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Vers une gouvernance publique du commerce équitable ? 

Héloïse Billot

MOTS-CLÉS : COMMERCE ÉQUITABLE, RÉGULATION PRIVÉE, GOUVERNANCE PUBLIQUE, LABELS, SOUTIEN LÉGISLATIF

À l’origine, le commerce équitable (CE) est porté par la société civile. Lors de son apparition, le rôle des pouvoirs publics est inexistant. Le CE doit fait face à une concurrence déloyale et à du « fairwashing [1] ». La multiplicité des labels de CE crée de la confusion chez le consommateur. La gouvernance privée du commerce équitable se heurte donc à certaines limites. C’est pourquoi, depuis les années 2000, les pouvoirs publics s’impliquent dans sa gouvernance, et notamment au plan législatif. Par ailleurs, les acteurs du CE souhaitent l’appui de l’État français et de l’Union européenne pour se développer.

Il convient de déterminer si le commerce équitable a basculé vers une gouvernance publique et quels en sont les avantages et les limites. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils s’impliquer dans le CE ?

LE COMMERCE ÉQUITABLE, UNE INITIATIVE PRIVÉE DÉVELOPPÉE SANS LE CONCOURS DES POUVOIRS PUBLICS

Les dix principes du commerce équitable

Selon la World Fair Trade Organization (WFTO), le commerce équitable repose sur différents principes : i) la création d’opportunités pour les producteurs économiquement désavantagés ; ii) la transparence et responsabilité ; iii) des pratiques commerciales équitables ; iv) le paiement d’un prix juste aux producteurs ; v) l’interdiction du travail des enfants et du travail forcé ; vi) des engagements quant à l’égalité des genres, à la non-discrimination et à la liberté d’expression ; vii) de bonnes conditions de travail ; viii) le développement des compétences des producteurs ; ix) la promotion du commerce équitable et x) le respect de l’environnement (WFTO Europe, 2020).

Le commerce équitable ne se résume donc pas à des relations commerciales « justes » mais intègre des dimensions socioéconomiques et environnementales.

La multiplicité des labels et démarches de durabilité

Différents labels et autres démarches privées prônent une juste rémunération des producteurs. Ils se disent solidaires des agriculteurs et respectueux de l’environnement, comme le label Rainforest Alliance ou les labels de commerce équitable. Par ailleurs, des entreprises sans label se revendiquent également équitables, comme Guayapi. D’autres encore utilisent les termes « solidaire », ou « rémunération juste » ou « éthique » plutôt comme éléments marketing, comme le précise Adrien Blondel (Ethiquable) : « Des labels d’entreprise peu exigeants laissent croire à du commerce équitable, ce qui sème le trouble » (Brondel, 2020). Même au sein du commerce équitable, les démarches, critères et points de vue divergent. Il est difficile pour le consommateur de s’y retrouver.

Consciente de cette difficulté et afin de rendre visibles et comparables les labels de commerce équitable, l’association Commerce Équitable France (CEF) a rédigé un guide des labels (Commerce Équitable France, 2019). Ce guide analyse les labels en fonction de leur cahier des charges selon des critères bien définis, comme leur mode de contrôle et leur gouvernance. Pour Julie Stoll, déléguée générale de CEF, les différents labels de CE sont davantage une « biodiversité fertile » que la « jungle des labels » que dénoncent certains journalistes (Stoll, 2020).

La structure du commerce équitable en France

Les filières de CE se structurent en France à par-tir des années 1980. Dans un premier temps, la filière intégrée [2] se construit avec l’appari-tion de la Fédération Artisans du Monde en 1981. En 1984, la centrale d’achats d’Artisans du Monde, Solidar’Monde, voit le jour. Dans un second temps, la filière labellisée prend forme en France. Max Havelaar France est créée en 1992 (et s’intégrera ensuite dans le label Fairtrade International). Jusqu’en 2006, Max Havelaar France a un quasi-monopole sur les filières de CE labellisé. En 2007, l’organisme certificateur Ecocert crée le référentiel ESR (Équitable, Solidaire, Responsable) et son label Ecocert équitable. Par la suite, des marques spécialisées dans le CE apparaissent : la marque Alter Eco est créée en 1999, la Scop Ethiquable voit le jour en 2003. Des initiatives de commerce équitable dédiées aux filières françaises apparaissent, comme la marque « Ensemble, solidaires avec les producteurs » en 1999 (Biocoop) et la marque « Paysans d’ici » en 2011 (Ethiquable). Elles ne portent cependant le nom de « commerce équitable » qu’à partir de 2014, date à laquelle la définition légale du commerce équitable intègre les filières françaises. C’est en 1997 que l’association qui structure le commerce équitable en France est créée, d’abord nommée Plateforme pour le commerce équitable (PFCE) puis Commerce Équitable France (CEF) (Commerce Équitable France, 2020a).

