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N°20/ Notre statut pondéral nous rend-il plus vulnérable à l’environnement alimentaire ?

 Marine Mas, UMR CSGA, INRAE, Dijon, France
 Stéphanie Chambaron, UMR CSGA, INRAE, Dijon, France
 Marie-Claude Brindisi, CHU Bourgogne, Dijon, France

Les points clés de ce So What ?

 Tous les individus ont tendance à « aller vers » les aliments de façon automatique, surtout si ces aliments sont à haute densité énergétique. Cela permet potentiellement d’expliquer l’effet obésogène de l’environnement alimentaire occidental.
 Il existerait une vulnérabilité cognitive à l’environnement alimentaire chez certains individus. Cette vulnérabilité ne dépend pas seulement d’aspects conscients et va à l’encontre du stéréotype du « manque de volonté » qui est souvent associé (à tort) aux personnes en situation d’obésité.
 Il semblerait plus efficace d’inciter les individus à consommer des aliments de bonne qualité nutritionnelle, que de les dissuader de consommer des aliments moins favorables pour la santé.

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L’obésité représente une problématique de santé publique importante qui s’accompagne de conséquences socioéconomiques. L’obésité a une origine multifactorielle qui comprend des aspects environnementaux, biologiques, psychologiques et sociaux. Par ailleurs, ses conséquences impliquent des complications physiques, psychologiques et sociales au niveau individuel.

Pour catégoriser les individus selon leur statut pondéral, on utilise principalement l’indice de masse corporelle (IMC). Cet indicateur, basé sur le ratio entre la taille et le poids, permet de définir le statut pondéral dit « normal » (entre 18,5 et 24,9 kg/m²), le surpoids (entre 25 et 29,9 kg/m²) et l’obésité (supérieur ou égal à 30 kg/m²).

Les approches actuelles pour agir sur la problématique de l’obésité visent plusieurs acteurs des systèmes alimentaires, des industriels aux consommateurs, en passant par les filières de soin. Au fil des années, les différentes politiques de santé mises en œuvre dans plusieurs pays occidentaux ont permis de conclure à une efficacité limitée de ces approches.

Dans le cadre de la réflexion sur de nouveaux leviers pour favoriser les choix alimentaires bénéfiques à la santé, un focus est mis sur la façon dont l’information alimentaire est traitée par les individus. En effet, une forme de « vulnérabilité cognitive » à l’environnement alimentaire semble moduler le comportement alimentaire, et représente-rait un potentiel facteur de développement et de maintien de l’obésité.

La psychologie cognitive pour comprendre les comportements alimentaires

La psychologie cognitive est une discipline qui permet d’étudier les grandes fonctions psychologiques de l’être humain, parmi lesquelles les mécanismes sous-jacents aux prises de décisions alimentaires. Elle permet de comprendre comment encourager les comportements alimentaires favorables à la santé. Son angle d’étude se situe à l’interface entre l’individu et son environnement  : c’est par le biais de processus cognitifs (c’est-à-dire des opérations mentales plus ou moins automatiques) que l’individu va percevoir des informations provenant de l’environnement. Il va ensuite trier ces informations pour agir via des comportements (figure 1).

Toutes les informations provenant de notre environnement ne sont pas traitées de la même manière et n’ont donc pas le même impact. Certaines informations vont être traitées de façon privilégiée. C’est notamment le cas des signaux associés à la récompense (plaisir) et des signaux nécessaires à la survie : deux caractéristiques représentatives des aliments !

La diversité et l’abondance des signaux alimentaires auxquels nous sommes confrontés dans notre quotidien (publicités, restaurants, odeurs, etc.) dépassent largement notre capacité de traitement de l’information. Ainsi, certains signaux alimentaires, bien que « non attentivement perçus  », vont influencer nos choix alimentaires. L’étude des processus cognitifs permet de comprendre ce qui se passe lorsque l’individu n’est pas totalement conscient de l’ensemble des informations influençant son comportement. L’objectif du travail réalisé était de caractériser l’interaction entre l’individu et son environnement alimentaire.

