombreux acteurs qui travaillent à l’international avec les collectivités territoriales autour de la transition vers des systèmes alimentaires plus durables. Certains acteurs accompagnent les villes individuellement, comme RUAF Foundation et de nombreux bureaux d’études. D’autres visent plutôt à la constitution de réseaux qui facilitent l’échange comme, par exemple, Cités Unies France, qui favorise les échanges entre collectivités françaises engagées dans des stratégies d’actions extérieures sur toute thématique. La FAO commence également à impulser la coopération entre villes, plutôt en organisant des rencontres mais sans formuler de véritables propositions.

D’autres initiatives, propre au contexte français, favorisent les échanges entre villes sur le thème des systèmes alimentaires territoriaux durables, mais aucune ne se propose comme intermédiaire entre deux collectivités potentiellement engagées. Celles qui semblent se rapprocher le plus de cette démarche sont le Pacte de Milan, à l’échelle internationale, et l’appel à projet « Alimentation et agriculture durables » proposé par le MEAE et le MAA, à l’échelle française.

Lancé à l’occasion de l’Exposition universelle de Milan, « Nourrir la planète, énergie pour la vie », et signé en octobre 2015, le MUFPP compte aujourd’hui (mars 2018) cent soixante-trois villes engagées volontairement dans la construction de systèmes alimentaires plus durables. Au niveau du projet Let’s Food Cities, l’intérêt du Pacte de Milan réside dans le fait qu’il constitue un cadre facilitateur pour la mise en œuvre de projets d’AECT pour des systèmes alimentaires territoriaux durables. D’abord, car le septième principe de la charte du Pacte signée par ses membres prévoit que les villes s’engagent à « encourager d’autres villes à rejoindre les actions de politique alimentaire ». Ensuite, car le Pacte encourage la coopération entre collectivités par le biais des Milan Pact Awards : un prix qui récompense les villes travaillant activement à la construction de systèmes alimentaires durables et qui alloue des fonds destinés à financer des AECT pour partager leur expertise sur le sujet.

Concernant les services de l’État français, l’appel à projet « Alimentation et agriculture durables » a été lancé à la fin de 2017. Il est basé sur le constat que les collectivités territoriales françaises montrent un intérêt à porter leurs questions alimentaires à l’international et à partager leurs compétences et savoir-faire, ainsi que sur l’idée que la construction de systèmes alimentaires durables nécessite la collaboration entre collectivités. L’appel à projet vise ainsi à stimuler leur action extérieure à travers un cofinancement de la délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales (DAECT), qui peut aller jusqu’à 50 % du montant du projet.

L’intérêt de Let’s Food Cities pour les collectivités territoriales

Le projet présente la vertu de répondre à une partie des freins à l’AECT et de soutenir les collectivités dans leur démarche de coopération sur les systèmes alimentaires. Les freins à l’AECT sont la carence de ressources humaines et financières à dédier à ces questions, car ces dernières ne sont pas une priorité politique, et le manque de connaissance de la part des collectivités du rôle qu’elles peuvent jouer pour diffuser les systèmes alimentaires durables. Let’s Food Cities vise à éliminer ces freins en fournissant les ressources humaines qui garantissent une expertise technique et une intermédiation entre acteurs. Le diagnostic des systèmes alimentaires permet de mettre en perspective les deux territoires impliqués. Il constitue un outil capable de mettre en évidence les problématiques et les solutions identifiées sur les territoires, poussant à la réflexion sur la manière dont ceux-ci peuvent s’inspirer mutuellement. Dans ce sens, il est un instrument de sensibilisation pour les acteurs locaux, qui les informe tout en leur laissant le choix d’agir ou non et éventuellement en leur proposant un plan d’action adapté au mieux aux besoins des deux territoires. L’expérience professionnelle des porteuses du projet est un atout. Elles ont la capacité d’être le médiateur nécessaire aux échanges entre villes dont les collectivités ne peuvent pas toujours disposer. Des avantages secondaires semblent se présenter. La participation au projet permet aux collectivités françaises de « faire vivre le Pacte de Milan », étant donné que depuis son engagement, peu d’actions ont été menées. Finalement, les événements collectifs organisés au cours des trois ans peuvent contribuer à encourager les échanges informels entre les chargé(e)s de mission des collectivités. Ceci pourrait accroître la communication et accélérer les démarches et les dispositifs mis en place sur les territoires.

Et pour le développement durable ?

Toutes les villes impliquées, à des degrés divers, hébergent des initiatives qui prennent en compte une ou plusieurs dimensions de la durabilité. Let’s Food Cities ne travaille pas sur ces initiatives individuellement mais plutôt à une échelle intégrée, cherchant à stimuler des dynamiques qui peuvent renforcer globalement la durabilité des systèmes alimentaires des villes porteuses de ces initiatives. Ceci est possible grâce à trois actions dont les impacts avérés seront à étudier.

Premièrement, le projet interagit avec une multitude d’acteurs, contribuant à leur sensibilisation sur la durabilité des systèmes alimentaires. Pour les collectivités, il s’agit de fournir un accompagnement sur la réflexion et l’élaboration de plans d’action sur l’aspect systémique de l’alimentation. La collaboration avec les universités peut favoriser une intégration progressive des questions alimentaires dans leurs programmes et celle avec les étudiants contribue à leur formation sur des concepts et méthodologies inhérents à la thématique. La production de vidéos et la vulgarisation d’informations relatives à l’avancement du projet à travers les réseaux sociaux contribuent à sensibiliser le grand public.

Deuxièmement, l’intermédiation entre les collectivités territoriales, favorisant l’échange d’initiatives associatives, publiques et privées, a le potentiel d’accélérer la transition vers des systèmes alimentaires territoriaux plus durables.

