Accueil > Ressources > Opinions > Le droit à l’alimentation, un droit en friche (Dominique Paturel)
Cet article est le troisième volet d’une série de quatre constituant "Les Chroniques Démocratie Alimentaire". Retrouvez les premier "Démocratie alimentaire : de quoi parle-t-on ?" et deuxième volets "Le Pater-nariat ou la modernisation de l’aide alimentaire".
Par Dominique Paturel, Sciences de Gestion, HDR, INRA, UMR 951 Innovation.
- Juin 2019 -
Le droit à l’alimentation
La reconnaissance effective du droit à l’alimentation est nécessaire pour que puisse ainsi se décliner des actions collectives du côté de la demande sociale mais (et surtout) faire bouger l’offre alimentaire. En outre, la France ne reconnait un droit qu’à travers la loi qui le promulgue : aujourd’hui, il n’existe pas de droit à l’alimentation.
Le droit à l’alimentation fait partie des droits humains reconnus par le droit international. Il permet la protection de l’accès à l’alimentation pour tous, soit en la produisant soi-même, soit en l’achetant. Il est constitutif du Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels (PIDESC), traité international multilatéral, signé en décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies. Le contrôle de l’effectivité de ces droits est assuré par le Comité DESC. Celui-ci analyse les rapports rendus par les états l’ayant signé, tous les cinq ans. À la fin de l’examen, le Comité présente ses recommandations afin que l’État modifie ses lois, politiques et pratiques pour respecter, protéger et réaliser les DESC. La France est le 20ème pays à l’avoir ratifié en mars 2015.
En 2016, le Comité a demandé à la France d’« indiquer les mesures prises pour garantir de manière effective la reconnaissance du droit à l’alimentation dans la législation et sa jouissance dans la pratique ». La France a répondu en indiquant et détaillant la façon dont est financée l’aide alimentaire entre les crédits européens et français. Cette réponse est révélatrice de la conception française qui confond aide alimentaire et droit à l’alimentation : l’assistance à être nourri d’une part et l’accès autonome à l’alimentation d’autre part. Selon la base de données de la FAO (2015), il n’y a en France aucune protection constitutionnelle du droit à l’alimentation ni même du droit à être à l’abri de la faim, ni explicite ni implicite, ni même sous la forme d’un principe directeur.
L’article 55 de la Constitution prévoit que les traités et accords internationaux ratifiés ou approuvés ont une force supérieure à celle des lois. Pour autant, cela n’est pas mis en œuvre et aucune application règlementaire n’existe.
Les propositions issues de l’Atelier 12 (Lutte contre la précarité alimentaire) des États Généraux de l’Alimentation et validées par les participants à une grande majorité mettent en avant la nécessité d’une politique de lutte contre la précarité alimentaire pour « permettre une alimentation digne et de qualité pour tous et l’accès au droit commun » ; pour cela, il est recommandé « un changement de paradigme : passer d’un modèle essentiellement distributif à un modèle prévoyant la coexistence de l’aide alimentaire et de forme d’accès durables à l’alimentation ». Certes, ce n’était pas encore un véritable droit à l’alimentation mais ces propositions actaient une volonté partagée de changement par rapport à la situation actuelle. Or la loi EGALIM du 30 octobre 2018 ne reprend aucune de ces préconisations.
La lutte contre la précarité alimentaire est introduite dans l’article 61, dans les axes de lutte contre la pauvreté et les exclusions existant dans le code de l’action sociale et des familles. De ce fait, la lutte contre la précarité alimentaire est définie comme ayant pour objectif « de favoriser l’accès à une alimentation favorable à la santé aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ». Mais dans la phrase qui suit immédiatement, c’est l’aide alimentaire qui est citée. La lutte contre la précarité alimentaire est également évoquée dans la politique nationale de l’alimentation (PNA), le Programme National Nutrition Santé (PNNS), la déclaration RSE des entreprises et les Projets alimentaires de Territoires (PAT), mais sans se placer dans une véritable perspective d’accès à l’alimentation. De plus, l’article 88 habilite l’État à légiférer par ordonnance pour étendre aux industriels de l’agroalimentaire et à la restauration collective l’encadrement des dons des invendus aux associations d’aide alimentaire.
Si la lutte contre le gaspillage alimentaire correspond à un des besoins pour la transformation écologique, les issues sont suspectes dès lors que la filière de l’aide alimentaire est réquisitionnée comme principal moyen d’écouler les invendus. Ainsi la France réaffirme que l’aide alimentaire est sa façon d’appliquer le droit à l’alimentation en assignant 5,5 millions de personnes à manger les surplus du système agricole productiviste et des industries agroalimentaires.
La participation citoyenne à l’évaluation et au suivi des politiques alimentaires
Le Conseil National de l’Alimentation, instance consultative, émet depuis 1985 des avis pour les différents acteurs du système alimentaire et en particulier pour les pouvoirs publics. Cette instance s’affiche comme le « parlement de l’alimentation » et elle revendique son indépendance quant à ses différents travaux. L’ensemble de ses membres sont nommés et même si le spectre de ces membres correspond aux divers acteurs du système alimentaire, le mode de désignation reste celui de la représentation, sans questionnement quant à l’ancrage de ces experts dans les problématiques vécues par les habitants du territoire français. Par exemple, les opérateurs caritatifs de l’aide alimentaire y sont présents, comme représentants et experts de la question de la précarité alimentaire et aucun espace n’existe pour les destinataires de l’aide alimentaire.
Quant au cadre des Projets Alimentaires de Territoires, mis en avant par le Ministère de l’Agriculture, celui-ci est seulement incitatif et ne prévoit aucun soutien financier. Sur le modèle des Agendas 21, le PAT rassemble des acteurs autour de l’alimentation. Plusieurs projets sont labellisés et l’impact le plus important est celui de l’évolution de la restauration collective dans la recherche d’un approvisionnement de meilleure qualité.
Pour autant, la démocratisation de ces projets à l’échelle des bassins de vie n’est pas au rendez-vous. Il manque des instances décisionnelles décentralisées pouvant exercer une évaluation et un suivi des PAT, à condition que ceux-ci, comme leurs noms l’indiquent, soient orientés de façon systématique vers les conditions dans lesquelles les habitants vont pouvoir accéder à une alimentation saine et choisie. Cette dimension à la fois de décision décentralisée et d’orientation des projets alimentaires respecterait ce que devrait être un droit à l’alimentation effectif et efficient dans un pays comme la France.
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Dominique Paturel