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Le projet AgroEcoPôle du domaine de Mirabeau : un laboratoire multi-acteurs de la transition agroécologique 

Flora Pelissier

MOTS-CLÉS : TRANSITION AGROÉCOLOGIQUE, BIODIVERSITÉ, POLITIQUE ALIMENTAIRE, GOUVERNANCE, COLLECTIF

Extinction des espèces animales et végétales, changement climatique, pandémies… autant de menaces et de fléaux qui pèsent aujourd’hui sur nos écosystèmes. Selon la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), l’usage des terres pratiqué par l’agriculture conventionnelle est l’un des principaux moteurs de l’érosion de la biodiversité (IPBES, 2019). L’artificialisation des sols joue également un rôle important dans la perturbation des écosystèmes. En parallèle, on assiste à une perte de souveraineté alimentaire, une distanciation entre les consommateurs et les lieux de production agricole. Comment reconnecter l’agriculture à la biodiversité ? Comment permettre de créer des systèmes alimentaires résilients ?

Confrontées à l’ensemble de ces enjeux, les collectivités territoriales se réapproprient la question agricole et alimentaire. Depuis une dizaine d’années, l’agroécologie est devenue un nouveau levier d’action politique à l’échelle des territoires. C’est en faisant le pari de reconquérir la biodiversité au moyen de l’agroécologie que le projet AgroEcoPôle du domaine de Mirabeau, situé sur la commune de Fabrègues au sud-ouest de Montpellier, a vu le jour. Que prévoit exactement ce projet ? En quoi est-il innovant ? Comment s’organise sa gouvernance et en particulier celle des actifs agricoles du domaine ? Comment ce projet peut-il permettre d’amorcer une dynamique de transition agroécologique ?

PRÉSENTATION DU PROJET

Historique et contexte

Situé dans la plaine ouest de Montpellier, entre le massif de la Gardiole et les collines de la Moure, deux réservoirs de biodiversité, le domaine de Mirabeau (Figure 1) était traditionnellement exploité en polyculture-élevage au XIXe siècle. Au moment de l’industrialisation de l’agriculture après la seconde guerre mondiale, le domaine a été investi par une exploitation intensive en viticulture qui a fini par être abandonnée. Dans les années 2000, un projet d’enfouissement des déchets proposé par l’Agglomération de Montpellier a été stoppé grâce à la mobilisation d’un collectif de citoyens, « les Gardiens de la Gardiole », et de la commune de Fabrègues qui souhaitaient préserver le site dans son environnement naturel.

Après l’acquisition du domaine de Mirabeau (Figure 2) par la commune en 2014, cette dernière s’est alliée au conservatoire des espaces naturels (CEN), avec lequel elle avait tissé un partenariat privilégié pour la mise en place de mesures compensatoires. En 2017, le projet AgroEcoPôle a été lauréat d’un appel à projets de « sites pilotes pour la reconquête de la biodiversité » prévu par le programme d’investissements d’avenir de l’Agence de la transition écologique (ADEME). L’obtention d’un financement à hauteur de trois millions d’euros a permis de poser les premiers jalons du projet en sécurisant sa réalisation sur le plan financier. Le projet a en outre bénéficié du soutien financier de la Région Occitanie, du conseil départemental de l’Hérault et de la Métropole de Montpellier, au titre des différentes politiques publiques impliquées dans le projet (biodiversité, agroécologie et alimentation), et également de celui de la Fondation de France pour le volet « recherche-action ».

Le projet AgroEcoPôle s’inscrit dans le sillage de la politique agroécologique et alimentaire (P2A) [1] de la Métropole de Montpellier en répondant à son premier axe : « consolider le réseau des fermes ressources agroécologiques en vente directe », le domaine de Mirabeau étant identifié comme une de ces « fermes ressources ». Enfin, le schéma de cohérence territoriale de la Métropole [2] ayant fait l’objet d’une révision, avec pour objectif de « préserver et reconquérir l’exceptionnelle richesse environnementale pour mieux la valoriser », le projet s’intègre également dans ce cadre, le domaine de Mirabeau étant situé sur une zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique. La politique alimentaire volontariste menée au sein de la commune de Fabrègues, notamment dans le domaine de la restauration scolaire (mise en régie de la cuisine centrale scolaire, lutte contre le gaspillage alimentaire, actions sur le « bien-manger »), est également étroitement liée au projet AgroEcoPôle qui prévoit l’approvisionnement d’une partie du restaurant scolaire.

