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Le Hameau des Quatre-pilas  

Pauline Fournis

MOTS-CLÉS : FRICHE, INSTALLATION PROGRESSIVE, COMMUNE PÉRIURBAINE, PROJET MULTI-ACTEURS

En 2015, la nouvelle équipe municipale de la commune de Murviel-lès-Montpellier, comprenant 2 000 âmes à l’ouest de Montpellier, décide d’ancrer sa politique de redynamisation du village dans une vision agroécologique. La maire et son équipe souhaitent faire revivre le passé pastoral des terres de l’ancien mas languedocien des Quatre-pilas en rénovant un ensemble de bâtiments et en y favorisant l’installation d’un éleveur et d’un apiculteur.

Le projet est en fait le résultat de la rencontre d’intérêts divers et de l’expertise croisée de multiples acteurs, allant de Terres vivantes 34, association d’aide à l’installation bien implantée dans l’Hérault, jusqu’au conseil départemental.
Comme en fait part Isabelle Touzard, maire du village, « installer des agriculteurs est une entreprise compliquée » (Touzard, 2022). Elle est pourtant primordiale dans un contexte où le nombre d’exploitations chute en Hérault comme partout en France – moins 100 000 exploitations en 10 ans, soit une baisse de 21 % selon le dernier recensement agricole.

À quels enjeux répond ce projet ? Quels ont été les facteurs de succès de la redynamisation du hameau des Quatre-pilas ? Quels enseignements en tirer pour l’installation d’une agriculture de proximité et durable par les municipalités ?

UN PROJET MULTI-ACTEURS POUR INSTALLER UNE AGRICULTURE DURABLE AVEC UN BUDGET LIMITÉ EN ZONE PÉRIURBAINE

Il serait réducteur de penser que réinstaller des agriculteurs signifie uniquement produire de la nourriture en local. Nous allons voir que le projet des Quatre-pilas répond à de nombreux enjeux, et est le résultat de l’action de plusieurs acteurs, chacun portant une brique importante pour le succès de ce projet.

Des enjeux économiques et écologiques
Changement de projet avec la nouvelle équipe municipale
À Murviel comme partout en France, le nombre d’exploitations agricoles a chuté, passant de soixante à dix-sept en moins de 40 ans. Certaines parcelles laissées à l’abandon sont en proie à l’embroussaillement progressif, ce qui a tendance à « refermer » les paysages. Ces friches en zones de garrigues sèches comme à l’ouest de Montpellier représentent un risque d’incendie important, et s’accompagnent parfois de l’invasion de ravageurs comme les sangliers, menaçant les exploitations alentour.

La mandature précédente avait acquis 38 hectares de terres au nord du village, en apparence incultes mais bien desservies par l’autoroute (Figure 1), pour y faire construire un parc d’attraction. L’équipe municipale actuelle s’est justement fait élire sur un projet d’opposition pour Murviel : elle souhaitait lutter contre la métropolisation et redynamiser le village en attirant une population prête à s’installer sur le territoire, et à porter une vision agroécologique.

Proposer un projet de redynamisation…
Une cave coopérative avec accompagnement à la vinification, un espace de coworking et une salle de concert sont en cours de réflexion en plus de la réhabilitation du hameau des Quatre-pilas pour redynamiser le village.

La mairie souhaitait redécouvrir le passé pastoral du village en aidant des paysans avec un projet agroécologique à s’installer. Cela signifiait pour elle à la fois préserver un patrimoine historique et naturel important, et répondre à la demande de paysans en recherche de terres. En effet, l’installation pour les porteurs de projet en bio ou en agroécologie non issus du monde agricole se confronte à un accès difficile au foncier (Fermes en vie, 2021).

… ancré dans une vision agroécologique
Les terres agricoles en France, et notamment celles situées près du littoral (Perrin et Nougarèdes, 2020) sont soumises à une dynamique d’artificialisation : c’est-à-dire que sous la pression urbaine croissante, leur vocation agricole est modifiée au profit d’usages industriels, résidentiels et touristique (Figure 1). En 10 ans, près de 600 000 hectares ont été artificialisés en France. Zéro artificialisation nette à l’horizon 2050, c’est l’objectif adopté par le Parlement dans la loi Climat et Résilience. Limiter la bétonisation permet de préserver des îlots de fraîcheur, de préserver la biodiversité, les capacités de rétention, de filtrage d’eau et de dégradation de la matière organique dans les sols, et plus généralement de bénéficier des nombreux services écosystémiques fournis par le sol, comme le contrôle de pathogènes, la dégradation de polluants ou la fixation des nutriments (Fosse, 2019).