Troisièmement, le travail de plaidoyer auprès des chargé(e)s de mission des collectivités, à la fois en relation avec les projets alimentaires et avec les relations internationales, peut encourager l’intégration de la question alimentaire dans l’agenda politique des collectivités.

Les obstacles à une diffusion à plus grande échelle

Il existe des freins qui pourraient limiter une diffusion plus ample du projet, voire l’engagement de plus de villes. Du côté des villes françaises, une réduction des budgets destinés à l’AECT est observée (CIEDEL, 2016). De plus, le travail de prise de contact avec les collectivités pour arriver à leur engagement est long. Ceci est dû, d’une part, au dialogue parfois peu fluide entre les services « coopération internationale » et « agriculture et alimentation » d’une même collectivité, qui nécessite du temps pour élaborer des objectifs communs. D’autre part, l’alimentation et la valorisation des projets alimentaires à l’international ne constituent pas encore une priorité politique.

Il faut également considérer la particularité du contexte français, porteur d’une longue histoire de coopération décentralisée. C’est un mécanisme institutionnel bien enraciné en France qui n’aurait probablement pas le même potentiel dans d’autres pays.

Le potentiel de réplicabilité reste donc incertain. Let’s Food Cities est un projet pilote et sa capacité à se propager ou à se reproduire dans un autre contexte dépendra de la volonté des villes à travailler sur ces thématiques.

CONCLUSION

Malgré son potentiel, le projet présente certaines limites. Tout d’abord, le positionnement du projet vers le « Sud » est discutable. L’action extérieure des collectivités locales s’inscrit historiquement dans le cadre des relations Nord-Sud, longuement dominées par l’approche « projet », assez focalisées sur le souci de répondre à des besoins locaux de court terme ou aux vœux des collectivités du Nord, soucieuses de montrer des résultats concrets. Or, ces actions de coopération n’ont du sens que si elles cherchent à impliquer les acteurs locaux et à favoriser un développement de capabilities dans le sens d’Armatya Sen, à transférer des savoir-faire (Djeflat et Boidin, 2010) qui puissent être exploités par les acteurs locaux sur le long terme. Dans ce sens, il aurait été souhaitable d’impliquer les étudiants des villes étrangères, ou d’autres acteurs locaux, dans l’élaboration du diagnostic depuis le début, et pas seulement une fois que le diagnostic a déjà été réalisé par les étudiants français. Ceci aurait favorisé une meilleure appropriation des questions d’alimentation par les acteurs locaux.

En poussant ce questionnement encore plus loin : pourquoi chercher à engager des villes étrangères qui n’ont pas forcément montré leur intérêt à travailler sur les systèmes alimentaires ? Certes, ces villes présentent des initiatives liées à l’alimentation mais le fait qu’elles n’aient pas encore manifesté leur intérêt à travailler sur le sujet laisse penser qu’elles ont d’autres priorités. Il serait peut-être plus légitime de créer un forum de villes déjà engagées sur des actions liées à l’alimentation durable dans la lignée du Pacte de Milan. À la différence du Pacte, qui se limite à une rencontre par an, ce forum pourrait favoriser des coopérations et échanges continus entre villes, renforçant des dynamiques déjà existantes.

Ensuite, bien que le diagnostic des systèmes alimentaires puisse être un instrument pertinent pour commencer une discussion avec les acteurs, il faut veiller à son utilisation. Le diagnostic demande une homogénéisation de données qui n’est pas facile à atteindre, considérant la multitude d’acteurs qui ne travaillent pas forcément à la même échelle. Comme différentes expériences le montrent, la mise en œuvre d’actions sur la question alimentaire de la part des villes ne vient pas souvent d’une intention formulée de bâtir une politique alimentaire durable. La thématique est plutôt introduite « à partir d’autres préoccupations des villes, telles que la santé, la salubrité, la pauvreté, l’environnement […] » (Brand et al., 2017 p. 130). Ceci montre donc qu’il n’est pas nécessaire d’aspirer à un état des lieux complet pour générer l’intérêt vers les questions alimentaires. Au contraire, des élus disposant d’un levier et voulant tenter de nouvelles expériences peuvent être le principal moteur du changement. Le diagnostic serait donc à considérer comme un prétexte pour commencer les discussions avec les acteurs locaux et non comme un instrument exhaustif à partir duquel des actions concrètes seront réalisées.

Reste enfin la question de la pérennisation. Y a-t-il une réelle volonté de la part des collectivités à s’engager ou leur participation relève-t-elle plutôt d’un simple affichage politique ? Le projet fait face au risque de voir des collectivités, en particulier étrangères, s’engager pour les trois ans, sans suite à la fin du projet.
La structuration des systèmes alimentaires vers plus de durabilité peut passer par l’échange d’expériences, comme Let’s Food Cities le propose. Ceci ne constitue qu’une première étape pour la préparation du terrain pour un mouvement plus ample. Sur le long terme, les villes, proposant plus d’alternatives et étant plus engagées que les États, ont le potentiel de devenir un véritable mouvement politique et d’acquérir un poids majeur dans les négociations au sein des politiques nationales, européennes et internationales. La rupture avec les systèmes dominants et la transition vers plus de durabilité, « ne pourra pas se faire avec les seuls leviers dont disposent les villes. La gouvernance doit être locale et globale. Les politiques nationales et internationales et les pratiques de grands groupes industriels façonnent aujourd’hui les systèmes alimentaires. Ces acteurs devront aussi changer de stratégie, notamment sous pression des villes organisées en réseaux » (Debru et al. 2017, p. 23).

Auteur : Veronica Bonomelli


[1Pacte de politique alimentaire de Milan.