Objectifs

Le projet AgroEcoPôle est ambitieux. Il vise à réunir plusieurs objectifs autour du site du domaine de Mirabeau :
→ installer des agriculteurs en polyculture- élevage respectant des pratiques agroécologiques ;
→ prévoir des ateliers de transformation (par exemple : miel, produits à base de pistache, fromages de chèvre) ;
→ créer un lieu de distribution et de vente directe de produits diversifiés (légumes, fruits, huile d’olive, produits transformés) et approvisionner une partie de la restauration scolaire de la commune ;
→ développer une animation pédagogique et de bien-vivre ensemble pour les citoyens (ateliers de formation à l’agroécologie, visite de ferme destinée aux enfants) ;
→ mettre en place des activités de « recherche- action » ;
→ et, enfin, insérer des personnes éloignées de l’emploi (dispositif d’insertion professionnelle déjà mis en œuvre sur place par la société coopérative d’intérêt collectif ou SCIC Vigne de Cocagne).

UN PROJET MULTIDIMENSIONNEL INNOVANT

Le levier du foncier agricole

En acquérant le domaine de Mirabeau, la commune de Fabrègues a permis de lever un point de blocage récurrent : le foncier agricole. C’est en effet souvent une difficulté pour les agriculteurs souhaitant s’installer près d’une zone urbaine que de trouver des terres agricoles disponibles et/ou à un prix abordable. Dans un contexte de pression foncière, les propriétaires de biens agricoles sont bien souvent tentés de laisser leurs terres en friches, en espérant qu’elles acquièrent le statut de terrains à bâtir. C’est donc grâce à une politique volontariste et à l’intervention de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) que la commune de Fabrègues a investi dans l’acquisition du domaine. « C’est une dynamique nouvelle que de voir en France des collectivités s’emparer de la question productive et alimentaire », affirme Pierre Gasselin, chercheur à l’Inrae (Gasselin, 2020). L’investissement dans le foncier agricole est également un moyen de favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs, alors que le nombre d’agriculteurs continue de baisser (diminution de 26 % entre 2000 et 2010 selon le dernier recensement agricole).

Un projet sous le prisme de la biodiversité et piloté par le CEN

Les espaces agricoles de la plaine de Fabrègues-Poussan étant majoritairement exploités en viticulture (30 %) et la part des zones construites ayant presque doublé en sept ans, le projet AgroEcoPôle permet de contribuer à la diversification des activités et à la reconquête des friches agricoles, en synergie avec les écosystèmes.

Le CEN, maître d’ouvrage délégué du projet, est un acteur inhabituel dans le développement et l’accompagnement d’installations agricoles. Garant du respect de la nature, il participe à la gestion et à la protection de la biodiversité et des espaces naturels. Dans l’exercice de ses missions, il met en œuvre le principe d’« intendance du territoire » inspiré du land stewardship. Apparue comme une forme alternative de gouvernance de la biodiversité, l’intendance du territoire est une méthode visant à inclure l’ensemble des acteurs d’un territoire dans la gestion des ressources naturelles et de la biodiversité, considérées comme un bien commun.

Un engagement écologique juridiquement sécurisé

Le projet AgroEcoPôle s’inscrit dans le cadre de l’application de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et notamment de l’utilisation d’un nouvel outil juridique, l’obligation réelle environnementale. Cette dernière permet au propriétaire d’un bien immobilier de s’engager sur une base contractuelle au respect d’obligations en vue du maintien, de la conservation, de la gestion ou de la restauration des éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques sur son bien. Ces obligations sont attachées au bien et perdurent en cas de transmission de ce dernier. Sur le domaine de Mirabeau, l’obligation réelle environnementale sera le socle de base nécessaire à l’inscription des engagements écologiques en lien avec l’usage des terres, le CEN étant chargé de contrôler le respect de ces engagements. Les obligations seront déclinées dans les clauses environnementales des baux ruraux à caractère environnemental (BRE) signés par la commune de Fabrègues avec chacun des porteurs de projets. Le contenu des mesures environnementales sera défini par un dialogue entre la commune de Fabrègues, le CEN et chaque porteur de projet en prenant en compte le type de sol, les contraintes de l’activité et les itinéraires techniques. Le bail étant de neuf ans, il faudra prévoir une certaine flexibilité dans la définition de ces mesures afin qu’elles puissent être adaptées au caractère évolutif des pratiques. La question est de savoir si ces mesures pourront être compatibles avec les impératifs de rende-ment nécessaires à la pérennité économique des activités agricoles.