Voilà pourquoi il importe de s’occuper d’installation agricole au-delà de l’enjeu de production alimentaire, et pourquoi Murviel-lès-Montpellier s’est lancée dans ce projet.

Comment cette installation a-t-elle été rendue possible ?
Une mairie en maîtrise foncière, Terres vivantes 34, les Girard et l’Abeille vagabonde
Le projet est le résultat d’une conjonction d’intérêts variés (Figure 2).

À l’origine, la mairie, qui possède les 38 hectares décrits plus haut, entre en contact avec Terres vivantes 34, une association d’aide à l’installation orientée vers des projets d’agriculture diversifiée et paysanne. Celle-ci est bien connue des acteurs du monde agricole et de la maire du village, qui est aussi vice-présidente de la Métropole en charge des sujets de transition agroécologique.

Après une visite de l’association sur le hameau, les terres peu irrigables et l’histoire des lieux incitent l’équipe à choisir un éleveur caprin. L’élevage extensif est en effet le mieux adapté pour valoriser ces garrigues. La famille Girard était en recherche de terres et en contact avec l’association Terres vivantes 34 depuis plusieurs années. C’est l’association qui présélectionne les candidats et les fait rencontrer l’équipe municipale. La première rencontre entre les éleveurs et la terre met les larmes aux yeux de la famille Girard : ce sera elle qui sera choisie. Des liens se créent assez naturellement avec une exploitation viticole située un peu plus haut : les chèvres viennent brouter dans les inter-rangs pour débroussailler. Aujourd’hui, l’éleveur mène une activité pérenne avec ses soixante-dix chèvres, salarie une personne, a construit en 2019 un laboratoire de transformation et écoule tous ses fromages entre les marchés et la cantine de Murviel.
En 2019, c’est le couple Lionel et Fanny de l’Abeille vagabonde qui s’installe à son tour sur une partie de la parcelle du hameau et dans un bâtiment rénové. Ils étaient eux aussi en lien avec Terres vivantes 34.
La mairie a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour trouver d’autres porteurs de projet sur d’autres types de cultures ou d’élevages, dans l’idée d’implanter une agriculture diversifiée.

Département, CEN et compensation environnementale
Un deuxième bâtiment sur la parcelle appartenait au conseil départemental. Il l’a cédé à la mairie contre un euro symbolique et un bail emphytéotique sur la parcelle en 2018.

Dans le cadre de son projet de liaison intercantonale d’évitement du nord (LIEN) ayant pour but de désengorger la circulation dans la métropole de Montpellier, le département de l’Hérault est soumis à l’obligation d’éviter, réduire, puis compenser les impacts environnementaux d’un tel projet d’aménagement. Le projet des Quatre-pilas pourrait fournir au Département une parcelle accueillant des mesures compensatoires pour son projet d’aménagement.

Est alors mandaté un autre acteur relativement méconnu de la gestion des espaces agricoles : le conservatoire des espaces naturels (CEN) Occitanie. En Occitanie, sur les 36 000 hectares d’espaces naturels ou semi-naturels gérés et protégés par le CEN, 80 % sont en réalité des terres agricoles (Lévèque, 2022). Au moment de la rédaction de cette synthèse, le CEN était encore en cours de contractualisation avec l’éleveur occupant la parcelle de compensation : l’idée est d’y intégrer une forte conditionnalité environnementale afin d’utiliser l’agriculture présente sur la parcelle comme un catalyseur de biodiversité. Des pratiques agricoles respectueuses de la nature et de la biodiversité – comme dans le cas de l’élevage extensif – sont en effet un bon soutien aux cycles écosystémiques.

De nombreux projets d’installation ont fleuri dans les environs de Montpellier ces dernières années, voyons maintenant leurs similarités et les perspectives de réplicabilité.

