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Pour un système alimentaire plus durable : le défi de la Maison d’éducation à l’alimentation durable de Mouans-Sartoux 

Julia Lévêque

MOTS-CLÉS : POLITIQUE, ÉDUCATION, RETERRITORIALISATION, ACTION COLLECTIVE, DÉVELOPPEMENT LOCAL

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Les territoires et les villes, dont le poids démographique augmente chaque jour, peuvent peser dans la transition vers des systèmes alimentaires plus durables. Au Sommet de la Terre de Rio en 1992, les collectivités territoriales avaient été encouragées à mettre en place des actions pour le développement durable, regroupées dans un Agenda 21. De nombreux réseaux de villes volontaires et engagées ont commencé à voir le jour, mettant en œuvre sur leur territoire des actions et des modes de gouvernance innovants (Conaré, 2017).

La gouvernance des systèmes alimentaires offre de nombreux intérêts à être organisée à l’échelle territoriale. Les logiques économiques, l’urbanisation, la capacité des sols ou les modes de production varient énormément d’un espace à un autre. Il appartient donc aux acteurs politiques locaux d’accompagner, de créer et de stimuler des initiatives sur leur territoire : relocalisation de la production, agriculture urbaine, réévaluation des plans locaux d’urbanisme (PLU) approvisionnement de la restauration scolaire en circuits locaux ou bio, etc.

Aussi, une gouvernance à l’échelle territoriale facilite la mise en réseau de tous les acteurs du système alimentaire du territoire en question : les particularités culturelles, géographiques et contextuelles peuvent générer des intérêts communs et favoriser l’action collective et l’entraide.

De ce fait, si tous les territoires s’emparaient des enjeux de développement durable, ils pourraient jouer un rôle clé dans la mise en place de nouvelles politiques alimentaires, d’abord à l’échelle locale, puis à l’échelle globale (Figuière et Rocca, 2012).

LA MEAD : QU’EST-CE QUE C’EST ?

Au sein des territoires, de multiples structures et modes de gouvernance en faveur d’une alimentation durable émergent. Dans ce cadre, nous nous intéressons ici à la Maison d’éducation à l’alimentation durable (MEAD) de Mouans-Sartoux, ville de 10 000 habitants située dans les Alpes-Maritimes [Figure 1].

Cette Maison constitue le socle d’un projet alimentaire territorial porté par les politiques locales, auquel tous les acteurs du système alimentaire sont invités à participer.

Genèse du projet

Depuis de nombreuses années, les politiques menées à Mouans-Sartoux sont très marquées par des enjeux de développement durable. La ville favorise une agriculture respectueuse de l’environnement, une alimentation de meilleure qualité en restauration collective et une gestion des déchets plus responsable. Pourtant ce n’était pas forcément gagné d’avance : le territoire est soumis à une forte pression foncière du fait du tourisme et les terres agricoles n’y sont pas abondantes. Ce sont les collectivités territoriales qui ont soutenu, malgré ces tensions sur les usages des sols, les actions en faveur de la durabilité des systèmes agricoles et alimentaires.

Aujourd’hui, l’adjoint au maire Gilles Pérole a eu envie de mener un projet de plus grande envergure : structurer l’autosuffisance alimentaire sur son territoire et faire essaimer ses projets afin d’offrir une alternative durable au système alimentaire dominant. C’est ainsi que la MEAD est née en octobre 2016, rassemblant toutes les actions précédemment conduites par la mai-rie sous un même toit et espérant en accueillir de nouvelles. Bien que le bâtiment qui l’héberge soit encore en travaux, elle existe déjà par sa reconnaissance institutionnelle : le ministère de l’Agriculture l’a agréée en tant que programme alimentaire territorial (PAT) et des agents municipaux ont été affectés à sa gestion.