Un élan : le commerce équitable « origine France »

Depuis 2014, le commerce équitable s’est ouvert aux filières agricoles françaises. Il est désormais possible de vendre des produits alimentaires issus de ces filières sous le terme « commerce équitable ». L’apparition du commerce équitable « made in France » sur le marché a redynamisé le commerce équitable en général, alors qu’il était en stagnation. Selon CEF, l’intérêt pour le CE « origine France » a suscité un élan pour le commerce équitable Nord-Sud de la part des acheteurs, distributeurs et consommateurs. Ces effets sont visibles depuis 2016. Actuellement, le marché du CE est en croissance : la vente de produits issus du CE sur le marché français a doublé de 2014 à 2018, passant de 565 millions d’euros en 2014 à 1 276 en 2018 (Figure 1). En 2018, 34 % des ventes sont issues des filières françaises contre 13 % en 2014 (Commerce Équitable France, 2020a).

Malgré la structuration et le développement du commerce équitable, sa régulation par le secteur privé peut conduire à des dérives.

Les dérives potentielles de la régulation privée

La régulation privée du commerce équitable comporte certains risques. La concurrence entre labels de durabilité (dont le CE) peut poser problème dans la mesure où « les mauvais [labels] chassent les bons » selon Raynolds et al. (2007). Les certifications qui maintiennent en grande partie les normes et pratiques existantes ciblent les multinationales, acteurs majeurs du commerce. Les labels sociaux-environnementaux les plus exigeants concernent quant à eux des producteurs et distributeurs de moindre taille et se positionnent sur des marchés de niche. Plus exigeants, ils font face à une pression croissante des certifications moins contraignantes qui captent de plus en plus de parts de marché (Raynolds et al., 2007).

Par ailleurs, le changement d’échelle du CE vers la grande distribution reproduirait les mêmes rapports de force que ceux existant avec le secteur dit conventionnel, notamment en raison des politiques d’achat et d’approvisionnement et des méthodes de négociation pratiquées par la grande distribution (Lecomte, 2007 ; BASIC, 2019).

Connaissant les risques que peut comporter une gouvernance privée du CE (multiplicité des labels, problème de conventionnalisation, changement d’échelle, etc.), l’État français s’est impliqué dans ce secteur.

LES POUVOIRS PUBLICS ET LE COMMERCE ÉQUITABLE

Depuis les années 2000, la gouvernance du CE évolue. L’État français s’engage dans ce secteur à l’origine porté par la société civile.

Son implication est de deux types. Tout d’abord, l’État soutient le secteur sur le plan législatif (voir parties suivantes). Ensuite, l’État s’engage dans le CE à travers différents programmes de soutien aux organisations en France. Il finance partielle-ment des activités de sensibilisation comme la « Quinzaine du commerce équitable » et des projets de développement agricole dans les pays du Sud. L’État aide financièrement le secteur via le Fonds de solidarité prioritaire et l’aide au développement. Aujourd’hui, il soutient également le CE via le ministère des Affaires étrangères et l’Agence française de développement (AFD) dans le cadre de projets à l’étranger, comme le projet Équité en Afrique de l’Ouest. Le commerce équitable est également évoqué dans des pro-grammes scolaires et est soutenu par le ministère de l’Éducation.

Faut-il s’inspirer du bio et créer un label public ?

L’État doit-il aller plus loin et s’engager sur le plan législatif ? Cette question s’est posée il y a quelques années au regard de l’histoire de l’agriculture biologique.

