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N°29 / Les modes d’organisation des cantines scolaires au Sénégal et leurs effets socio-économiques

  • Thérèse Gohin, Mastère Spécialisé® « Innovations et politiques pour une alimentation durable » de L’Institut Agro Montpellier et du Cirad, Montpellier, France
  • Seyni Kébé, GRDR Migration – Citoyenneté – Développement, Sénégal

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Points clés

  • La grande diversité des modèles de cantines scolaires tient à la pluralité des contextes locaux et des objectifs privilégiés par les acteurs qui mettent en oeuvre ces modèles.
  • L’organisation des cantines combine différents modes d’approvisionnement en matières premières,
    types de repas, modes d’organisation de la cuisine et modes de gestion et de financement.
  • Aucune cantine enquêtée n’assure aujourd’hui un équilibre financier sans contribution extérieure de partenaires internationaux, l’État n’étant pas encore en mesure de contribuer à cet équilibre.
  • De nombreuses cantines sont lancées sans associer les dispositifs préexistants de restauration scolaire, souvent informels, qui se retrouvent alors concurrencés.

Le Sénégal est un des pays africains qui déploie une politique publique de promotion des cantines scolaires (Tounkara et al., 2024). Mais celle-ci s’appuie encore largement sur les initiatives de diverses institutions qui implantent des cantines au travers de projets : collectivités territoriales, ONG ou agences des Nations unies. Ces partenaires le font avec des modalités très variées qui dépendent de la hiérarchie des objectifs qu’ils assignent à la restauration scolaire, des modes de fonctionnement qu’ils privilégient et des contextes dans lesquels ils interviennent. Une enquête a été réalisée auprès de 21 cantines urbaines et rurales d’établissements publics primaires et secondaires de deux projets mis en œuvre par le GRDR : Amopar et Niamde (voir méthodologie). Elle a été complétée par l’analyse d’une base de données sur les caractéristiques des cantines de ces projets, constituée par divers intervenants dans ce domaine. Cela a permis de dresser une typologie de leurs modes de fonctionnement et d’analyser leurs effets socio-économiques. Plusieurs composantes du mode de fonctionnement ont été distinguées.

L’organisation des approvisionnements en matières premières

On trouve là deux grands modèles. Premièrement, un approvisionnement assuré par les cantines qui achètent leurs ingrédients directement auprès de commerçants ou reçoivent des dons, ou encore qui disposent de produits issus de jardins scolaires ou de champs communautaires. Les achats, souvent sans factures, sont relativement difficiles à contrôler, aussi bien concernant la qualité des denrées que la transparence des fonds mobilisés. En cas d’achats de produits frais, ceux réalisés au marché, au prix le plus bas à chaque fois, s’avèrent les plus économiques.

Deuxièmement, plusieurs cantines s’approvisionnent via un contrat passé avec un prestataire, un commerçant ou une association de producteurs, qui fournissent l’ensemble des denrées. Auprès d’un prestataire, la multiplication des intermédiaires s’avère peu optimale. Auprès d’un grossiste, l’achat est considéré le plus économique pour les denrées non périssables. Avec des organisations de producteurs, le contrat stipule généralement des caractéristiques des produits, notamment l’origine locale et issus d’une agriculture qui se revendique plus saine (usage limité de pesticides), et permet souvent une connexion avec les producteurs locaux. Une sélection par appel d’offre, suivant la logique des marchés publics, favorise des organisations collectives de taille conséquente et les petits producteurs et transformatrices ont alors plus de mal à se conformer aux exigences administratives. Une sélection par conventionnement suite à des visites de terrain peut cependant contribuer à les favoriser. Un contrat écrit plutôt qu’un contrat oral permet aux producteurs de s’engager à produire et de mieux s’organiser. Un contrat à prix fixes qui ne prendrait pas en compte les variations des cours du marché peut désavantager les producteurs et transformatrices et revenir plus cher pour les gestionnaires. D’autres modèles optent alors plutôt pour un contrat à prix variable avec une limite maximale.