Fonctionnement

La Maison a vu le jour au sein du service « enfance » de la municipalité en tant que projet alimentaire territorial. La restauration scolaire y était déjà moteur de nombreuses initiatives, ce qui a permis au projet d’être immédiatement en cohérence avec les logiques de développement durable de la ville et de se raccrocher aux acteurs impliqués. Progressivement, d’autres services s’y sont rattachés, comme celui de l’urbanisme ou de l’environnement, afin que les projets puissent intégrer des perspectives plus larges que celles de l’alimentation en restauration collective.

La MEAD est considérée comme un sous-service de la mairie, géré par Gilles Pérole et deux agents municipaux. Ces derniers s’occupent de la coordination et du bon déroulé des actions, mais d’autres personnes peuvent également s’impliquer ou pro-poser de nouveaux projets. Des instances de dialogue sont d’ailleurs prônées par l’équipe, des questionnaires de satisfaction et des enquêtes sont soumis à la population locale afin que ce vaste projet soit construit de manière concertée. Les projets menés se donnent pour mission d’être en totale cohérence avec les besoins sociaux, économiques et environnementaux du territoire.

D’ailleurs, les actions de la MEAD s’inscrivent dans un cadre respectueux du PLU et de l’Agenda 21. Lors de la rédaction de ce dernier, les acteurs du système alimentaire qui étaient volontaires (politiques, agriculteurs, commerçants ou simples consommateurs) ont été intégrés. En plus d’une cohésion à l’échelle locale, le respect des grandes lignes de l’Agenda 21 permet que la MEAD articule ses actions avec les enjeux plus généraux du développement durable.

Enfin, le socle sur lequel repose la Maison est constitué de cinq piliers, représentatifs des valeurs portées par Gilles Pérole et son équipe : « cultiver », « transformer », « éduquer », « chercher » et « essaimer » [Figure 2]. Ces piliers sont à la base de deux types d’actions fondamentales et innovantes au sein des systèmes alimentaires : d’un côté, la MEAD fédère divers projets territoriaux en faveur de l’alimentation durable et, d’un autre, elle cherche à transférer les actions menées sur son territoire d’une échelle locale vers une échelle globale.

LA MEAD, CATALYSEUR DE PROJETS ALIMENTAIRES TERRITORIAUX DURABLES

Comme la MEAD regroupe aujourd’hui divers projets en faveur de l’alimentation durable sur son territoire et cherche à en stimuler de nouveaux, il semblerait que cette dernière remplisse un rôle d’incubateur. L’émergence de diverses initiatives dans un même lieu permet de les catalyser et de faciliter la création d’actions collectives, de processus de coopération ou d’entraide.

Des piliers pour soutenir des projets en faveur d’une alimentation durable

Les trois premiers piliers de la Maison, « cultiver », « transformer » et « éduquer » [Figure 2], sont au cœur de nombreux projets visant à proposer des alternatives alimentaires et agricoles.

L’intérêt porté à la thématique « cultiver » vient de la volonté de relocaliser la production agricole et d’en améliorer la qualité. La mairie a ainsi acquis une régie agricole de six hectares fournissant la restauration collective en produits biologiques toute l’année, réévalué le PLU en triplant les surfaces agricoles, défini treize zones à fort potentiel d’exploitation pour permettre l’accueil de nouveaux agriculteurs, etc. À travers ces dispositifs, la MEAD tend à faciliter l’ouverture à plus de production biologique dans différents domaines, augmenter la diversité des produits offerts par le territoire et ainsi atteindre la souveraineté alimentaire.

Intimement lié au premier champ d’action, le pilier « transformer » cherche à donner au territoire plus d’autonomie alimentaire. Un atelier de transformation et de conservation est en cours de création et, une fois achevé, il sera mis à la disposition des agriculteurs locaux pour leur permettre de diversifier et de valoriser leur production, leur offrant ainsi de nouveaux débouchés. Un atelier de surgélation a déjà permis à la Maison d’accueillir les surplus de production de la régie agricole lors des vacances scolaires, qui ensuite approvisionnent les cantines le reste de l’année. Avec ces actions, la MEAD réussit à ne pas avoir besoin de fournisseurs extérieurs en restauration collective.