L’économie sociale et solidaire et le « bien-vivre ensemble »

Le projet AgroEcoPôle intègre une dimension sociale et solidaire. La SCIC Vigne de Cocagne est la première exploitation agricole installée sur le domaine. Il s’agit de la première activité d’insertion dans le domaine de la viticulture en France. Mise en place en 2017, cette structure contribue à la réinsertion de personnes éloignées de l’emploi. Par ailleurs, une équipe dédiée aux objectifs de sensibilisation du public et de création d’un lieu de bien-vivre ensemble, pilotée par la commune de Fabrègues, envisage notamment la création à terme d’un tiers-lieu citoyen, d’une guinguette, mais également l’organisation d’ateliers, de manifestations culturelles et touristiques (gîte). Dans cette dynamique, le projet AgroEcoPôle pourrait s’apparenter à un « tiers-lieu agricole », lieu ouvert au public, à la fois espace de production, de vente et de rencontres, où le « faire ensemble », la mixité et le collaboratif sont essentiels (par exemple : le Château de Nanterre ou le 100e singe, près de Toulouse).

Une approche multidimensionnelle et systémique

Si quelques projets de politiques publiques ont permis l’installation d’agriculteurs sur des terrains communaux (Gignac-la-Nerthe, Ramatuelle, la zone maraîchère et horticole de Wavrin), ou ont mis en place un système de régie agricole (Mouans-Sartoux), rares sont les initiatives réunissant sur un même espace l’ensemble de ces « facettes ». Le projet AgroEcoPôle s’insère parfaitement dans la politique alimentaire de la commune. Par l’installation d’agriculteurs en vue d’une production agroécologique, par la mise en place d’un circuit court de produits locaux sur la commune, par l’approvisionnement d’une partie de la cantine scolaire et, enfin, par la volonté de développer une économie circulaire de valorisation des déchets, il réunit les « ingrédients » idéaux pour développer un système alimentaire durable et résilient. Ce domaine fait converger plusieurs politiques publiques : alimentation, écologie et économie sociale et solidaire. Par sa multidimensionnalité, le projet adopte une approche systémique en répondant à différentes menaces à la fois écologiques (érosion de la biodiversité, monoculture, artificialisation des sols, changement climatique) et sociales (isolement des personnes sans emploi) et en travaillant sur différents maillons du système alimentaire (production, transformation, distribution, consommation). Un préalable nécessaire à la réalisation de ces objectifs est la mise en place d’une gouvernance permettant d’articuler de manière équilibrée cette multidimensionnalité.

UNE GOUVERNANCE EN COURS DE CONSTRUCTION

Le comité de sélection

La gouvernance globale du projet est certes classique dans son fonctionnement (comité de pilotage décisionnel et équipe opérationnelle répartie en groupes), mais elle est résolument « inclusive, transversale, fonctionnelle et multi- acteurs » (Langlais, 2018) puisqu’elle permet à une myriade d’acteurs d’origines et de compétences distinctes d’être associés à la construction du projet et de donner leurs avis lors des prises de décision.

Pour sélectionner les agriculteurs du domaine de Mirabeau, un appel à candidatures a été lancé en juillet 2019 et un comité de sélection a été constitué en application du principe d’intendance du territoire permettant d’associer au cœur décisionnel (commune de Fabrègues et CEN) des acteurs aux historiques, compétences et visions de l’agroécologie différentes : l’Institut national de recherche pour l’alimentation et l’environnement (Inrae), la chambre d’agriculture de l’Hérault, Terres vivantes, l’agence recherche et développement de l’insertion par l’économique (ARDIE), mais également Vigne de Cocagne et la Métropole de Montpellier. Ce choix a été délibéré afin de croiser différents regards dans le but de procéder à la sélection la plus équilibrée possible.