Le cas de l’agriculture biologique

Dans les années 1950, l’agriculture biologique (AB) est issue de mouvements associatifs. Les pouvoirs publics s’impliquent dans la gouvernance de l’agriculture biologique dans les années 1980 en légiférant. En 1983, l’État français reconnaît les démarches privées associatives de l’AB dans la loi d’orientation agricole. Puis, en 1985, le ministère de l’Agriculture fusionne les labels en un label public unique, ce qui aboutit à une vision unifiée de l’agriculture biologique.

C’est en 2009 que toutes les réglementations nationales sont harmonisées à l’échelle européenne. (Fédération nationale d’agriculture biologique, 2020).

Un label public de commerce équitable ?

En 2002, l’État français demande à l’Association française de normalisation (AFNOR) d’élaborer une norme publique de CE. L’AFNOR réunit alors toutes les parties prenantes du secteur du CE (porteurs de labels, distributeurs, entreprises, associations) pour travailler ensemble. En raison de la diversité et de l’hétérogénéité des points de vue entre les membres et par-là d’un manque de consensus, le travail de l’AFNOR n’aboutit à aucune norme. Malgré cela, les travaux menés par l’AFNOR suscitent l’intérêt des parlementaires (Lecomte, 2007).

La mise en place d’un label public aurait certains avantages. Une norme publique permet-trait d’harmoniser les démarches vers une vision commune du commerce équitable. D’après Gérard Godreuil (Artisans du Monde), un label public, unique, faciliterait la compréhension de la part des acteurs extérieurs et des consommateurs. Le travail des acheteurs, dans le cadre d’achats publics, serait alors simplifié (Godreuil, 2020).

Néanmoins, la création d’un label public aurait de nombreuses limites. D’après le délégué général d’Artisans du Monde, il serait « difficile d’intégrer tout le monde », tant les visions du commerce équitable, les cahiers des charges ou le mode de gouvernance peuvent varier (Godreuil, 2020). Par ailleurs, ce label public serait-il une réelle garantie pour les consommateurs et faciliterait-il la visibilité du CE ? Selon Valeria Rodriguez (Max Havelaar France), le système actuel est déjà « bien solide et bien ficelé ». Il est déjà bien reconnu par les consommateurs. « Pourquoi vouloir créer un système sur un système déjà solide et fiable ? » (Rodriguez, 2020). Pour Adrien Brondel, le CE ne repose pas sur des pratiques comme pour l’agriculture biologique mais sur des transactions commerciales, un prix minimum garanti, etc. «  Est-ce que c’est à l’État de définir cela ? Ce n’est pas forcément souhaitable » (Brondel, 2020).

Selon la déléguée générale de CEF, à ce jour il n’y a plus de réelle demande de label public de commerce équitable (Stoll, 2020). Cette idée n’émane ni des consommateurs, ni des entreprises, ni des distributeurs.

D’après le directeur d’Ecocert Fairtrade, avant d’imaginer la création d’un label public il faudrait mettre en place un cadre, faire converger les démarches et avoir un « dénominateur commun » (Lefebvre, 2020).

Après une tentative non concluante de création de norme publique, l’État s’est intéressé à la reconnaissance publique des labels privés de CE.

Une reconnaissance publique des labels, pour bientôt ?

En 2007, l’État crée la Commission nationale du commerce équitable (CNCE). Sa mission consiste à reconnaître les systèmes de garantie et ainsi rendre davantage visible le commerce équitable pour les consommateurs. La CNCE est principalement composée de délégués ministériels et de représentants des acteurs du CE (porteurs de labels, certificateurs, entreprises, réseaux de distribution, ONG).

Cette commission aboutit à la production d’un référentiel de certification des labels de CE. Néanmoins, ce travail n’est pas validé par l’État. Après trois ans d’activité (2010 à 2012) et à la suite d’un renouvellement de mandat, la com-mission n’est plus active. Aucun ministère ne souhaite reprendre ces travaux.

