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Alimentation durable : de convaincre à combattre

Par Nicolas Bricas

Septembre 2025

Le 16 septembre dernier, se tenaient à Paris les 5èmes Rencontres de l’alimentation durable (RAD), dont la Chaire est partenaire de l’organisation depuis la première édition en 2016. Près de 2500 personnes ont participé, en présentiel ou distanciel. Comme tous les deux ans, l’événement fût riche en retrouvailles et nouvelles rencontres d’acteurs de la société civile, des collectivités territoriales, de la recherche, des entreprises, engagés pour transformer les modèles de production agricole, transformation, commercialisation et consommation alimentaires. La journée a commencé par une conférence inspirante du chercheur en neurosciences et psychologue clinicien Albert Moukheiber sur le gap entre les intentions d’agir et le passage à l’acte. Il a rappelé l’importance des environnements physiques et sociaux pour agir, au delà des seules connaissances et intentions. Puis diverses tables rondes sur des sujets innovants et des expérimentations en matière de démocratie alimentaire et agricole, de simplification des politiques agricoles, d’agro- et de pêche-écologie, de restauration privée, de coopération dans le monde agricole, de santé globale ou de mobilisation des médias, des élus et des entreprises. Des conclusions inspirantes également, d’artistes et d’une agricultrice en bio, insistant, parmi d’autres messages forts, sur l’agriculture comme forme de négociation avec le vivant, dans une approche sensible et pas seulement raisonnée et technique.

Il a été maintes fois rappelé que la grande majorité de la population et des agriculteurs aspirent à changer de modèle agricole et alimentaire et qu’il n’existe pas de résistance fondamentale au changement. En fait, ce sont les conditions incitatives à ces changements qui manquent. Malgré la multiplication des innovations sociales, et on ne les compte plus désormais, le modèle industriel mis en place depuis les années 1950 reste très largement dominant et n’évolue qu’à la marge. Et paradoxalement, en dépit d’une très large aspiration au changement, de la multiplication de preuves de l’intérêt d’alternatives et de l’accélération de l’aggravation des situations environnementales et sociales, on assiste à un recul des politiques dans ces domaines. À cet égard, l’année 2025 aura été l’année de tous les renoncements à des ambitions politiques fortes pour changer de modèle, générant frustration et colère, doutes et découragements.

Le ton général de ces RAD est resté, pour le dire vite, à « comment convaincre et mobiliser ? ». Mais ne s’est entendu que discrètement, dans les couloirs, le fait que la situation a changé depuis deux ans, depuis les précédentes Rencontres. Certes, il faut toujours étendre la communauté des engagés et tisser de nouvelles alliances, notamment avec le secteur de la santé, un thème très mobilisateur pour l’ensemble de la société. Mais il faut reconnaître que désormais l’alimentation durable, la démocratie alimentaire ou l’agroécologie soulèvent de véritables oppositions. Avec des opposants qui se mobilisent pour attaquer les rares institutions cherchant à créer ces conditions incitatives à la transition, qui décrédibilisent les travaux montrant l’impasse du modèle actuel ou qui bannissent les références à l’écologie ou la justice sociale. L’heure n’est donc plus seulement à convaincre mais à combattre. La récente mobilisation historique contre la loi Duplomb et la censure partielle du Conseil Constitutionnel en attestent : les prémisses d’un sursaut citoyen sont palpables. Cela pourrait rendre vraie la phrase faussement attribuée à Gandhi mais en réalité très proche de celle du syndicaliste américain Nicholas Klein en 1918 : « D’abord ils vous ignorent, ensuite ils se moquent de vous, après ils vous combattent et, enfin, vous gagnez ! ».