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Devant les externalités négatives générées par le modèle agroindustriel dominant, des initiatives se mettent en place à l’échelle locale pour contribuer à une plus grande durabilité des systèmes alimentaires. Le dispositif des projets alimentaires territoriaux (PAT), créé en 2014 par la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, propose un cadre pour institutionnaliser des interventions à l’échelle du système alimentaire des territoires (SAT). Ce dernier est compris comme l’ensemble des activités, acteur·rice·s et structures impliqué·e·s dans la production, transformation, distribution et consommation à l’échelle d’un territoire. En élaborant une stratégie fondée sur un diagnostic partagé des SAT, les PAT ambitionnent de participer à la relocalisation de l’agriculture et de l’alimentation, selon un processus de renforcement des activités et de densification des liens entre acteur·rice·s des territoires, soit à la reterritorialisation des systèmes alimentaires (Fournier et al., 2020).
Dans quelle mesure les PAT atteignent-ils cet objectif ? Cette question est au coeur d’une recherche doctorale conduite entre 2021 et 2024 en région Occitanie. Celle-ci s’est penchée plus particulièrement sur les aspects suivants :
Uniformité versus diversité des PAT : entre standardisation et adaptation territoriale
L’analyse du plan d’action des PAT met en avant plusieurs tendances communes. Tout d’abord, les PAT étudiés visent à intervenir sur un large spectre de thématiques. Ils confirment ainsi leur ambition systémique en agissant de la production agricole aux habitudes de consommation alimentaire, en passant par les maillons intermédiaires. Certaines sous-thématiques – promues par le dispositif national – sont particulièrement plébiscitées, telles que l’installation et le foncier, les pratiques agricoles, les débouchés en et hors restauration collective ou encore les modes de consommation durables. D’autres sous-thématiques, comme la gestion de l’eau ou l’accessibilité à une alimentation de qualité, sont mobilisées dans des proportions variables, en fonction des enjeux spécifiques des SAT. De plus, les PAT ont recours à différents instruments : des études, des actions d’information, de valorisation, de sensibilisation ou d’accompagnement technique, de coordination ou d’animation, l’octroi de moyens financiers, matériels, de services ou d’infrastructures ou encore la connexion avec des politiques publiques. Les PAT étudiés ont une logique d’intervention similaire, articulant quatre grands types d’actions : la conception d’activités pilotes, la mise en place de dispositifs facilitateurs, la création d’espaces d’échanges ainsi que la définition d’objectifs et d’engagements officiels.
Le point majeur d’hétérogénéité entre PAT réside dans leur gouvernance observée durant la phase d’émergence. La diversité des modalités de gouvernance a été mise en évidence grâce à une enquête conduite auprès des PAT d’Occitanie (Santini et Fournier, 2024), révélant un niveau de participation variable des acteur·rice·s des SAT à l’élaboration des PAT. Ce niveau de participation s’exprime selon deux critères :
Six types de PAT ont ainsi été identifiés, regroupés en trois tendances (figure 1) : 1) des PAT à gouvernance centralisée, gérés principalement par la structure porteuse ; 2) des PAT à gouvernance partagée, gérés au sein d’un collectif de structures représentantes des opérateur·rice·s du SAT, et 3) des PAT à gouvernance territorialisée, mobilisant directement les opérateur·rice·s du SAT pour leur élaboration.
Malgré une certaine convergence des pratiques d’émergence des PAT, avec la mise en place de concertations – suivant la demande du dispositif national –, des enquêtes approfondies réalisées auprès de trois cas d’études (figure 2) confirment ces trois tendances de gouvernance. Celles-ci dépendent des spécificités de la gouvernance alimentaire territoriale, c’est-à-dire du contexte d’acteur·rice·s et de coordinations particulier au territoire, existant préalablement et par-delà le PAT. En effet, ce contexte détermine les choix du porteur du PAT dans la conception des modalités de gouvernance du PAT (instances et processus), ainsi que les mobilisations concrètes des acteur·rice·s. Cette hétérogénéité de modalités de gouvernance, aux côtés des enjeux mobilisés spécifiquement selon le contexte des PAT, révèle une certaine flexibilité du dispositif, permettant une adaptation des PAT au contexte des territoires (Banzo et al., 2024).
Une posture d’interface entre niches et régimes
Les SAT observés se caractérisent par une forte spécialisation (viticulture, grandes cultures ou encore élevage), dans la lignée des dynamiques agricoles organisées après-guerre, en fonction des spécificités des territoires. Cette spécialisation conditionne différents aspects des SAT – cultures, pratiques, habitudes, représentations, organismes, etc. –, nous conduisant à appréhender ces SAT spécialisés comme des régimes sociotechniques, via la théorie de la perspective multiniveau portée par Geels (2002). La diversification des SAT peut être ainsi appréhendée selon trois niveaux de structuration : la transition du régime sociotechnique local (d’un SAT spécialisé vers un SAT diversifié), sous l’influence du paysage sociotechnique plus global (politique agricole commune, inflation, changements climatiques, etc.) et, d’un point de vue particulier, des niches, à savoir les initiatives promouvant une diversification des SAT (installation en maraîchage, mise en place d’une légumerie, etc.).
