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18 octobre 2016 

L’émergence des « marchés sans intermédiaires » en Grèce. Résilience des systèmes alimentaires dans une économie solidaire en période de crise (Theodosia Anthopoulou)

Les marchés « sans intermédiaires » sont initialement apparus en 2012 à l’initiative de collectifs de la société civile, en pleine crise économique, suite au mouvement dit « de la pomme de terre ». Depuis lors, ils se propagent rapidement dans toute la Grèce, en même temps que d’autres initiatives alimentaires, telles que les jardins urbains associatifs, les premiers paniers de type AMAP et les épiceries sociales qui s’inscrivent dans le cadre d’une économie sociale et solidaire émergente. Le mouvement « sans intermédiaires » représente une réponse collective par le bas au marché capitaliste dominant. La crise a aggravé les distorsions et les injustices du système alimentaire mondial rendant les consommateurs plus éveillés aux questions suivantes : d’où vient ma nourriture ? qui l’a produite et comment ? De même, ils prennent conscience du fait que l’alimentation devient chère, tandis que la qualité reste médiocre.

Identité, fonctionnement et mission des marchés sans intermédiaires Les marchés sans intermédiaires sont organisés par des collectifs de consommateurs urbains (initiatives de quartiers, associations, entités morales sans but lucratif) mettant en contact direct les producteurs et les consommateurs. Il s’agit de marchés auto-organisés fonctionnant suivant des procédures de démocratie directe pour la prise de décision. L’organisation et le fonctionnement sont exclusivement basés sur le travail volontaire des membres du collectif, l’autogestion et la participation égale. Les producteurs sont tenus d’offrir à l’épicerie sociale du quartier un pourcentage de 2 à 4 % des ventes effectuées sur le marché. Les marchés ont lieu une fois par mois, habituellement tous les premiers dimanche, dans des espaces publics de plein air (places, parcs, parkings, cours d’école). Les ventes sont organisées sur la base de précommandes réalisées dix jours avant le marché à partir d’une liste des produits disponibles. Ainsi, les producteurs peuvent organiser leurs livraisons et les consommateurs s’habituer à prévoir le panier d’achat mensuel en fonction de leurs besoins alimentaires réels.

Ces marchés visent à : i) soutenir les groupes sociaux vulnérables par la coopération et des prix équitables ; ii) changer les habitudes alimentaires par le droit au choix libre des consommateurs, sans l’intermédiation des agents du marché ; iii) soutenir les petites exploitations familiales et donner accès aux productions de régions éloignées qui risquent de disparaître ; iii) construire la solidarité et des liens communautaires dans les quartiers. Comme les collectifs l’affirment dans leurs blogs : « C’est une initiative volontaire de solidarité sociale et non pas une activité commerciale. Personne n’est seul dans la crise. Ensemble, nous pouvons. La solidarité est notre arme ». Le mouvement des marchés sans intermédiaires est bien enraciné dans les grandes villes de Grèce, principalement dans les deux pôles des agglomérations d’Athènes-Le Pirée et de Thessaloniki. Dans la région métropolitaine d’Athènes, on estime à plus de 30 le nombre de marchés organisés dans différentes municipalités. A titre indicatif, dans le cas du marché ouvert du Pirée, sur onze mois d’opérations, on a enregistré : 26 producteurs, 68 étiquettes, environ 1 000 consommateurs et 200 ménages en difficulté bénéficiant d’aide alimentaire pendant toute l’année.

Atouts et contraintes institutionnelles. Quatre ans après le « mouvement de la pomme de terre », les marchés sans intermédiaires sont bien utilisés par les consommateurs grecs pour leurs multiples avantages : accès à des aliments locaux de qualité à des prix abordables, au-delà des canaux commerciaux classiques ; contact direct avec le producteur ; lieu d’interaction sociale et politique ; soutien à l’agriculture grecque ; résistance aux menaces externes de toute nature (politiques, économiques, sociales). Pour les producteurs, ces marchés représentent l’indépendance vis-à-vis des grossistes ; la participation active à la définition des conditions du marché ; du cash-flow en temps de crise ; une forme de soutien à l’exploitation agricole et à l’artisanat local ainsi que la convivialité et l’interaction avec les consommateurs. Malgré leur succès, les marchés sans intermédiaires opèrent de façon informelle, sous permis temporaire des municipalités, car les autorités publiques semblent réticentes à les institutionnaliser. En même temps, la fédération des commerçants des marchés ouverts d’Athènes fait pression pour leur élimination. Fondés sur l’activisme social et politique, les marchés sans intermédiaires ne reflètent pas uniquement une initiative de crise afin de soulager les ménages appauvris en difficulté mais aussi une demande sociétale pour la relocalisation des systèmes agroalimentaires au sein d’une économie sociale et solidaire.

Theodosia Anthopoulou, Professeur de géographie sociale et rurale à l’Université de Panteion, Athènes

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