La thématique « éducation » est aussi au cœur des préoccupations de l’équipe, qui revendique la vocation pédagogique de la MEAD avec fierté. Selon Laureen Traclet, salariée à plein temps sur la structure, l’essor des projets passe par la sensibilisation et il semble vain de vouloir changer les modes de production et la trans-formation sans inclure les mangeurs (Traclet, 2017). Pour ce faire, des visites du domaine agricole où poussent les légumes de la restauration scolaire sont régulièrement organisées pour les enfants, les élus, les techniciens de collectivité et les agents territoriaux. Des ateliers de cuisine et de nutrition ainsi que des séances de découverte de l’agronomie appliquée ont vu le jour. Un défi « familles à alimentation positive » a également été créé en 2017 pour accompagner l’évolution des pratiques, sans augmenter le budget de chacun… Dans le cadre professionnel, des formations à destination des agents de la restauration collective ont été organisées pour leur permettre de réussir à gérer les changements dans leur cuisine, et d’apprendre à cuisiner les protéines végétales. Au final, de nombreuses actions ont été mises en œuvre pour que chacun, quelle que soit sa position sociale, puisse comprendre le mode de culture biologique et prendre conscience de la valeur des aliments.

Sans pour autant être exhaustive, la liste des projets portés par la MEAD exposée ci-dessus illustre bien l’engagement de celle-ci en faveur d’un système alimentaire plus durable. En créant un espace commun pour toutes ces initiatives, elle a permis que des éléments composites forment un tout cohérent et solide. Cela facilite aussi la recherche de financements nécessaires à leur développement. Ainsi, l’une des forces de la MEAD dans la dynamique territoriale est qu’elle rassemble, fédère et soutient tous ces projets, leur permettant de communiquer et de s’enrichir les uns les autres. Coalisés, ils font sens et ont surtout plus de possibilités de créer de véritables alternatives, solides et viables, au système alimentaire dominant.

La MEAD au cœur d’un processus multi-acteurs

Le fonctionnement de la Maison est également novateur car la structure est ouverte à toutes les personnes intéressées par l’alimentation durable, quelles que soient leur origine et leur fonction : agriculteurs, transformateurs, agents municipaux, techniciens, cuisiniers, familles, scientifiques, acteurs politiques, etc. Ainsi, en plus de coaliser et de catalyser les différents projets menés au sein de la municipalité de Mouans-Sartoux, la MEAD crée un processus de coopération entre différents acteurs : comme les projets concernant la régie agricole impactent les projets des cantines scolaires et ceux concernant la production ou la transformation, toutes les personnes qui sont impliquées dans ces projets vont être amenées à se côtoyer. Le rattachement à la Maison engage ceux qui sont impliqués dans des projets d’alimentation durable à discuter afin de se coordonner et peut être de s’engager dans des actions collaboratives.

La création de partenariats entre une diversité d’acteurs des systèmes alimentaires est cruciale car elle peut permettre de développer des pro-jets multisectoriels et inclusifs. La MEAD pourrait alors remédier à l’un des reproches imputables à certaines mesures qui tendent à modifier les comportements et les systèmes alimentaires, trop guidées par des normes ou des valeurs partagées seulement par le groupe qui les édicte. La coopération permettrait aux projets de sortir d’un cadre qui soit trop politique, trop scientifique ou trop citoyen, les rendant incompatibles avec d’autres initiatives. Selon Jacques Theys, « une des particularités majeures des stratégies locales de développement durable – notamment les Agendas 21 – est en effet de vouloir s’appuyer sur des procédures multiformes de concertation, avec les groupes d’intérêt, les associations, les entreprises ou même l’ensemble de la population » (Theys, 2002). Dans ce sens, il est possible d’envisager que plus des acteurs s’impliquent sur des projets communs, plus leur ancrage sera solide : si une alternative naît des besoins harmonisés d’un producteur, d’un politique ou de consommateurs, peut être aura-t-elle plus de chances de voir le jour.

