Accueil > Ressources > Policy briefs / So What ? > N°30 / De quels leviers disposent les collectivités pour agir sur le foncier (...)
Le foncier agricole ne constitue pas pas un champ d’action traditionnel des collectivités locales, si ce n’est à travers les documents d’urbanisme. Pourtant, de plus en plus de collectivités portent des initiatives pour préserver les terres agricoles et soutenir l’installation d’agriculteurs (Baysse-Lainé et al., 2018 ; Perrin et Nougarèdes, 2020 ; Léger-Bosch et Fromage, 2023). Ce document s’adresse aux collectivités territoriales ainsi qu’à tout établissement public souhaitant déployer une action locale sur le foncier agricole. Son objectif n’est pas de lister les compétences des différentes collectivités, mais de rendre compte de la diversité des leviers à leur disposition pour agir sur le foncier agricole, en les illustrant par des démarches réussies. L’étude des initiatives publiées sur la plateforme recolte.org conduit à distinguer cinq familles de démarches.
1. Créer une nouvelle ferme agroécologique grâce au portage foncier
De nombreuses collectivités portent des projets visant à créer une nouvelle ferme, si possible en agriculture biologique, pour relocaliser l’alimentation tout en préservant l’environnement. Ces initiatives concernent le plus souvent des petites surfaces (2 à 8 hectares) mobilisées pour du maraîchage, exceptionnellement plus (jusqu’à 60 hectares) quand les projets impliquent l’installation de paysans boulangers ou de petits élevages. Pour trouver le bon terrain, la collectivité peut mobiliser du foncier public, acquérir des terres ou nouer un partenariat avec une structure de portage foncier, comme Terre de Liens, par exemple. Dans les aires de captage d’eau potable, l’acquisition foncière est parfois cofinancée par les agences de l’eau. Des moyens humains et financiers importants sont requis avant le lancement de la nouvelle exploitation. Il faut ensuite prévoir des diagnostics (agro-pédologiques), des investissements logistiques (accès à l’eau, défrichage, clôtures), la rédaction des appels à candidature et la sélection des candidats, etc.
De tels projets se heurtent souvent aux mêmes défis comme trouver des bâtiments d’exploitation ou d’habitation ou encore soutenir l’intégration du nouveau ou de la nouvelle agricultrice dans la communauté agricole locale, s’il ou elle n’en est pas issu·e. L’information et la concertation autour des enjeux financiers et opérationnels du projet est indispensable, notamment auprès des agriculteurs déjà installés.
Exemples d’initiatives réussies
2. Soutenir l’installation et la transmission par des dispositifs territoriaux
Des dispositifs permettent de faciliter le renouvellement des générations agricoles à l’échelle d’un territoire (métropole, communauté de communes, pays rural ou pôle d’équilibre territorial et rural - PETR - voire département). Ils peuvent prendre différentes formes :
Exemples d’initiatives réussies
3. Relancer l’utilisation agricole de parcelles privées à l’abandon
Pour lutter contre la déprise démographique et agricole et favoriser une revitalisation rurale, des collectivités proposent à des propriétaires fonciers dont les terres ne sont pas exploitées de les louer à des agriculteurs. Cette action publique sur les friches agricoles est le plus souvent motivée par l’enjeu de développement économique local et/ou l’enjeu paysager (éviter la « fermeture » des paysages par le reboisement spontané). Ces initiatives portent généralement sur de vastes surfaces : une ou plusieurs communes, des intercommunalités ou des pays ruraux, des parcs régionaux ou un massif montagneux, par exemple.