ANALYSE COMPARATIVE ET OBSTACLES À LA RÉPLICABILITÉ

Multiplication des projets d’installation par les mairies ces dernières années
De plus en plus de communes s’intéressent au type d’agriculture pratiqué sur leur territoire, par conviction écologique, parce que l’agriculture a des impacts sur la qualité des eaux, le maintien de la biodiversité, l’environnement de vie des habitants, ou en réponse à une demande de la part des citoyens.

Récemment, dans le cadre du développement de projets alimentaires de territoire poussé par le plan France Relance et la politique agroécologique et alimentaire de Montpellier Méditerranée Métropole, de nombreuses communes ont été motrices dans l’implantation de projets agricoles. On peut citer l’AgroEcoPôle à Fabrègue, les agriparcs des domaines de Viviers et du Mas Nouguier, des projets à Grabels, Lavérune, etc. Combinant des fonctions de production à petite échelle, de protection de la biodiversité, de vente directe, parfois de recherche-action et d’accueil du public, certains de ces projets ont bénéficié d’un fort accompagnement, notamment financier dans le cas de l’AgroEcoPôle (Pellissier, 2020).

Les communes sont intervenues sur le fond des projets et le type de modèle agricole développé, souvent une agriculture paysanne et diversifiée. Elles l’ont fait en partenariat avec d’autres acteurs du monde agricole comme Terres vivantes 34 ou Terre de Liens, pour trouver un agriculteur, être accompagnées sur les pratiques agroécologiques ou l’acquisition de terres.

Les spécificités des Quatre-pilas comparées aux autres projets d’installation dans le département
L’installation progressive : un dispositif mieux adapté que l’installation « clé en main » pour les municipalités à petit budget et pour les agriculteurs démarrant leur activité
Pour être rapide et parce qu’elle avait des moyens limités, la mairie a fait les travaux minimum pour installer la famille Girard avec un bail rural à loyer très modéré : clos couvert, branchements d’eau, d’électricité ; par la suite l’agriculteur a lui-même amélioré ces installations (construction du laboratoire de transformation de fromages) en faisant au fur et à mesure de l’augmentation de ses capacités d’investissement et avec l’aide d’une levée de fonds auprès de particuliers.

Pour les agriculteurs, l’intérêt est donc de s’installer avec un loyer très peu cher en début d’activité. Le bail rural a cet autre intérêt de rétribuer les améliorations foncières à la fin du contrat. Les travaux minimum évitent aux petites mairies de passer des appels d’offre qui peuvent être lourds, et limite leur prise de risque avec un investissement léger. Isabelle Touzard explique qu’il est néanmoins primordial d’être très clair dès le début avec les agriculteurs sur le contrat à venir (travaux minimum réalisés par la mairie, reste à payer par l’agriculteur lui-même) et sur les conditions urbanistiques (forage, raccordement électrique possible ou pas).

Contrairement à Murviel, l’AgroEcoPôle a bénéficié d’un important portage financier et d’un accompagnement technique conséquent. Cela a permis à l’équipe projet de multiplier les ambitions avec certainement plus de facilité qu’à Murviel. Mais l’importance des soutiens financiers de départ pose la question de la pérennité financière du projet, une fois que les subventions s’arrêteront. D’autre part, il a été remarqué, dans le cas du projet d’espace-test à Mirabeau, que les porteurs de projet s’installant dans des projets « clés en main » sans être à l’origine du projet, pouvaient manquer des retours d’expérience d’autres agriculteurs plus expérimentés. Enfin la multi-dimensionnalité de ces projets pourrait justement en être la limite : vouloir surcharger les projets agricoles de trop de dimensions pourrait être à l’origine d’une grande pression à la réussite, pour les agriculteurs comme pour les mairies. Or les équipes municipales se regardent les unes les autres, ajoutant à la pression.

Maîtrise foncière et bâti sur la parcelle
La mairie de Murviel a souhaité rester propriétaire du terrain et du bâti afin de garantir leur destination agricole même si les agriculteurs se désengagent. Pour la maire, il était intéressant de pouvoir rénover le bâtiment présent sur le hameau pour y installer un logement, un laboratoire de transformation, ou des bâtiments de stockage. Cela importait également à Fanny et Lionel de l’Abeille vagabonde d’avoir un logement intégré dans le bail rural. Le fait d’avoir un logement et des bâtiments de stockage sécurisés sur la parcelle nous a été rapporté comme étant un facteur facilitant de l’installation des agriculteurs.