Dans de nombreux cas, les cantines rencontrent des difficultés de logistique : le transport des denrées est complexe et coûteux dans les zones enclavées et souvent, son coût n’est pas pris en compte dans les contrats et dans le coût de revient des repas. Le stockage des denrées non périssables se fait à l’école ou au domicile d’un responsable de la cantine ou du quartier. Les produits frais sont généralement achetés au jour le jour mais leur livraison fréquente est chronophage pour le fournisseur.

Le type de repas ou de collations servis

Selon les cas, les cantines servent soit une collation pour le petit-déjeuner entre 7 h et 11 h (sandwich avec une sauce ou bouillie de céréales accompagnée de lait caillé), soit un plat cuisiné plus consistant pour le déjeuner entre 13 h et 15 h, soit les deux.

Le coût de revient de ces préparations est variable selon la qualité et la diversité des ingrédients utilisés. À Rufisque, où le travail des cuisinières est rémunéré, le petit déjeuner revenait en 2023 à 125 francs CFA (0,19 euros) et le déjeuner à 318 FCFA (0,48 €). Dans les autres cantines où le travail n’est pas rémunéré, le déjeuner revenait à 184 FCFA (0,28 €). Pour ces repas du midi, les produits destinés à cuisiner la sauce comportant des aliments frais (poisson, viande, légumes) représentent plus de la moitié du coût de revient du repas comme le montre la figure 1.

La qualité nutritionnelle et sanitaire de ces repas dépend bien sûr de la qualité et de la diversité des ingrédients. Certains partenaires mettant en œuvre des cantines recourent à des aliments importés enrichis en micro-nutriments. Les contrats auprès des producteurs à faible niveaux d’intrants chimiques garantissent une meilleure qualité sanitaire. Mais la qualité sanitaire dépend aussi des conditions de stockage des denrées fraîches, pas toujours adéquates. Un plat local ou un sandwich assurent plus de diversité alimentaire que la bouillie de céréales. Le petit déjeuner permet de réduire les crises d’hypoglycémie et de mieux suivre les cours du matin. Le déjeuner évite aux élèves de rentrer chez eux et limite les retards ou absences aux cours de l’après-midi. La formation des cuisinières permet une réduction de l’huile et une suppression des bouillons cubes, riches en sel et glutamate monosodique dans les plats.

L’organisation de la cuisine

Deux modèles existent :

  • 14 des 21 cantines enquêtées, plutôt rurales, disposent de leur propre cantine dans l’école ;
  • 7 autres établissements, urbains ou péri-urbains, sont livrés en liaison chaude par les cuisines centrales de Rufisque et de Yenne à proximité de ces établissements. Ces cuisines attirent plus facilement des financements des collectivités locales car elles nourrissent un plus grand nombre d’élèves. Mais la logistique, en particulier pour la livraison, est plus complexe. De plus, si ce modèle peut théoriquement permettre des économies d’échelle, il n’entraîne pas toujours une baisse des coûts de revient, notamment lorsqu’il met l’accent sur la quantité et la qualité des repas (plus de légumes et de protéines) et une meilleure rémunération des cuisinières.

Dans les villes, les cuisinières sont généralement des prestataires rémunérées en argent alors qu’en milieu rural, il s’agit plus souvent d’habitantes des villages concernés, travaillant soit de façon permanente, soit en rotation, bénévoles ou rémunérées en nature. Le service est assuré soit par ces cuisinières, soit par du personnel de l’école avec l’aide des élèves.

Dans 14 des 21 écoles visitées, des restauratrices « vendeuses de table » fournissaient, avant l’implantation des cantines, des repas et notamment des sandwichs (sauce niébé, « thon », petits pois) et des produits de snacking aux élèves. Installées auprès des écoles, elles vendent aussi à d’autres personnes extérieures du quartier à l’heure du petit déjeuner, ce qui leur permet d’assurer une meilleure rentabilité. Certaines sont installées dans la cour de l’école et fournissent alors un certificat sanitaire. Ces restauratrices se retrouvent concurrencées par les cantines et perdent alors une partie de leur clientèle et de leur marché, en particulier en milieu rural. Dans certains cas, elles ont même été mobilisées pour préparer bénévolement les collations ou mets qu’elles vendaient auparavant et qui leur assuraient des revenus non négligeables.