Les premières étapes consistent à cartographier les friches à partir de l’analyse de photos aériennes, à vérifier l’état des friches sur le terrain, puis à prendre contact avec les propriétaires pour connaître leurs projets sur ces parcelles. Sur la base de ce diagnostic, plusieurs actions peuvent être entreprises : des négociations avec les propriétaires pour les convaincre de louer leurs terres à des agriculteurs (en recourant parfois à des dispositifs spécifiques comme les associations foncières agricoles ou pastorales) ; des procédures dites de revalorisation des terres incultes ou manifestement sous-exploitées ; voire l’intégration des « biens vacants sans maître » dans le patrimoine de la collectivité. Ces démarches sont souvent cofinancées par les conseils départementaux et les conseils régionaux dans le cadre du Fonds européen de développement régional (FEDER). Malgré tout, les collectivités peuvent manquer de financements pour soutenir les investissements nécessaires à la création d’une nouvelle exploitation (défrichage, clôtures, accès, bâtiments, etc.) ou se heurter à la réticence des propriétaires privés.
Exemples d’initiatives réussies
4. Préserver des paysages agraires patrimoniaux par l’acquisition publique
Dans certaines régions, le problème n’est pas le risque d’abandon des terres en raison de l’exode rural, mais la forte concurrence sur le foncier agricole. La volonté de préserver les paysages façonnés par l’agriculture depuis des siècles justifie leur acquisition par un acteur public. De telles stratégies se retrouvent dans les espaces périurbains (autour de Paris avec l’agence Île-de-France Nature), dans des zones très touristiques, en montagne ou encore sur le littoral (Conservatoire du littoral, conseil départemental). Dans de nombreux cas, l’acteur public qui a acheté les parcelles les loue ensuite à des agriculteurs, avec des clauses spécifiques pour préserver le paysage et l’environnement.
Exemples d’initiatives réussies
5. Sanctuariser les terres agricoles à long terme via des zonages d’urbanisme
Des communes, intercommunalités ou départements sanctuarisent à très long terme l’usage agricole ou naturel de certaines terres grâce à deux zonages : les périmètres de protection et de valorisation des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN) et les zones agricoles protégées (ZAP). Ces périmètres peuvent concerner de grandes surfaces (jusqu’à 13 000 hectares pour le PAEN autour de Lyon). Ils ont montré leur efficacité face à la spéculation foncière et l’étalement urbain, là où les documents d’urbanisme habituels (plans locaux d’urbanisme ou schémas de cohérence territoriale) sont fréquemment sujets à révision. Ces deux types de périmètres protégés ne peuvent pas être modifiés par les collectivités locales elles-mêmes. Tout changement nécessite l’approbation du préfet pour la ZAP ou d’un comité interministériel pour le PAEN. Cette sécurité foncière conforte les investissements agricoles. Toutefois, la mise en place de tels zonages nécessite plusieurs années et peut être risquée politiquement, car les propriétaires fonciers perdent définitivement et sans compensation financière tout droit à construire, sauf si l’activité agricole le justifie.
Parfois, ces périmètres constituent la première étape d’une stratégie agricole à plus long terme. Les collectivités locales préemptent ensuite certaines terres situées dans ces périmètres, soutiennent la création de nouvelles exploitations agricoles ou financent des actions collectives d’agriculteurs inclus dans le périmètre protégé.
Exemples d’initiatives réussies
S’orienter et mettre toutes les chances de son côté
Le tableau ci-dessus montre que parmi ces cinq familles d’action, certaines sont plus adaptées à des territoires ou types de foncier. Elles mobilisent différents leviers d’action publique et ne nécessitent donc pas les mêmes moyens humains et financiers. Anticiper ces moyens, et la temporalité souvent longue des projets fonciers, est déterminant pour leur réussite, tout comme la concertation préalable entre acteurs au sein d’un réseau plus ou moins important selon le projet.
D’autres facteurs de succès récurrents sont évoqués dans les témoignages. Ainsi, l’engagement des élus sera plus ou moins déterminant selon la reconnaissance locale d’une légitimité de la collectivité à agir. Cette légitimité dépend surtout de la taille de l’emprise spatiale du projet et du niveau de vitalité économique de l’agriculture, entre des territoires en déprise et des territoires où la concurrence pour le foncier est forte.