Après la suppression de la CNCE et l’entrée en vigueur de la loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) en 2014, une nouvelle instance est mise en place, la Commission nationale de concertation du commerce (3C). Elle reprend entre autres les attributions de la CNCE. L’une de ses trois entités est dédiée à la reconnaissance publique des systèmes de garantie du commerce équitable. Un document de cadrage est élaboré par ses membres. Comme précédemment, à la suite d’un changement de mandat, la commission ne travaille plus sur la reconnaissance des labels. Aucun ministère ne souhaite entériner les travaux ; «  il n’y a pas de volonté politique pour poursuivre  » précise Laurent Lefebvre (Lefebvre, 2020). Par ailleurs, « la 3C n’est pas l’espace adéquat en matière de reconnaissance des labels de CE. […] Il faudrait une instance plus ouverte sur les questions sociétales » selon Julie Stoll (Stoll, 2020). En effet, tous les acteurs de la grande distribution sont membres de la 3C, il manquerait par exemple les acteurs de l’ESS.

La reconnaissance publique des labels privés de commerce équitable n’est toujours pas mise en œuvre.

Une définition légale du commerce équitable ?

En 2005, le parlementaire Antoine Herth rédige un rapport sur le développement du CE. Il y suggère l’élaboration d’une loi sur le commerce équitable.

La même année, malgré l’échec dans la création d’une norme publique de CE, l’AFNOR aboutit à un consensus entre les acteurs du secteur : une définition du commerce équitable est élaborée. Les principes du CE sont approuvés par une cinquantaine d’organisations. À cette époque, certaines organisations françaises, comme la Confédération paysanne, dénoncent le fait que le commerce équitable est réduit à des relations « Nord-Sud » : les agriculteurs du Nord y ont uniquement un rôle de consommateurs. Ces travail-leurs sont donc exclus de cette définition, alors même que le secteur agricole français est en difficulté (Confédération paysanne, 2010).

En 2014, la définition du commerce équitable est reprise dans la loi sur l’ESS (article 94). La dimension locale et solidaire du CE est alors reconnue. La loi inclut désormais les échanges Nord-Nord et élargit ainsi la notion de commerce équitable. En 2015, le décret n° 2015-1311 de la loi sur l’ESS précise certains éléments liés à la reconnaissance du CE. Par exemple, les systèmes de garantie et les labels doivent respecter différents critères, comme le contrôle des engagements sociaux et environnementaux par un tiers, la transparence vis-à-vis du public, etc. La répression des fraudes contrôle les entreprises. Il est désormais impossible d’utiliser l’appellation « équitable » ou « commerce équitable » si ses principes ne sont pas respectés.

Malgré ces engagements, pourquoi l’État ne s’implique-t-il pas davantage ?

Un secteur complexe pour les pouvoirs publics

La complexité du commerce équitable pourrait expliquer pourquoi les pouvoirs publics ne s’impliquent pas davantage dans ce secteur. En effet, il apparaît difficile de « borner » le CE, tant les systèmes de production et les filières diffèrent. « Le CE, c’est différents pays, différents produits, différentes variétés, différents coûts de production » précise Adrien Brondel (Brondel, 2020). Il est également difficile de « mesurer » le CE, s’agis-sant d’une évaluation sociale, qualitative, portant par exemple sur des exigences économiques (juste prix).

La dimension systémique du commerce équitable nécessite un travail interministériel. Le CE implique différents ministères puisqu’il s’agit de relations commerciales (ministère de l’Économie) en faveur de la justice économique et de la protection de l’environnement (ministère de la Transition écologique et solidaire) à dimension internationale et d’appui aux pays du Sud (ministères des Affaires étrangères). Les filières agricoles sont également impliquées dans le CE depuis 2014 (ministère de l’Agriculture). Cette complexité explique probablement le manque d’engagement des pouvoirs publics dans le CE.

Commerce Équitable France souhaiterait un engagement de la part du ministère de l’Agriculture, qui n’a jamais soutenu le CE. Alors que la FNSEA, le syndicat majoritaire d’exploitants agricoles, prône une plus juste rémunération des agriculteurs, le ministère de l’Agriculture ne semble porter aucun intérêt au commerce équitable « origine France », et ce alors même que 40 % des agriculteurs touchent moins que le SMIC et que de plus en plus de consommateurs attachent de l’importance à une meilleure rémunération des agriculteurs et au consommer local.

Par ailleurs, le caractère international du commerce équitable et du contrôle sur toute la chaîne complexifie ce secteur. L’aspect juridique est ainsi également un frein, souligne le directeur d’Eco-cert Fair Trade (Lefebvre, 2020).