À l’issue des auditions finales, quatre porteurs de projet ont été sélectionnés : un projet de maraîchage et arboriculture sous la forme d’association « Jardin de Cocagne », permettant l’insertion professionnelle de personnes éloignées de l’emploi ; un projet en arboriculture (pistachiers, arbousiers, grenadiers) et apiculture ; un projet d’élevage caprin, ovin et de poules pondeuses avec une cage à poules mobile ; un projet d’élevage porcin en plein air (forêt de chênes). La diversité des projets retenus, tous complémentaires les uns des autres, et le schéma de gouvernance multi-acteurs illustrent la volonté du projet AgroEcoPôle de s’inscrire dans une dynamique systémique, dans une logique « écocentrée » puisqu’il s’agit de protéger la biodiversité et l’ensemble des êtres vivants .

Quelques recommandations pour une construction collective

Comment les agriculteurs sélectionnés en vue d’une installation sur le domaine de Mirabeau vont-ils travailler ensemble ? Comment vont-ils s’organiser pour mutualiser et échanger au sein du domaine ? Une première difficulté tient au fait que les porteurs de projet ne se connaissaient pas avant l’appel à projets. L’enjeu est donc double pour eux : apprendre à se connaître et à travailler ensemble. Une deuxième difficulté provient de la diversité des profils sélectionnés : certains issus du milieu agricole et souhaitant se dédier à 100 % au projet, d’autres étant des « néo-paysans » maintenant leur activité principale et s’investissant à temps partiel sur le domaine pour le moment. Il faudra veiller à un équilibre concernant le niveau d’engagement de chacun dans le collectif. Une troisième difficulté découle du caractère public du projet qui questionne la place de la commune de Fabrègues et du CEN vis-à-vis du collectif des agriculteurs. Quel positionnement adopteront ces deux entités dans la construction du collectif ? Par ailleurs, le portage public qui est au départ un avantage peut s’avérer être un inconvénient du fait d’une lourdeur administrative. Ainsi, les délais de mise en action du projet pourraient mettre en difficulté les porteurs de projet qui doivent dégager au plus vite des revenus de leur exploitation agricole. Plusieurs recommandations peuvent être faites.

Le capital humain et la volonté de travailler ensemble

Selon une étude de l’association pour le développement de l’emploi agricole et rural (ADEAR), « la compréhension des mécanismes psychosociaux à l’œuvre dans l’articulation entre les différents projets permet de décrire des étapes spécifiques au développement du collectif et ainsi d’envisager des pistes d’actions pour l’accompagnement » (FNCUMA et AFIP, 2014-2015). S’agissant du projet AgroEcoPôle, plusieurs interactions ont déjà été imaginées : le petit lait des chèvres utilisé pour nourrir les cochons ou le gras des cochons revalorisé dans l’atelier de transformation de charcuterie de chevreaux (Lino, 2020). La coordination de ces interactions reflète déjà une volonté de travailler ensemble et un pas important dans la construction du collectif, dans une dynamique de «  recherche de cohérence agroécologique par la diversité » (Morel, 2018).

Quelle forme juridique ?

La charte éthique des valeurs, qui formalise l’adhésion de l’ensemble des acteurs aux grands principes fédérateurs de l’AgroEcoPôle, constitue le premier socle d’engagement collectif des agriculteurs. Elle vise à favoriser le vivre ensemble ainsi qu’une logique de coopération et d’économie circulaire entre les différentes activités du domaine et à l’échelle du territoire.

À l’échelle d’une exploitation, deux approches peuvent être définies : le « faire ensemble », les agriculteurs s’associant pour produire ensemble, et le « faire avec », qui peut se traduire par un simple partenariat, réseau informel, ou bien encore être le premier pas du « faire ensemble » (Morel, 2018). Suivant ce que les agriculteurs souhaiteront mutualiser (bâtiments, matériel, main-d’œuvre, circuits de distribution, ressources, connaissances), différents outils seront adaptés. Le collectif peut être formalisé juridiquement, mais il peut également rester un système d’entraide informel reposant sur la confiance mutuelle entre les porteurs de projet.