Les modalités de gestion de la cantine

Au travers de la diversité des situations rencontrées, on peut distinguer trois principaux modes de gestion :

  1. 1. une gouvernance restreinte qui mobilise un nombre limité de personnes : souvent le directeur de l’établissement, un membre du Comité de gestion des élèves et quelques cuisinières. Bien que ce mode de gestion s’avère efficace sur le court terme, il expose la cantine à des risques de discontinuité en cas de désengagement des personnes impliquées ;
  1. 2. une gouvernance plus ouverte, élargie à des enseignants, parents d’élèves et cuisinières, permettant une meilleure répartition des tâches et des responsabilités, une meilleure réactivité aux besoins des enfants et une plus grande pérennité du service. Ce type de gestion est souvent renforcé par des figures d’autorité locales ou des responsables de projets d’activités génératrices de revenus ;
  1. 3. une gouvernance structurée autour d’une cuisine centrale, sous l’autorité de la collectivité locale (mairie ou Conseil départemental), comme dans les cas des cuisines centrales de Yenne et Rufisque, qui s’engage sur les plans financier et organisationnel. La gestion est assurée par un comité de suivi formalisé, créé par un arrêté de la collectivité, composé de représentants des parents d’élèves, de l’équipe pédagogique et de la collectivité. Ce comité de suivi a l’avantage d’assurer une certaine transparence financière et de garantir une prise de décision collective et autonome.

Le mode de financement des repas

Dans les écoles enquêtées, les repas sont distribués à tous les enfants avec un apport des parents sous forme de cotisations régulières à la cantine, voire de dons monétaires ou en nature plus occasionnels. Compte tenu du poids de l’économie informelle dans le revenu des ménages, aucun dispositif permettant un paiement proportionnel au revenu des parents n’est aujourd’hui disponible.

Ces contributions des parents ne suffisent cependant pas et les cantines mobilisent et combinent d’autres sources de financement : des acteurs de la coopération internationale, les collectivités territoriales, les parents d’élève et, plus largement, les membres des communautés autour des écoles via du bénévolat ou les gains issus d’activités génératrices de revenus, les associations de migrants et parfois des mécénats d’entreprise. L’État contribue encore peu, mais une politique plus ambitieuse de soutien à la restauration scolaire est en cours d’élaboration.

Les aides apportées ne sont pas seulement financières. Elles peuvent être constituées d’octrois de fonciers, par exemple pour les terrains des cuisines centrales, d’infrastructures (bâtiments) et d’équipements (réfrigérateurs, matériel de cuisine) ou encore de denrées. Elles prennent aussi la forme d’un appui à des activités comme des jardins ou des poulaillers scolaires.

Jusqu’à présent, aucune cantine enquêtée ne parvient à assurer son équilibre financier sans soutien des partenaires internationaux. Dans le Département de Rufisque, le coût d’un repas, 300 FCFA (0,45 €), est couvert pour un tiers par les parents, un tiers par la collectivité territoriale et un tiers par un financement extérieur de projet censé être relayé à terme par l’État. Sans cet engagement de l’État, la pérennité des cantines au-delà des durées de projet apparaît impossible. Et c’est cette difficulté de prise de relais qui explique en grande partie la fermeture de nombreuses cantines de projets ces dernières années. D’une couverture de la restauration scolaire qui était estimée à 53 % en 2012, elle est aujourd’hui estimée à moins de 15 % (Diagne, 2023).

Conclusion

La dépendance à une multiplicité de partenaires pour le financement des cantines au travers de projets génère une grande diversité de leurs modes d’organisation. Chaque partenaire hiérarchise en effet des objectifs différents : privilégier l’apport nutritionnel, maximiser le nombre de collations ou repas servis, les proposer au moindre coût voire gratuitement, recourir à une production locale, etc. Et chaque type d’objectifs se traduit par une organisation différente.