L’État s’est surtout impliqué au plan législatif dans le contrôle des entreprises, la répression des fraudes s’assurant du respect de la loi. Ces évolutions législatives sont-elles suffisantes ?

LES ATTENTES DES PARTIES PRENANTES VIS-À-VIS DES POUVOIRS PUBLICS

Des recommandations pour les pouvoirs publics

Le 22 novembre 2019 avaient lieu les 2e assises nationales du commerce équitable « origine France » (Figure 2). Lors de cette journée, des discussions ont été menées afin d’établir des recom-mandations destinées aux pouvoirs publics. Ces derniers devraient informer et sensibiliser les consommateurs (1er levier). Les membres de CEF proposent une stratégie nationale d’éducation à la consommation responsable et équitable, mise en œuvre par l’État. Ils proposent également qu’il soit obligatoire de passer par un label pour se prévaloir du commerce équitable (Commerce Équitable France, 2020b).

Cette journée de travail a permis d’identifier un 2e levier pour soutenir le commerce équitable. Il s’agit de favoriser l’accessibilité des produits à « haute valeur sociale et environnementale ». Pour cela, CEF souhaite une TVA réduite pour tous les produits labellisés CE. Cela permettrait entre autres d’encourager les entreprises à acheter des produits équitables. En Allemagne, les organisations du CE ont demandé une réduction de la taxe sur le café lorsqu’il est équitable. Il faudrait également que les distributeurs s’engagent à ne pas pratiquer de surmarges sur les produits équitables et biologiques. À l’échelle européenne, CEF propose une prise en charge de tous les services environnementaux par la politique agricole commune (PAC) sous la forme d’une rémuné-ration aux producteurs. En effet, les filières bio et équitable fournissent des services écosystémiques (restauration de la biodiversité ou encore captation de carbone dans les sols). Cette prise en charge encouragerait les agriculteurs à développer une démarche agroécologique (Commerce Équitable France, 2020b).

Des attentes diverses de la part des porteurs de labels

D’autres recommandations ont été identifiées lors de ces assises, plus spécifiquement de la part des porteurs de labels. La responsable plaidoyer de Max Havelaar demande une extension de la loi EGalim au CE : «  Comme on exige du bio, il faut des produits issus du CE dans les cantines  » (Rodriguez, 2020). Il faut donc que les commandes publiques contiennent une part de produits équitables. Pour les porteurs de labels comme Ecocert Fair Trade, il est primordial de reconnaître les systèmes de garantie pour éviter la concurrence déloyale. Cela permet de faire la différence entre une entreprise se disant « équitable » et une entreprise ayant des produits labellisés et donc soumise à un cahier des charges strict, contrôlé, et payant une licence. Les acteurs du CE souhaitent ainsi une application de la loi de manière complète en reconnaissant les labels privés. Cette reconnaissance publique des labels est davantage une priorité pour les labels qui n’ont pas la plus grosse part de marché et sont moins connus des consommateurs.

GOUVERNANCE PUBLIQUE DU CE : À QUELLE ECHELLE ?

L’Union européenne, plus intéressée que l’État français ?

Selon un membre de la direction générale du commerce à la Commission européenne, l’Union européenne (UE) communique sur les labels de durabilité en général (Membre de la direction générale du commerce, 2020). Selon cette dernière, ces labels contribuent au développement durable, c’est pourquoi elle souhaite les promouvoir. Elle favorise les produits « équitables » dans les marchés publics européens : une mention permet par exemple de soutenir le CE. Néanmoins, un label ne constitue pas un critère pour les appels d’offres des marchés publics.

D’après Sergi Corbalán (Fair Trade Advocacy Office), dans le cadre de l’aide au commerce, des rapports sur des projets liés au commerce équitable sont rédigés et publiés (Corbalán, 2020). L’UE s’investit dans le CE en partenariat avec des organisations internationals telles que le Centre du commerce international (ITC). Cette organisation a publié un rapport sur le marché européen des produits équitables et éthiques, afin de servir de base au suivi de l’évolution des marchés.
Dans la nouvelle stratégie commerciale pour le commerce pour tous (2015), un chapitre est dédié à la promotion du CE à travers une délégation qui a entre autres pour mission de promouvoir le CE et de sensibiliser les consommateurs à l’échelle de l’Europe. L’UE s’implique notamment par la mise en œuvre d’un prix offert aux villes européennes les plus engagées dans le commerce équitable et éthique.