Des limites à la réplicabilité
Nécessité de compétences variées
L’équipe municipale de Murviel a tout au long du projet joué un rôle central de coordination d’acteurs. Mais on voit bien par la multiplicité des acteurs mobilisés que cette coordination a exigé des compétences variées : ingénierie financière, juridique, administrative. Pour expliquer le succès du projet, outre le fait que la mairie était en maîtrise foncière , Isabelle Touzard met en avant son équipe municipale, et le fait qu’elle était déjà bien intégrée au réseau des acteurs agricoles par son expérience professionnelle et sa casquette de chargée de la transition agroécologique à la Métropole. L’acquisition des compétences et expériences nécessaires est pour elle l’une des principales limites à la diffusion de ce genre de projets pourtant très intéressants, notamment du point de vue financier, pour les petites communes qui possèdent du foncier agricole.

Une innovation « située » : composer avec le regard des agriculteurs alentours
Un autre point d’attention par rapport à la réplicabilité de ce projet tient dans le fait qu’il est situé dans un contexte géographique et historique. Les acteurs en présence, les nouveaux et les anciens, leurs relations et le contexte historique expliquent en grande partie la réussite des Quatre-pilas mais auraient bien pu en faire un échec. Il nous a été en effet rapporté une forme de jalousie et un sentiment « d’injustice » de la part de porteurs de projet concurrents à la famille Girard. Dans ce cas, il s’agissait d’un projet d’œnotourisme sur la parcelle des Quatre-pilas, venant agrandir l’exploitation viticole voisine. Le choix d’y implanter la ferme caprine a créé une forme de crispation entre les agriculteurs qui a fait échouer une vente ultérieure, intervenant dans le cadre du projet de cave coopérative. Le succès de tout projet porté par la mairie tient aussi à la réception du monde agricole existant.

La compensation environnementale : attention au nouvel eldorado
Le projet du hameau des Quatre-pilas doit à terme intégrer, comme nous l’avons vu plus haut, une mesure de compensation environnementale pour un projet départemental. Combiner environnement et agriculture au sein de projets – de compensation ou pas – semble être une piste intéressante pour obtenir une expertise agroécologique de la part du CEN pour des communes en maîtrise foncière qui en sont dépourvues. Du côté du CEN, travailler avec le monde agricole est devenu incontournable.

Comme l’indique le CEN Auvergne, « s’ils ne sont pas eux-mêmes agriculteurs, [les CEN] ont compris depuis longtemps que l’on ne peut pas enrayer la chute de la biodiversité sans coordination avec les acteurs de l’espace rural [comme les collectivités territoriales] et en particulier les agriculteurs. De même, ces derniers ont besoin de faire évoluer leurs modèles afin de répondre aux attentes sociétales : ils savent que la biodiversité peut être un atout et une alliée de poids » (Conservatoire des espaces naturels, 2021). Le CEN met cependant en garde contre l’idée de promouvoir la mesure compensatoire comme modèle de financement agricole : cela ne doit intervenir qu’après avoir évité et réduit au maximum les impacts des projets d’aménagement. En effet, le premier risque de la compensation est de donner l’illusion que les pertes engendrées par un projet d’aménagement lourd comme le LIEN peuvent être compensées à l’identique sur un terrain voisin. Le second est de voir apparaître une forme de marchandisation de la nature par l’émergence d’opérateurs économiques spécialisés dans la compensation.

Nous avons donc vu que la réhabilitation des Quatre-pilas était un projet original et intéressant dans le paysage des projets menés par des collectivités car réplicable par des communes à budget limité, mais qui nécessitait un arsenal de compétences difficilement disponibles en interne pour ces mêmes mairies. Quelles pourraient être les leçons à tirer de ces projets pour le futur de l’installation agricole par les collectivités ?