Malgré les faibles moyens alloués au dispositif, les PAT développent des démarches systémiques et structurantes pour soutenir la transition des SAT en élaborant des stratégies multithématiques et multiniveaux. Le travail de terrain a permis d’évaluer la capacité du plan d’action des PAT à lever les freins à la diversification maraîchère préalablement identifiés et analysés selon la perspective multiniveau (cf. méthodologie). Premièrement, la quasi-totalité des thématiques (production, coordination entre offre et demande, consommation) et des sous-thématiques (installation et foncier, pratiques agricoles, transformation, débouchés pour la restauration collective, consommation par le grand public) sont présentes dans les plans d’action. Deuxièmement, les PAT prévoient d’intervenir majoritairement sur des freins liés au régime sociotechnique – spécifique à chaque territoire –, mais également sur certains liés au paysage sociotechnique ou aux niches. Ce travail révèle ainsi une potentielle posture d’interface des PAT, entre les institutions du régime en place et les acteur·rice·s des initiatives portées au sein de niches, qui s’avère particulièrement importante dans une perspective de transition.
L’impact des modalités de gouvernance sur la transition des SAT
Notre recherche confirme que la gouvernance des PAT détermine leur trajectoire d’impact. Les déterminants du succès et les limites, propres à chaque modèle de gouvernance, sont présentés dans le tableau 1. En outre, le rôle joué par la gouvernance dans la transition des SAT est éclairé par une modélisation qui montre le lien entre les tendances de gouvernance et les quatre leviers de transition :
L’impact différentiel des tendances de gouvernance est résumé comme suit. Une gouvernance territorialisée est particulièrement à même d’activer le levier de transition cognitif, concourant à sensibiliser les acteur·rice·s sur la nécessité de la transition, par une mobilisation directe et d’envergure. Une gouvernance partagée est nécessaire à la prise de conscience de l’implication collaborative dans la transition et à la création de règles de coordination, activant le levier collectif. Une gouvernance centralisée est la plus apte à mobiliser efficacement des moyens et définir des objectifs de politiques publiques, activant respectivement les leviers matériel et moral. Ces dynamiques sont propices au développement des niches et à la transformation du régime : deux processus nécessaires à la transition (Bui et al., 2016) que les PAT – en renforçant les proximités entre acteur·rice·s des niches et du régime – peuvent favoriser. Ces éléments montrent l’intérêt de recourir aux différentes tendances de gouvernance (au fil du temps et/ou entre les différentes instances et/ou actions portées par le PAT), pour contribuer au renforcement de la gouvernance alimentaire territoriale et à l’institutionnalisation d’un processus de transition du SAT.
CONCLUSION
Face aux verrous du modèle agroindustriel, le dispositif des PAT constitue une promesse hybride pour soutenir la transition des systèmes alimentaires, entre renforcement des initiatives locales et institutionnalisation d’une gestion territoriale des systèmes alimentaires. Mais, disposant de moyens limités (notamment financiers et législatifs), quel est l’impact potentiel des PAT ? Notre recherche contribue à éclairer cette question. D’une part, elle révèle une certaine standardisation des démarches avec le déploiement d’interventions systémiques. D’autre part, elle montre des spécificités, tenant principalement aux modalités de gouvernance des PAT et conditionnant leur impact sur les SAT. Plus particulièrement, les différentes tendances de gouvernance identifiées agissent de façon complémentaire pour activer les leviers nécessaires à l’institutionnalisation d’un processus de transition. Par ailleurs, la planification de stratégies systémiques et multiniveaux est mise en avant, appuyant l’intérêt d’une posture d’interface des PAT — entre niches et régime — pour soutenir la transition des SAT.
Alors que les transformations concrètes des SAT nécessitent des temps d’intervention et d’observation longs, nous plaidons pour l’enrichissement des évaluations des PAT, en prêtant attention à leur capacité à renforcer un potentiel d’action collective. Ceci passe par deux voies : 1) consolider la gouvernance alimentaire territoriale, par l’organisation de la coexistence, de la coopération, voire de l’hybridation entre acteur·rice·s des niches et du régime et 2) activer les différents leviers nécessaires à l’institutionnalisation d’un processus de transition des SAT.
MÉTHODOLOGIE
La recherche doctorale sur laquelle s’appuie ce travail s’est conduite en trois étapes. Premièrement, une enquête a été réalisée auprès des PAT d’Occitanie, à partir d’un questionnaire en ligne transmis aux animateur·rice·s, croisé avec l’analyse des dossiers de labellisation de ces PAT. Cette enquête avait pour objectif de caractériser les pratiques mises en œuvre par les PAT lors de leur phase d’émergence, avec un focus sur les modalités de gouvernance. Deuxièmement, des études de cas ont été menées auprès de trois PAT de la région Occitanie (figure 2), choisis à partir des PAT répondant à l’enquête, pour représenter une diversité de tendances de gouvernance. Réalisées entre janvier 2023 et mars 2024, les études de cas ont été structurées autour de trois phases de collecte, afin de : 1) retracer la trajectoire d’émergence des PAT et observer leur ancrage territorial ; 2) identifier les freins à la diversification maraîchère des SAT ; 3) analyser la capacité des PAT à lever ces freins au travers de leur plan d’action. Ces études de cas se sont appuyées sur des entretiens semi-directifs auprès d’une large diversité d’acteur·rice·s des SAT, des observations participantes et l’analyse de documents des PAT. En complément des méthodes qualitatives, une approche quantitative a été déployée à partir du matériau collecté, en constituant, puis en interprétant selon un codage multicritère, deux bases de données par PAT : freins à la diversification maraîchère des SAT et plans d’action des PAT. Troisièmement, la construction de chemins de transition théoriques, enrichis des observations empiriques, a permis de projeter l’impact de la gouvernance des PAT sur la transition des SAT.