Cette dynamique de création de partenariats est importante dans la MEAD, qui veut permettre à tous les acteurs du territoire de saisir les enjeux de chacun et également engager la société civile à s’impliquer dans la transition vers des systèmes alimentaires plus durables, notamment au travers de l’Agenda 21. En effet, après avoir établi un diagnostic du territoire, une proposition de document faite par un comité technique a été soumise aux Mouans-Sartois. Ces derniers ont pu s’impliquer au travers d’un forum en donnant leur avis sur les propositions faites, puis au cours d’ateliers en participant à l’élaboration de chacun des axes stratégiques. Finalement, l’agenda mis en place oriente les actions suivies aujourd’hui par la Maison, et crée du lien avec d’autres collectivités suivant les mêmes initiatives. Cette dynamique de cohésion avec d’autres acteurs européens engagés dans la transition agricole et alimentaire permet aux Mouans-Sartois de créer une passerelle entre leurs actions locales et les initiatives globales.

LA MEAD : DU LOCAL AU GLOBAL

Grâce à des projets multisectoriels portés par une grande diversité d’acteurs, les initiatives nées au sein de la MEAD se donnent pour but d’être reproductibles et adaptables sur d’autres terri-toires. L’Agenda 21 permet de s’ancrer dans une dynamique plus large et de fédérer un mouve-ment global, et les deux derniers piliers qui sou-tiennent la MEAD, « chercher » et « essaimer », naissent de l’envie de répandre les projets menés à Mouans-Sartoux.

La recherche en quête d’adaptabilité pour les projets d’alimentation durable

Le quatrième pilier, « chercher », vise à accueillir différents scientifiques pour stimuler une recherche pluridisciplinaire sur l’alimentation durable et développer des projets variés. En stimulant une diversité des approches sur un même sujet, la MEAD espère générer une vision systémique de l’alimentation dans laquelle les projets seront réfléchis pour être adaptables à différents contextes. Différentes disciplines sont rassemblées au cœur de cette démarche : le droit à l’alimentation (avec le programme Lascaux), la sociologie, l’agronomie (Inra d’Avignon), l’innovation durable (Skema Business School) et l’entreprenariat (Imma Terra). La MEAD soutient aussi des programmes de recherche-action en faveur de l’alimentation durable. En produisant des travaux de recherche et en documentant le plus possible les projets ayant eu du succès sur ce territoire, d’autres acteurs pourront ainsi avoir accès aux différentes étapes menées, du diagnostic à l’impact, et se les approprier.

Par ailleurs, la MEAD a inauguré en janvier 2018 un diplôme universitaire (DU), intitulé « chef de projet en alimentation durable ». L’idée est de former les étudiants à la compréhension de tous les enjeux propres à l’alimentation durable. Selon Laureen Traclet (2017), le DU vise également à amorcer des réflexions pour déterminer comment faire bouger les villes en fonction de leurs contraintes et dynamiques propres.

La création de réseau au service de l’essaimage

La volonté d’ « essaimer », dernier pilier de la Maison, repose en grande partie sur sa capacité à développer des partenariats divers. En plus de catalyser les projets, l’autre force de la MEAD réside dans son envie de partager et transmettre ses initiatives à une plus grande échelle pour amener d’autres acteurs politiques à s’emparer du sujet du développement durable.