DES PISTES POUR LE FUTUR DE L’INSTALLATION PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Au niveau des mairies
Bien se préparer et prendre garde aux « pas de temps » différents
Marie-Laure Gutierrez, chargée de projet chez Terres vivantes 34, explique que l’association aime faire appel à « l’expertise paysanne » (Gutierrez, 2022). Lorsqu’une mairie émet le souhait d’installer un agriculteur, elle mobilise son réseau de paysans afin de les faire venir sur les parcelles et de réaliser une première étude de faisabilité du projet, un rapide diagnostic du terrain. Elle préconise cela en amont de tout appel à candidature. Cela permettrait à des mairies très enthousiastes mais peu au fait des besoins concrets d’un agriculteur de prendre la mesure des aménagements nécessaires en termes de rénovation du bâti, de logement sur la parcelle, de stockage, de raccordement d’eau et d’électricité. Marie-Laure Gutierrez appelle de plus les mairies à prendre conscience des « pas de temps » différents entre leur gestion de projet prenant parfois du temps, et le projet d’agriculteurs en reconversion professionnelle – la majeure partie des porteurs de projet suivis par l’association – qui doivent composer avec la durée du droit au chômage.

Ces deux aspects appelleraient plutôt les mairies à passer un appel à manifestation d’intérêt seulement une fois que leur projet est bien ficelé financièrement, techniquement et que les éventuels travaux ont été réalisés.

Limiter la multifonctionnalité des projets
Les porteurs de projet à recruter pour des projets très multifonctionnels doivent être eux aussi multitalentueux pour réussir à prendre en charge toutes les facettes : vendre leur projet (aux différents acteurs de l’installation en premier lieu), en parler à la presse, l’expliquer aux visiteurs de leurs exploitations quand la parcelle est aussi à visée pédagogique comme l’est l’AgroEcoPôle, faire de la communication digitale (financement participatif, pages Facebook, sites Internet , etc.), faire leur comptabilité, vendre leurs produits (dans le cas de la famille Girard qui fait les marchés), maîtriser les techniques agroécologiques, voire faire aussi du travail social dans le cas d’une entreprise d’insertion, comme les Vignes de Cocagne installée sur le domaine Mirabeau.

On ne peut que célébrer la réussite de tels projets, mais comme le soulève Charlie Lévèque, chargé d’agroécologie au CEN Occitanie, « on ne fera pas la transition avec des ovnis !  » (Lévèque, 2022). Il y aurait donc certainement intérêt à ne pas trop limiter le cadre des appels à projet pour les candidats, et à ne pas vouloir multiplier les dimensions dès le départ, mais plutôt à y aller progressivement.

Au-delà des dispositifs « top down », faire émerger des dynamiques de territoire pour créer des projets pérennes
Pour les mairies qui souhaitent se lancer, il paraîtrait enfin intéressant de créer du dialogue et de la concertation sur le territoire autour d’un diagnostic partagé, en prévision d’un schéma de cohérence territorial (SCoT), d’un projet alimentaire de territoire ou simplement d’une veille des friches, afin d’avoir une meilleure vision des terres existantes, de proposer des remembrements et de prévenir les éventuels blocages du monde agricole existant.

Des leviers au-delà de l’installation en tant que telle
Les super zonages, un levier des départements
Les communes ont historiquement un rôle de planification des espaces. Des documents tels que le SCoT et le plan local d’urbanisme (PLU) déterminent le type d’usage du sol et permettent d’indiquer que telle parcelle sera à visée agricole, telle autre résidentielle, industrielle, etc. Mais ces documents sont révisables au moins à chaque nouvelle élection : cela peut avoir comme effet pervers de participer aux phénomènes de rétention et de spéculation foncière par les propriétaires, et d’entraîner l’enfrichement, comme le montre la figure 3.

Plusieurs méthodes existent pour préserver la destination agricole des terres : la mairie de Murviel a décidé de rester propriétaire du terrain et du bâti pour cette raison même. Le préfet a également pouvoir depuis quelques années de prévoir à plus long terme la vocation agricole ou naturelle de certaines parcelles par l’utilisation du « super zonage » comme les zones agricoles protégées, les ZAP, ou les périmètres de protection et de mise en valeurs des espaces agricoles et naturels, les PAEN (Gerbal, 2019). Ces outils permettent de conforter la vocation agricole et naturelle au-delà des révisions et modifications de SCoT ou de PLU par les équipes municipales.

Les projets d’installation par les mairies peuvent être en fait vus comme une réponse au défi créé par des documents de planification révisables.