Dans le cas du domaine de Mirabeau, les porteurs de projet ne partageront pas leurs revenus et auront tous une structure juridique propre. Il s’agira donc de trouver le montage approprié pour formaliser la coopération entre ces différentes structures : personnes morales pour certains (association, EARL, SCIC) et personnes physiques (entreprise individuelle) pour d’autres. À titre indicatif, plusieurs solutions pourraient être envisagées :

→ pour mutualiser le matériel : les coopératives d’utilisation du matériel agricole (CUMA) ont pour objet l’utilisation en commun par les agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité. Elles permettent l’achat de matériel en commun ;
→ pour mutualiser la vente des produits sur la ferme, le recours à une association loi 1901 pourrait être une solution simple à mettre en place et permettrait de solliciter de nouveaux types de financement. À titre d’exemple, au sein de la zone maraîchère et horticole du Wavrin, projet impulsé par la Métropole de Lille, les porteurs ont créé l’association « La Voix des champs Bio » afin de mutualiser la vente des produits et d’organiser certains évènements au sein de la zone de production.

Si dans un premier temps la CUMA et l’association semblent être les outils les plus appropriés pour formaliser la mutualisation de matériel et la distribution des produits, dans un second temps, il pourra être envisagé de recourir à une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) permettant d’associer différents types d’acteurs au collectif, tel que cela est prévu pour le projet de la ferme de l’Envol dans le Cœur d’Essonne.

Des outils organisationnels pour gérer les conflits et mutualiser les savoirs

Au-delà du cadre juridique choisi, des outils pratiques de gestion de projet en collectif devront être mis en œuvre. La mise en place de réunions régulières, pour parler des sujets « tabous » (l’argent, le travail, les compétences ou l’engagement, les « quatre tabous du collectif » selon l’association tarnaise de développement pour l’agriculture de groupe [3]) ou encore l’établissement d’un tableau comptabilisant les heures de travail effectuées pour le compte d’un autre peuvent être des outils utiles à la gestion du collectif et prévenir d’éventuels conflits ou éviter des comportements de « free riding » (Morel, 2018). Afin de pallier un éventuel déséquilibre dans les revenus dégagés par chaque exploitation agricole, une cellule pourrait être mise place afin de soutenir l’exploitation ayant le plus de difficultés et éviter des tensions au sein du collectif (Richaud et Lashley, 2020).

Le domaine de Mirabeau ayant vocation à devenir un centre expérimental, les agriculteurs pourraient également prévoir des temps et des espaces pour mutualiser leurs savoirs et connaissances dans une logique participative et inclusive. Ils pourraient organiser des ateliers de co-construction ou fabriquer de nouveaux matériaux dans une perspective d’autonomie technique et énergétique, en suivant l’exemple de l’Atelier paysan et sa Maison des technologies paysannes. Dans cette dynamique d’innovation ouverte, les agriculteurs apprendraient sans cesse et trouveraient des solutions pour améliorer leurs pratiques.

La gouvernance du collectif devra s’adapter au caractère évolutif du projet. Le recours à un éventuel facilitateur externe pourra permettre de prendre du recul.

LE DOMAINE DE MIRABEAU, UN PROJET PILOTE POUR LA TRANSITION AGROÉCOLOGIQUE

Du fait de son portage public, et grâce à ses nombreux partenaires, le projet AgroEcoPôle bénéficie d’un important soutien financier et technique. À titre d’exemple, l’Inrae développe la méthode IDEA (indicateurs de durabilité de l’exploitation agricole) pour une évaluation ex ante permettant d’identifier les potentiels écueils et axes d’amélioration de chacun des projets, dans leur dimension sociale, environnementale et économique. C’est donc la combinaison de ces apports qui contribue à faire de l’AgroEcoPôle un projet particulièrement riche et innovant.