Un biais d’approche envers les aliments

Les résultats ont mis en évidence que le comportement face aux aliments (et les processus cognitifs associés en amont – figure 1) sont biaisés par la présence de stimuli alimentaires dans l’environnement et ce, indépendamment du statut pondéral (Mas et al., 2019). La tendance commune à tous les individus est « d’aller vers » les aliments (orientation de l’attention, détection rapide, difficulté de contrôle du comportement), et cette tendance est renforcée lorsqu’il s’agit d’images d’aliments à haute densité énergétique (Mas et al., 2020).

Cette tendance pourrait être utilisée pour prévenir les choix alimentaires de mauvaise qualité nutritionnelle. Ainsi, pour éviter de consommer trop d’aliments gras, sucrés ou salés, on pourrait lutter contre la tendance à aller vers ces aliments. Or, on peut également induire qu’il est plus instinctif d’aller vers des aliments, y compris des aliments de meilleure qualité nutritionnelle, plutôt que de s’empêcher d’en consommer d’autres moins favorables pour la santé. Les messages qui visent à détourner le consommateur de certains aliments ont parfois un effet contre-productif, dit « effet boomerang  », et poussent finalement à une plus grande consommation de ces produits (Werle et Cuny, 2012). Ainsi, privilégier les messages de prévention incitant les individus à « aller vers » les aliments les plus bénéfiques pour la santé serait plus pertinent que favoriser ceux qui inviteraient le consommateur à « éviter » de consommer des aliments trop gras, trop sucrés ou trop salés. De même, augmenter la disponibilité des aliments de meilleure qualité nutritionnelle paraît être un moyen prometteur d’éviter les choix « par défaut », ceux guidés par la tendance automatique de s’orienter vers les aliments à haute densité énergétique.

Un effet omniprésent de l’environnement alimentaire

Les travaux réalisés ont également mis en évidence un effet de l’environnement alimentaire « non attentivement perçu » sur les processus cognitifs qui sous-tendent les comportements alimentaires.

Aucun effet des odeurs alimentaires n’a été observé sur les performances des participants lorsque ceux-ci étaient informés de la présence des odeurs, ni lorsque la mesure portait sur des processus contrôlés (comme l’inhibition du comportement). En revanche, l’exposition non attentive à des odeurs d’aliments avait un effet sur les performances cognitives qui était différent en fonction du statut pondéral des individus. Exposés à leur insu à une odeur de quatre-quarts, soit une odeur signalant un aliment à haute densité énergétique, les participants en situation d’obésité orientaient plus leur attention vers les aliments qu’en l’absence d’odeur. Les participants en sur poids, quant à eux, étaient plus lents à réagir durant les tests cognitifs lorsqu’ils étaient exposés à une odeur de poire, soit une odeur signalant un aliment plutôt à faible densité énergétique, que lorsqu’ils étaient exposés à une odeur de quatre-quarts. Aucun effet des odeurs n’a été observé sur les performances des individus normo-pondéraux.

Ainsi, l’environnement alimentaire a un effet sur la cognition, et cet effet est important même lorsque l’individu n’a pas conscience de la présence des signaux alimentaires qui l’entourent. Cela permet d’expliquer comment l’environnement obésogène affecte nos comportements alimentaires au-delà de notre simple volonté, et ce, même en connaissance des recommandations relatives à l’équilibre alimentaire. Ces résultats illustrent l’influence des choix alimentaires par des facteurs automatiques qui échappent au contrôle et à l’attention des individus.

Ces conclusions mettent en évidence l’importance de continuer à agir sur notre environnement alimentaire en le rendant moins « tentant » pour l’individu afin de pouvoir modérer son effet sur les comportements de choix. Cela pourrait se concrétiser, par exemple, en proposant systématiquement des alter-natives de meilleure qualité nutritionnelle aux produits à haute densité énergétique, et en limitant la publicité pour les aliments gras, salés ou sucrés.