À l’inverse de la France, l’Union européenne ne souhaite pas s’impliquer sur le plan législatif, elle n’entend pas légiférer sur une définition du commerce équitable, précise le directeur de Fair Trade Advocacy Office (Corbalán, 2020). En effet, l’UE ne veut pas avoir de rôle moteur dans le commerce équitable, ni harmoniser la législation, ni élaborer sa propre stratégie en matière de CE, car le résultat ne serait qu’une définition assouplie du CE, ce qu’elle ne souhaite pas. Il est de plus ambitieux de vouloir créer une définition européenne de CE : la proposition de loi doit être validée par différentes instances et les lobbies influencent beaucoup les propositions, qui sont alors modi-fiées par la commission.

Cependant, dans la continuité du label « AB » et de l’Ecolabel, pourquoi ne pas créer un label de CE unique européen ? Selon Olivier de Schutter, la réflexion sur le label public à l’échelle européenne semble pertinente du fait de la libre circulation des marchandises au sein de l’UE (De Schutter, 2020). Ce label public européen de CE aurait les mêmes avantages et limites que le label étatique. Mais l’AB et le CE sont deux modèles différents et il n’y a pas de demande à l’échelle européenne de la part des acteurs du CE pour créer une norme publique européenne de commerce équitable.

L’échelle internationale, plus souhaitable que l’échelle étatique ou européenne ?

Selon Sergi Corbalán, une régulation à l’échelle internationale serait sans doute la meilleure solution. En effet, « cela inclurait les producteurs. C’est aussi la philosophie du CE » (Corbalán, 2020). Les plus grands réseaux de CE sont com-posés d’un grand nombre d’organisations de producteurs, à hauteur de 70 % pour la World Fair Trade Organization par exemple. La « voix du Sud est donc très importante » précise M. Corbalán. Il est important d’avoir les producteurs aux commandes du processus de CE. Le CE ne doit pas être «  pensé pour les consommateurs ». La « priorité des consommateurs ne doit pas préva-loir sur celles des producteurs  » souligne-t-il. Une stratégie politique en matière d’alimentation doit combiner les intérêts des consommateurs et des producteurs. À cette échelle, le droit international s’applique. Il n’y a donc pas de problème de multiplicité des droits puisque le droit est harmonisé.

CONCLUSION

Compte tenu des dérives potentielles d’une régulation privée du CE et dans une volonté de développement durable, les pouvoirs publics s’impliquent dans le commerce équitable. Ainsi, l’État français légifère pour protéger le CE. Néanmoins, les acteurs du secteur souhaitent davantage d’implication des pouvoirs publics dans son développement et sa visibilité. L’État français et l’Union européenne auraient un rôle à jouer dans ce secteur par des actions concrètes : une TVA réduite, une PAC qui rémunère les externalités positives ou encore l’interdiction des surmarges par les distributeurs pour les produits équitables et bio. Mais au sein du secteur, les actions et réglementations que devraient porter l’État et l’UE ne sont pas consensuelles…

D’après Benoît Hamon, «  il ne revient pas à l’État d’organiser le CE ni de se substituer aux acteurs eux-mêmes, mais de créer les écosystèmes économiques, réglementaires pour multiplier ce type de liens […] car avec le CE on ne se limite pas à une économie de biens, mais on crée des liens ». Selon lui, « la bonne place de l’État est en bon facilitateur [du secteur] » (Hamon, 2020).

Une gouvernance au niveau international et notamment sur le plan législatif serait pertinente car elle inclurait les producteurs et équilibrerait le rapport entre producteurs et consommateurs.

Auteure : Héloïse Billot


[1Procédé de marketing utilisé par une organisation dans l’objectif de se donner une image de responsabilité éthique trompeuse

[2Dans le cadre de la filière intégrée, toute la chaîne (organi-sations de producteurs, centrales d’achats, boutiques associa-tives spécialisées) adhère de manière volontaire au commerce équitable et est coordonnée par des contrats de filières CE ; les importateurs et centrales d’achats sont spécialisés dans le com-merce équitable.