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Les fermes urbaines, quelles innovations pour des systèmes alimentaires durables ? 

Renaud Loesel

MOTS-CLÉS : AGRICULTURE URBAINE, PERMACULTURE, MICROFERME, FERMES INDOOR, PHYTOREMÉDIATION

Est-il pertinent de cultiver sur des terres urbaines compte tenu des contraintes telles que la pollution et le prix du foncier ? Plusieurs études convergent pour admettre que les besoins alimentaires des villes sont immenses en comparaison de la capacité productive des différentes formes d’agriculture urbaine. Dès lors, quels sont les bénéfices sociaux, économiques et environnementaux auxquels les villes peuvent aspirer dans une logique de durabilité de leur système alimentaire ? Plusieurs exemples emblématiques et diversifiés issus de la métropole de Lyon nous éclairent sur les bénéfices, les limites et les perspectives de l’agriculture urbaine.

VERS DES VILLES PLUS NOURRICIÈRES ET PLUS VERTES

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) définit l’agriculture urbaine et périurbaine comme la culture de plantes et l’élevage d’animaux, à vocation alimentaire ou non, à l’intérieur et aux alentours des villes. L’agriculture urbaine se caractérise d’abord par une diversité de fonctions : valorisation d’espaces interstitiels inoccupés (friches, toits), contribution à la résilience des villes face au changement climatique (îlots de fraîcheur, murs végétaux), renforcement du lien social (jardins partagés), création d’emplois, recyclage de déchets, etc.

Alors que des études [1] soulignent l’incapacité de ce type d’agriculture à répondre aux besoins des villes, quels services ou bénéfices peuvent fournir les fermes urbaines ? À l’heure d’une large prise de conscience des enjeux liés au changement climatique [2] et du déploiement des plans alimentaires territoriaux (PAT), et compte tenu des limites inhérentes aux villes (faibles surfaces cultivables, pollutions), quelles innovations dans le champ de l’agriculture urbaine peuvent contribuer à la résilience des villes ou renforcer la durabilité des systèmes alimentaires ?

Cette étude explore différents modèles de fermes urbaines et leurs innovations déployées dans la métropole lyonnaise en interrogeant leurs contributions à la durabilité et leur potentiel d’essaimage sur d’autres territoires. Lyon est un observatoire pertinent par sa stratégie alimentaire ambitieuse avec de nombreux projets d’agriculture urbaine. Un urbaniste, un maraîcher, une ferme verticale et une municipalité de cette métropole nous éclairent sur les bénéfices et les limites de leurs innovations.

L’AGRICULTURE URBAINE, CREUSET D’INNOVATIONS

Jardins potagers, partagés, familiaux, (micro)fermes urbaines, cultures sous serres, sur les toits, champignonnières dans les caves, indoor farming / fermes verticales, aquaponie, hydroponie, … les formes et techniques que peut endosser l’agriculture urbaine sont diversifiées et en constante évolution. On s’intéresse ici à l’agriculture « intra-muros » des villes ainsi qu’aux formes professionnelles d’agriculture urbaine.
Rastoin (2013) met en évidence trois enjeux pour les métropoles d’ici 2050 afin d’assurer la durabilité de leurs systèmes alimentaires :
1. diversifier les productions et les sources d’approvisionnement ;
2. favoriser la proximité des systèmes de production ;
3. repenser la gouvernance des systèmes alimentaires.
Il recommande « d’assurer une transition entre un modèle agricole globalisé et un modèle de proximité territorialisé privilégiant la qualité organoleptique et culturelle des produits, restaurant le rôle social de l’alimentation et rapprochant les entreprises des filières » (Rastoin, 2013).

L’agriculture urbaine apparaît alors comme un terreau fertile pour le développement d’innovations, techniques (adaptation des modes de production) ou organisationnelles (coordination des acteurs socioéconomiques, gouvernance de filières).

FONCTIONS ET CONTRAINTES DE L’AGRICULTURE URBAINE

Des bénéfices contribuant à la durabilité…
Si la dimension nourricière de l’agriculture urbaine paraît anecdotique, elle peut répondre en revanche à de nombreux défis, comme l’illustre Duchemin (Figure 1).

Sans détailler chacune de ces fonctionnalités, il est intéressant d’en souligner certaines, fondamentales dans une logique de résilience et de durabilité.
Il est ainsi intéressant de constater l’importance des fonctions sociales (trois des huit dimensions illustrées : éducation, interactions sociales et loisirs). Les études sur la viabilité des projets d’agriculture urbaine confirment en effet une nécessaire adhésion, voire une réelle appropriation des projets de ferme urbaine par les résidents [3].

La dimension économique apparaît comme une gageure : comment développer un modèle économique viable sur des petites surfaces et des technosols de piètre qualité ? La valeur ajoutée et la création d’emploi sont au cœur de cette dimension, qui entre en résonnance avec les enjeux sociaux et l’accessibilité de la nourriture produite. Pour François Léger, enseignant-chercheur à AgroParisTech, le défi des maraîchers urbains est de devenir de véritables « Formules 1 de l’agriculture maraîchère », malgré les nombreux obstacles à l’installation, la fragilité du modèle économique et la difficile appréhension des potentialités agroécologiques des milieux anthropisés (Charvet et Laureau, 2018).