Cette diversité de modèles tient aussi aux contextes spécifiques dans lesquels sont créées les cantines. En milieu urbain, la proximité géographique d’écoles, collèges ou lycées permet de faciliter la mise en place de cuisines centrales, ce qui n’est pas possible en milieu rural. Dans les zones rurales, qu’elles connaissent un fort exode ou que la communauté villageoise y reste structurante, la contribution financière de la diaspora et de la communauté est possible. Alors qu’elle est plus difficile en ville, milieu socialement plus hétérogène. La contribution des collectivités territoriales est également variable selon leurs moyens financiers, très limités, et leur engagement politique. Seule une politique nationale qui établirait une hiérarchie spécifique d’objectifs, et qui couvrirait les coûts aujourd’hui pris en charge par les partenaires de coopération, permettrait de faire émerger des modèles consensuels tenant compte des différences de contextes.

Cette analyse révèle enfin que, dans de nombreux cas, les cantines sont mises en œuvre sans véritablement tenir compte des dispositifs de restauration scolaire préalablement existants, généralement informels. Les vendeuses de collations ou de mets, installées aux abords ou dans les écoles, pourraient représenter des partenaires. Si besoin, elles pourraient être formées par exemple sur la qualité nutritionnelle de leurs préparations, sur l’origine des matières premières utilisées ou encore sur les règles d’hygiène lorsque cela est nécessaire. Elles pourraient être subventionnées pour améliorer l’accès à une alimentation de qualité pour tous les enfants. Ne pas tenir compte de leur existence fait courir le risque de les concurrencer, de menacer leurs activités et leurs revenus, alors même qu’elles constituent un lien entre l’école et le quartier.

Méthodologie

48 entretiens qualitatifs ont été réalisés dans 21 écoles publiques (15 élémentaires, un collège, cinq lycées) des Départements de Rufisque, Oussouye, Bignona, Ziguinchor, Bakel et Kolda, ainsi que dans les cuisines centrales de Yenne et de Rufisque. Ces cantines ont été créées avec les projets Amopar (Appui à la mise en œuvre du plan alimentaire du département de Rufisque) et Niamde (Programme d’appui à la résilience des systèmes alimentaires qui se traduit par l’implantation de 57 cantines dans dix Départements du pays), tous deux co-financés par l’Agence française de développement. Les entretiens ont été réalisés avec les présidents des comités de gestion des écoles, des membres de l’association des parents d’élèves, des responsables de cantines, des directeurs d’écoles, des cuisinières, des fournisseurs (producteurs, transformatrices) et des représentants de collectivités territoriales. Des entretiens ont également été menés auprès d’acteurs institutionnels ayant des programmes de restauration scolaire en cours et de la Division des cantines scolaires (Dcas), rattachée au ministère de l’Éducation nationale. Enfin, les auteurs ont participé à des réunions de lancement bilan de cantines.

Références

  1. 1. Diagne A., 2023. Étude de cas sur les programmes nationaux d’alimentation scolaire et la transition au Sénégal. Rapport du CRES pour le PAM, 44 p.
  1. 2. Gohin T., 2023. Les modes d’organisation des cantines scolaires au Sénégal et leurs effets socio-économiques. Une étude sur des cantines de six départements des programmes Niamde et Amopar. Mémoire de mission professionnelle réalisée au GRDR Sénégal, préparé sous la direction de Nicolas Bricas et Seyni Kébé pour l’obtention du diplôme de Mastère Spécialisé « Innovations et politiques pour une alimentation durable » de L’Institut Agro Montpellier et du Cirad. Montpellier, 68 p.
  1. 3. Tounkara S., Kébé S., Hathie I. & Tall L., 2024. School Meals Case Study : Senegal. Working Paper. London School of Hygiene & Tropical Medicine. DOI : https://doi.org/10.17037 PUBS.04672263

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