Il est important d’indiquer que la MEAD jouit de la réputation de Mouans-Sartoux en matière d’initiatives pour l’alimentation durable, notamment grâce au passage des cantines au 100 % bio en 2012. Gilles Pérole est également le président de l’association Un Plus Bio et travaille depuis de nombreuses années à tisser des liens avec d’autres acteurs engagés dans la transition agricole et alimentaire sur différents territoires. Développer des contacts n’a donc pas été très compliqué et depuis que la Maison existe, celle-ci est reliée à de nombreux réseaux et partenariats français et européens, tels qu’AgriURBAN, groupe visant à repenser la production agroalimentaire dans les petites et moyennes villes d’Europe, l’Organic Food System Project (OFSP) porté par les Nations unies et d’autres encore. Le Club européen « Territoires Alimentation Bio » a aussi vu le jour en janvier 2018 à Mouans-Sartoux, où des collectivités de France, d’Espagne, du Portugal, d’Italie, de Bulgarie ou de Norvège sont venues signer leur engagement à partager régulièrement leurs bonnes pratiques et initiatives.

La visibilité est donc une notion essentielle puisque c’est ainsi que la MEAD espère séduire et convaincre. Gilles Pérole et son équipe prêtent attention à organiser régulièrement des rencontres, des ateliers, des expositions, des événements officiels ou encore des débats scientifiques pour rester dynamiques. En générant ces activités sur leur territoire, ils peuvent aussi en profiter pour rencontrer de nouveaux acteurs, créer des partenariats, découvrir des initiatives ou même débloquer des financements. Virtuellement aussi, la MEAD aime être visible : un site Internet lui est dédié, expliquant ses fondements, valeurs et projets. Les initiatives sont également accessibles et détaillées sur le site de la mairie afin que tout le monde puisse comprendre le fonctionnement des actions, les forces et besoins qu’elles requièrent, leur réception après mise en place, etc. Ces détails peuvent s’avérer cruciaux : une diffusion ouverte et facilement accessible des stratégies déjà testées pourrait convaincre quelques acteurs territoriaux plus frileux de se lancer dans la transition en reproduisant des modèles ayant prouvé leur viabilité.

Finalement la MEAD génère bon nombre d’actions significatives dans le cadre d’une diffusion à plus grande échelle de ses projets : co-construction dans une vision systémique, concertations et partenariats avec le plus d’acteurs possible, rencontres et visites de la MEAD, travail de visibilité, etc.

LA MEAD, C’EST POSSIBLE PARTOUT ? LIMITES ET CONTROVERSES

Au vu de ses résultats, la MEAD semble un bon outil pour la transition vers des systèmes alimentaires plus durables : le nombre de projets multisectoriels qui y évoluent et les partenariats développés en sont la preuve. Mais la question qu’il reste à poser est de savoir si la MEAD, si bien accueillie et portée à Mouans-Sartoux, est réellement reproductible sur d’autres territoires. En effet, même si elle se donne pour mission d’essai-mer et de convaincre les autres acteurs politiques de la nécessité de suivre le même chemin qu’elle, cela est-il aujourd’hui pensable ?

Il est important de rappeler que la MEAD de Mouans-Sartoux n’a pas émergé à partir de rien : elle fait suite à une multitude d’actions en faveur du développement durable, puisque depuis 1976 la politique de la ville est portée sur l’écologie et l’amélioration de l’alimentation. Les changements se sont faits progressivement, et il semble que la population, les agriculteurs et autres acteurs du territoire aient pu les assimiler et les adopter. Or, de nombreuses municipalités ne sont pas aussi avancées dans les actions de transition, car la mise en place d’une politique agricole et alimentaire soulève de nombreux défis, même à l’échelle territoriale. Par exemple, la transversalité nécessaire aux projets ou la création d’une coopération multi-acteurs et multisectorielle ne sont pas aisées : il faut que les intérêts de chacun, souvent différents, regardent dans le même sens. La ré-évaluation du PLU et du projet d’aménagement et de développement durable (PADD) amène à interroger les usages des sols. Modifier les zonages change également la valeur des terres : comme un terrain agricole vaut moins cher qu’un terrain constructible, cela peut rendre difficile la réhabilitation des sols dans de nombreux territoires où l’urbanisation fait pression.