La contrepartie de ce portage public est l’exemplarité dont le projet doit faire preuve en tant que « site pilote de reconquête de la biodiversité ». Il faut pouvoir convaincre les partenaires financiers qu’un modèle de polyculture-élevage en agroécologie est réalisable. C’est l’occasion pour eux de « voir en réel ces nouvelles formes de produire, de distribuer, de consommer. Si on n’a pas des exemples concrets pour dire qu’on va aller vers tel ou tel modèle, cela ne marchera pas, ce ne seront que des paroles en l’air », déclare Mylène Fourcade, maire-adjointe de Fabrègues (Fourcade, 2020). Le domaine de Mirabeau est donc un véritable laboratoire expérimental, un projet pilote.

Pour autant, le projet AgroEcoPôle ne saurait se résumer à un « pôle d’excellence » isolé du reste du territoire. Selon le chef de projet AgroEcoPôle, Fabien Lépine, il doit non seulement représenter une « référence » mais surtout se positionner en véritable « facilitateur de la transition agroécologique à l’échelle du territoire » (Lépine, 2020) en créant des ponts avec les différents acteurs concernés : les habitants consommateurs, les autres agriculteurs de la plaine, les écoles et les autres fermes ressources.

Pour permettre de déverrouiller le système agricole dominant, il est primordial de développer des relations entre les acteurs de la niche d’innovation et les acteurs du régime dominant afin de permettre de faciliter la diffusion des connaissances (Magrini et al., 2014). Cette diffusion et cette dynamique « gagnant-gagnant » ne seront possibles qu’en incluant d’autres agriculteurs au processus de construction de ces nouveaux modèles de production (Lamine, 2012). À titre d’exemple, c’est grâce à l’intervention d’un agriculteur extérieur au domaine que la méthode du « keyline design  », outil de conception cherchant à optimiser l’utilisation des ressources en eau afin de promouvoir les processus naturels de régénération du sol, a pu être déployée sur les parcelles du domaine. Afin de poursuivre cette logique d’interactions à l’échelle du territoire de la plaine de Fabrègues-Poussan, il serait intéressant de conclure avec le reste des agriculteurs un groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE) afin d’étendre les pratiques agroécologiques. Enfin, pour éviter un possible effet de concurrence, les agriculteurs les plus vertueux pourraient être associés à la distribution des produits sur le site de Mirabeau. Une autre possibilité afin de favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs serait d’accompagner le dispositif de formation d’un espace-test en lien avec Terracoopa [4] (domaine de Viviers). L’idée serait de mettre à la disposition d’agriculteurs une parcelle afin de leur permettre de tester une production agricole dans le respect des pratiques agroécologiques déployées sur le domaine de Mirabeau.

Si tant est que les résultats du projet AgroEcoPôle soient à terme positifs, démontrant que la conciliation entre agriculture et écologie est réalisable, la question de la réplicabilité du projet demeure. En effet, c’est grâce à un soutien financier et un appui technique conséquents que le projet AgroEcoPôle aura pu se développer. En l’absence d’un tel dispositif, les résultats seraient-ils les mêmes ?

CONCLUSION

Le projet AgroEcoPôle du domaine de Mirabeau est délibérément ambitieux, puisqu’il réunit différents objectifs : écologiques, de production agricole, sociaux et économiques.

Pour autant, si le projet apparaît brillant et ambitieux sur le papier, les réalités du terrain seront certainement plus complexes. Comment le projet pourra-t-il être pérenne économiquement et s’émanciper du financement institutionnel dont il bénéficie aujourd’hui ? Comment assurer cette vocation de « ferme ressource » nourricière tout en respectant des pratiques agroécologiques en lien avec la préservation de l’écosystème ? Comment le projet AgroEcoPôle pourra-t-il impulser une transition agroécologique en lien avec d’autres fermes ressources en place ou en cours d’installation sur le territoire de la métropole de Montpellier ?

Pour relever l’ensemble de ces défis, le pro-jet AgroEcoPôle devra gagner progressivement son autonomie et démontrer la pertinence d’un modèle de polyculture-élevage agroécologique socialement inclusif. Grâce à une gouvernance structurée et inclusive, il permettra d’associer l’ensemble des citoyens au projet et d’ancrer de solides partenariats dans le paysage agricole et socioéconomique. Ainsi, en développant ces interactions multi-acteurs, le domaine de Mirabeau, véritable miroir des enjeux du territoire, pourra remplir ses objectifs et contribuer à la construction d’un système alimentaire résilient.

Auteure : Flora Pelissier