Le rôle à jouer de la Métropole : gestion des eaux, agriculture et mise en réseau
À la Montpellier Méditerranée Métropole, le schéma des eaux et les zones de captage d’eau sont des leviers utilisés pour agir sur le type d’agriculture présente sur le périmètre, par exemple par le biais d’un droit de préemption des sols.

Il existe des outils comme ceux-là à disposition des collectivités territoriales à différents niveaux. Terre de Liens, mouvement citoyen pour la préservation des terres agricoles, a publié un guide à l’usage des collectivités sur les outils dont elles disposent pour préserver, préempter ou acquérir du foncier afin d’y développer des projets agroécologiques. L’association constate la méconnaissance des collectivités envers les nombreux outils pour agir sur le foncier alors qu’elles sont en première ligne de la gestion des impacts de l’agriculture : qualité des eaux, des sols, entretien des paysages, etc. (Terre de liens, 2018). Une meilleure connaissance des outils à leur disposition serait la première brique de la construction de projets d’installation agricole pour les mairies rurales, ou d’accompagnement de ces mairies par la Métropole.

Un autre besoin exprimé par les agriculteurs est une meilleure mise en réseau et une facilitation des formes collectives d’installation, notamment pour lutter contre l’isolement et partager les expériences. Terres vivantes 34 se donne cette tâche mais la Métropole pourrait aussi mettre sa pierre à l’édifice.

Pas de solutions clé en main : bien s’entourer
Comme nous l’avons vu les projets d’installation par les communes demandent des expertises variées et sont des projets d’innovation très « situés » dans leur contexte. C’est pour cette raison que des solutions clé en main sont rarement possibles et qu’il convient mieux de faire appel à différents acteurs, que ce soit pour une expertise, un financement ou une mise en relation.
Pour diversifier le modèle agricole, il s’agit de faire participer une myriade d’acteurs différents pour intervenir à différentes échelles (Meynard, 2013). L’intervention des pouvoirs publics, de la Métropole ou de l’État au niveau de la consolidation de niches d’innovation en termes d’installation agricole permettrait de structurer des modèles alternatifs au « régime standard » – ici le modèle agro-industriel spécialisé.

CONCLUSION

Les communes constituent le premier niveau d’administration publique et le premier échelon de proximité, et bénéficient de la clause de compétence générale, c’est-à-dire qu’elles disposent d’une capacité d’intervention générale, sans qu’il soit nécessaire que la loi procède à une énumération de leurs attributions, contrairement aux départements et régions. L’alimentation n’est de la compétence d’aucun échelon administratif particulier, cependant il existe une demande grandissante de la part des contribuables de connaître et prendre part aux décisions relatives à ce sujet.
Les communes pourraient être le bon échelon pour impulser des dynamiques autour de la gestion du commun de l’alimentation, en coordination étroite avec d’autres échelons et des projets de territoire plus vastes comme les projets alimentaires de territoire parfois portés par le Département (comme dans le Gard) ou d’autres acteurs (comme le parc naturel régional des Cévennes).

Or comme le dit bien Sjoerd Wartena, le fondateur de Terre de Liens, « ce n’est pas 200 000 fermes dont la France a besoin, c’est 2 millions ! » (Wartena, 2022).
Bien qu’elles n’aient pas de prise sur tous les facteurs impactant l’installation agricole, et en l’absence d’une modification profonde de la conditionnalité environnementale des aides de la politique agricole commune, les collectivités ont intérêt à utiliser tous les outils à leur portée pour inciter à la diversification des modèles agricoles et à leur essaimage.

Il existe 36 000 communes en France, dont plus de 30 000 petites communes. Avec des moyens limités mais en prise directe avec les conséquences du modèle agricole conventionnel sur les paysages et les conditions de vie des citoyens, et en tant qu’interlocuteurs politiques préférés des Français, les mairies semblent être à une bonne échelle pour essaimer des projets d’installation progressive comme celui des Quatre-pilas.

Murviel ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là et s’est mis en veille pour acquérir des terrains sur la commune, y bâtir logements et espaces de stockage afin de constituer de nouveaux « noyaux fonciers » et préserver ainsi ses précieux paysages et patrimoines agricoles.

Auteure : Pauline FOURNIS