Par ailleurs, informer le consommateur sur les effets plutôt automatiques de l’environnement permettrait de le rendre vigilant vis-à-vis des prises de décisions alimentaires qui ont tendance à être guidées par l’environnement alimentaire. En ce sens, l’alimentation intuitive, une méthode qui vise à une meilleure prise en compte des sensations de faim et de satiété par l’individu au moment de la prise alimentaire, paraît être un moyen prometteur à développer dans le cadre de l’éducation à l’alimentation et de la prévention de la santé.

Finalement, ces résultats vont à l’encontre du « manque de volonté » stéréotypé de l’obésité et très répandu dans la société, notamment auprès des professionnels de santé (Glauser, 2015). Il serait pertinent d’intégrer ces notions dans la formation des soignants et de mieux informer les populations afin de pouvoir réduire la stigmatisation basée sur le statut pondéral.

Une conception du statut pondéral à affiner

Les résultats ont également mis en évidence que les capacités olfactives et cognitives (inhibition, flexibilité mentale) étaient plutôt similaires d’un individu à un autre et ne dépendaient pas du statut pondéral. En revanche, un lien entre un IMC élevé et de plus faibles capacités d’inhibition (c’est-à-dire les capacités cognitives qui permettent d’inhiber le comportement) a été observé (Mas et al., 2022).

Les conclusions de l’étude permettent de mettre en évidence que la définition des catégories de statut pondéral au moyen de l’IMC ne donne pas suffisamment d’informations pour bien comprendre, et donc bien prévenir, l’obésité. Il paraît pertinent d’affiner cette unité de mesure en prenant en compte les facteurs psychologiques, cognitifs, mais aussi sociaux de l’alimentation. Actuellement, la Haute autorité de santé mène un travail en ce sens sur la mise en place de nouvelles recommandations de pratiques à destination des professionnels de santé œuvrant auprès de populations en situation d’obésité. De même, le 4e Programme national nutrition santé [1] vise une meilleure prise en compte des facteurs psychologiques qui favorisent l’obésité.

Conclusions

Ce travail démontre comment l’environnement alimentaire peut influencer les mécanismes de prise de décision alimentaire, de façon automatique et non consciente. Dans un cadre où l’omniprésence d’aliments dans notre quotidien (marketing, messages portant sur la santé et la nutrition, politiques de santé publique) se conjugue avec une augmentation de l’accessibilité de ceux-ci (abondance de commerces, diversification des sources d’approvisionnement, fast foods), ces questions sont importantes et concernent notre santé.

Les résultats soulignent que l’abondance d’aliments dans notre environnement peut influencer les mécanismes cognitifs sous-tendant la prise de décision alimentaire, favorisant automatiquement les aliments à haute densité énergétique et de mauvaise qualité nutritionnelle. Ces effets sont indépendants du statut pondéral des individus et semblent être fondés sur des mécanismes primaires liés à la survie. Tous les individus ont tendance à « aller vers » les aliments de façon automatique, surtout si ces aliments sont à haute densité énergétique. Cela permet potentiellement d’expliquer l’effet obésogène de l’environnement alimentaire occidental. Les résultats mettent en avant des leviers pertinents et utilisables par les politiques de santé publique qui visent à améliorer la santé des individus en passant par une alimentation plus saine. Notamment, il semble plus efficace d’amener les individus à aller vers des aliments de bonne qualité nutritionnelle que de les dissuader de consommer des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle.
Il existerait une vulnérabilité cognitive à l’environnement alimentaire chez certains individus. Cette vulnérabilité ne dépend pas seulement d’aspects conscients et va
à l’encontre du stéréotype du « manque de volonté » qui souvent est associé (à tort) aux personnes en obésité.