Son avant-gardisme et son succès ont fait de Mouans-Sartoux une pionnière concernant les initiatives de ville durable en France. C’est en partie pour cela qu’elle est entourée de partenaires conséquents : de nombreux acteurs de la biodynamie, de la restauration collective, du ministère de l’Agriculture ou d’autres encore appuient Gilles Pérole et son équipe, soulignant ainsi leur connivence envers les valeurs de la municipalité. L’idée de la création d’une Maison d’éducation à l’alimentation durable a eu un fort retentisse-ment auprès de tous ces partenaires, qui y ont probablement vu une opportunité de plus de voir évoluer le monde de l’alimentation durable. Ainsi, le projet MEAD a reçu de nombreux financements qui lui ont permis de voir le jour. Mais ces ressources financières ne sont pas toujours si « faciles » à obtenir et peuvent constituer un véritable frein pour les territoires ne bénéficiant pas de ce soutien.

Les succès de la MEAD reposent également sur la capacité de soutien de la population locale. L’Observatoire de la restauration durable révèle que les Mouans-Sartois ont adhéré aux changements : le gaspillage alimentaire aurait été réduit de 80 % et 85 % des parents d’élèves interrogés disent que la politique agricole et alimentaire de leur ville a changé leurs pratiques alimentaires. Les mesures mises en place semblent efficaces chez les citoyens, ce que l’équipe de la MEAD explique par l’importance accordée à l’éducation alimentaire, troisième pilier de la Maison. Pourtant, l’alimentation n’est pas qu’une question d’éducation. Selon Saadi Lahlou (2005), cette considération repose sur une vision simpliste de l’être humain selon laquelle ce dernier serait guidé par ses désirs et serait pleinement responsable de ses comportements, de sorte que l’éducation ou le renforcement de la motivation suffiraient à guider ses choix. Or, la volonté n’est que l’un des déterminants des comportements alimentaires et de nombreux autres ne dépendent pas de l’éducation du mangeur : des facteurs technico-économiques, psychologiques ou sociaux par exemple. À Mouans-Sartoux, les changements sont intervenus de manière progressive et concertée, donc la population a sans doute pu ainsi faire cohabiter la transition avec ses déterminants alimentaires. Mais si un changement n’est pas suivi par tous, les risques sont nombreux : exclusion de certaines populations, écart de réception des projets, difficultés d’accessibilité, polarisation des pratiques, etc. Ces phénomènes seront plus difficiles à éviter dans des villes plus grandes et plus denses que Mouans-Sartoux.

Des politiques territoriales à affiner

La MEAD peut apparaître pour de nombreux territoires comme une sorte d’utopie, mais il existe des passerelles pour qu’elle puisse être reproductible. Selon Gilles Pérole (2018), son territoire était initialement hostile à certaines initiatives en faveur de la durabilité des systèmes alimentaires : les tensions engendrées par le PLU évoquées précédemment en sont un exemple. Mais en portant les projets d’alimentation durable étape par étape et en s’entourant d’appuis solides, l’adjoint au maire a finalement réussi à instaurer les changements qu’il souhaitait en faveur de la transition agricole et alimentaire.

CONCLUSION

Finalement, l’innovation que représente la MEAD peut être citée comme un exemple de réorganisation des modes de gouvernance alimentaire et de fédération de différentes actions propres à un territoire. La municipalité de Mouans-Sartoux peut servir de modèle pour la complétude de son projet, mais chaque territoire peut lui aussi se lancer dans l’aventure en créant pour commencer au sein de la mairie un service dédié à l’alimentation, qui permettra alors de réunir les projets de développement durable, de mettre en lien les différents acteurs qui y sont impliqués, et sûrement, de voir naître d’autres projets en cohérence avec les premiers. Ce qu’il faut finalement, c’est une volonté politique assez forte pour générer une démarche co-constructive, décloisonner les différents secteurs de l’alimentation et accompagner les territoires dans la transition, tout en prenant en compte leurs spécificités et leurs possibilités.

Auteur : Julia Lévêque