Les moyens financiers sont également déterminants, notamment en cas d’acquisition de foncier. Au-delà, les moyens humains sont cruciaux. En effet, il est important qu’une seule et même personne assure le pilotage et le suivi à long terme de la démarche, que ce soit au sein de la collectivité locale (technicien ou élu) ou d’un organisme extérieur rémunéré pour cette prestation. Un phasage des objectifs à court et à long terme permet d’anticiper les procédures administratives souvent longues et d’éviter la perte de dynamique collective. Par ailleurs, le partenariat étroit entre l’organisme public et une ou plusieurs organisations agricoles est déterminant, tout comme la confiance et la transparence entre les partenaires.
Enfin, au-delà de cette typologie, les cinq familles de stratégies identifiées peuvent se combiner et se succéder. Le démarchage de propriétaires de friches ou la sanctuarisation par un zonage d’urbanisme justifient ensuite, par exemple, l’acquisition publique de certaines terres agricoles pour y installer un nouvel agriculteur, ou la mise en place d’un dispositif territorial pour faciliter le renouvellement des générations agricoles.
CONCLUSION
L’analyse, via la plateforme Récolte, des initiatives foncières menées par les collectivités locales et autres acteurs publics montre une diversité d’enjeux et identifie des facteurs clés de réussite. Les collectivités agissent sur le foncier agricole en déployant un niveau modulable de moyens humains et financiers, qui est fonction de leur légitimité à agir et de leur engagement politique. Les objectifs des projets oscillent entre l’aménagement et la préservation des espaces, la revitalisation rurale, le développement ou le renouvellement des activités agricoles. Les territoires dans leur diversité, de l’urbain au rural, de l’enclavé au touristique, présentent tous des enjeux fonciers agricoles pouvant justifier de telles initiatives. Toutefois, ces actions doivent s’insérer dans une trajectoire de long terme. L’émergence des dynamiques de projets alimentaires territoriaux, de politiques de préservation des ressources en eau et de la biodiversité, ou encore de création d’activités agricoles et rurales sont autant de politiques territoriales avec lesquelles peut s’articuler une stratégie foncière agricole locale.
MÉTHODOLOGIE
Sur les 100 initiatives répertoriées en France métropolitaine par la plateforme Récolte, une analyse transversale a été menée en 2024. Les critères d’analyse étaient : le type de territoire (montagne, plaine, périurbain, littoral) ; le caractère délaissé ou productif du foncier agricole ; l’emprise foncière du projet ; la légitimation et les motivations politiques ; la place de la planification urbaine dans la trajectoire du projet ; l’existence de foncier public ; le type de collectivités ou d’établissements publics porteurs ; la trajectoire du projet ; les acteurs partenaires ; la participation de propriétaires privés et les moyens humains et financiers du projet. Ce travail a permis de mettre en évidence des actions types et des freins et leviers rencontrés par les collectivités.
LE PROJET "RÉCOLTE"
Récolte est une plateforme web créée en 2020 par INRAE et Terre de Liens, qui recense les initiatives réussies sur le foncier agricole menées par les collectivités en France métropolitaine. Chaque initiative fait l’objet d’un retour d’expérience, accessible par une cartographie interactive et un moteur de recherche. Des fiches précisent les dates clés du projet, les motivations des collectivités, les outils mobilisés, les partenaires impliqués, les facteurs de réussite, les freins rencontrés et les résultats obtenus. À partir de cette plateforme en ligne, le projet Récolte favorise l’échange et le partage d’expériences entre élus et agents de collectivités, chercheurs et citoyens. Pour cela, il organise des séminaires nationaux et régionaux, en ligne ou en présentiel. Récolte diffuse également une infolettre sur la gestion territoriale du foncier agricole (trois à quatre éditions par an), pour mettre en avant de nouvelles fiches, des témoignages d’acteurs et des ressources utiles aux praticiens du foncier agricole.