Méthodologie

Ce travail combine des méthodes issues de la psychologie cognitive, de la neuropsychologie, de la psychométrie, des sciences des aliments et de l’analyse sensorielle. Des hommes et des femmes de statuts pondéraux divers (normal, surpoids, obésité) et ayant entre 18 et 60 ans ont participé à cinq études. Plusieurs étapes ont permis d’obtenir un échantillonnage d’individus de statuts pondéraux différents et en bonne santé physique et mentale : exclusion des participants ayant une maladie chronique (maladies cardio-vasculaires, diabète, hypertension), un traitement affectant leur vigilance (anxiolytique, antidépresseur ou antipsychotique) ou une maladie pouvant affecter l’olfaction (anosmie, hyposmie, sinusite chronique, rhume) ; exclusion des personnes enceintes ou ayant eu recours à une chirurgie bariatrique (c’est-à-dire des chirurgies visant à réduire ou dériver l’estomac dans un but de réduction du poids) ; à la fin des séances expérimentales, tous les participants ont rempli un questionnaire qui permettait d’évaluer la présence d’un trouble du comportement alimentaire. Les réponses et performances des participants qui présentaient un trouble du comportement alimentaire étaient ensuite exclues des analyses.
1. Pour simuler les effets d’un environnement obésogène attentivement perçu, les participants réalisaient des tests cognitifs sur ordinateur. Les tests comprenaient des images d’objets (contrôle) et des images d’aliments à haute et faible densité énergétique. Les participants avaient pour consigne de détecter l’apparition sur l’écran de certaines images le plus rapidement et le plus précisément possible. Ce procédé a permis de mesurer leurs performances cognitives face aux aliments en notant leur temps de réaction et leur taux d’erreurs.
2. Pour simuler les effets d’un environnement obésogène non attentivement perçu, les participants étaient exposés sans le savoir à des odeurs d’aliments (poire, quatre-quarts) à très faible concentration.
3. Afin de mieux comprendre le lien entre statut pondéral
et capacités cognitives en dehors du contexte alimentaire, les participants ont passé des tests neuropsychologiques.
4. Pour vérifier que le statut pondéral n’avait pas d’influence sur les capacités olfactives, les participants ont passé un test olfactif qui visait à déterminer à quel point ils étaient capables de détecter et d’identifier des odeurs alimentaires et non alimentaires.

 Marine Mas, UMR CSGA, INRAE, Dijon, France
 Stéphanie Chambaron, UMR CSGA, INRAE, Dijon, France
 Marie-Claude Brindisi, CHU Bourgogne, Dijon, France

Références

Référence de la thèse : Mas, M. (2020). Compréhension des processus cognitifs de traitement de l’information alimentaire chez des individus normo-pondéraux, en surpoids et en obésité : influence d’un amorçage olfactif implicite et rôle des caractéristiques individuelles (Numéro 2020UBFCH020) [Thèses, Université Bourgogne Franche-Comté]. https://tel.archives-ouvertes. fr/tel-03141919

Thèse financée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) et réalisée au sein du projet ImplicEAT, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR-17-CE21-0001).

Bibliographie

Mas M., Brindisi M.-C., Chabanet C., Nicklau, S., Chambaron S. 2019. Weight Status and Attentional Biases Toward Foods : Impact of Implicit Olfactory Priming. Frontiers in Psychology, 10.

Mas M., Brindisi M.-C., Chabanet C., Chambaron S. 2020. Implicit food odour priming effects on reactivity and inhibitory control towards foods. PLOS ONE, 15(6), e0228830.

Mas M., Chambaron S., Chabanet C., Brindisi M.-C. 2022. Inhibition and shifting across the weight status spectrum. Applied Neuropsychology. Adult, 1-8.

Glauser T. A., Roepke N., Stevenin B., Dubois A. M., Ahn S. M. 2015. Physician knowledge about and perceptions of obesity management. Obesity Research & Clinical Practice, 9(6), 573-583.

Werle C. O. C., Cuny C. 2012. The boomerang effect of mandatory sanitary messages to prevent obesity. Marketing Letters, 23(3), 883891.

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