Enfin, la dimension environnementale motive la valorisation de friches, la perméabilisation de surfaces bétonnées, la réintroduction de biodiversité, l’agrément de plantes vertes ou ornementales, et concourt à l’attractivité du territoire, au bien-être des résidents et à la résilience de la cité.

… mais également des contraintes fortes à dénouer
Le prix du foncier urbain est indéniablement « le » facteur qui limite tout projet de ferme urbaine face à la concurrence d’autres types d’aménagement. Un soutien financier à l’installation ou aux investissements apparaît incontournable. Charvet et Laureau (2018) suggèrent que ce type d’aide soit considéré comme une contrepartie pour services écosystémiques rendus à la ville et aux résidents.

L’accès au statut d’agriculteur et aux avantages qu’il procure (accompagnement, fiscalité, aides) paraît aussi problématique. En 2019, seuls deux agriculteurs urbains étaient reconnus officiellement comme tels (Ronceray et Lagneau, 2019). Ceci paraît paradoxal tant il semble nécessaire de renouveler une génération d’agriculteurs qui se rapproche de l’âge de la retraite et de prendre en compte le regain d’intérêt pour la profession.

L’agriculture urbaine souffrirait aussi d’un manque de formations spécifiques. Perrin et al. (2022) soulignent les lacunes scientifiques et le manque de cursus en agronomie urbaine formant des ingénieurs capables de gérer la diversité et la complexité des projets d’agriculture urbaine. Deux questions semblent particulièrement ignorées : comment gérer la fertilité des sols urbains avec un recours limité aux intrants de synthèse ? Quelle est la qualité sanitaire des aliments produits dans des sols urbains ? La FAO souligne d’ailleurs une nécessaire vigilance face aux risques sanitaires et environnementaux de ce type d’agriculture. Les retours de professionnels ou experts rencontrés dans le cadre de cette étude permettent d’apporter des éléments de réponse.

UNE GOUVERNANCE GARANTE DE COHÉRENCE ET DE COORDINATIONS

Intégrer harmonieusement l’agriculture dans la ville relève d’une gouvernance urbaine novatrice pour organiser et accompagner les acteurs socioéconomiques impliqués.

Il incombe notamment aux municipalités de bien évaluer la cohérence d’un projet d’agriculture urbaine à l’aune des besoins de la ville et de ses habitants en considérant les services mutuels rendus : les agriculteurs bénéficiant de visibilité quant aux débouchés, caution indispensable au déclenchement d’investissements productifs ; les consommateurs jouant un rôle de partie prenante prescriptrice sur les productions, les pratiques et l’environnement.

Dans l’ouvrage de Charvet et Laureau (2018), Rémi Janin préconise que l’agriculture urbaine soit « un projet agricole et spatial partagé par tous et facilement investi par ceux qui le souhaitent », avec de nouvelles formes de gouvernance qui, au lieu de gérer séparément la production et la consommation de denrées alimentaires, prennent en charge la stratégie alimentaire en coordonnant la production agricole avec les attentes des consommateurs. Augustin Rosensthiel précise dans ce même ouvrage que ce type d’organisation reste encore à développer au sein des grandes villes.

Face à ces constats et propositions, comment la métropole lyonnaise se positionne-t-elle et quelles innovations porte-t-elle ?

LA MÉTROPOLE LYONNAISE, UN TERRITOIRE EN TRANSITION VERS UNE PLUS GRANDE DURABILITÉ

Cette métropole présente plusieurs intérêts :
  elle représente une échelle territoriale correspondant à un bassin de vie des populations, qui permet d’envisager l’évaluation d’innovations organisationnelles et les coordinations entre acteurs ;
  c’est une ville qui a pris conscience assez tôt de l’enjeu de l’alimentation, de la production et de l’approvisionnement en denrées agricoles de proximité [4] :
• un diagnostic préliminaire à l’établissement de la stratégie alimentaire territoriale réalisé en 2014 montre que l’assiette lyonnaise contient en moyenne 5 % d’aliments locaux (produits à moins de 50 km), alors que 95 % de la production du département est exportée ;
• une enquête auprès de 650 Grands-Lyonnais a conclu à une forte précarité alimentaire (un tiers des ménages déclarant ne pas avoir les moyens de s’alimenter correctement) malgré un niveau de conscience élevé pour une alimentation de qualité (neuf habitants sur dix reconnaissant le rôle clé de l’alimentation pour leur santé) ;
  en tant que signataire du Pacte de Milan [5] et capitale mondiale de la gastronomie, la métropole lyonnaise constitue un territoire à forte visibilité et un modèle possible pour envisager l’essaimage de ses innovations dans des territoires similaires.

DEUX CAS D’ÉTUDE EMBLÉMATIQUES ET DIFFÉRENCIÉS

Le 8e Cèdre et la microferme des États Unis – Un modèle inspiré des principes de la permaculture
Situé dans la cour centrale d’immeubles du quartier dit « des États-Unis », le « 8e Cèdre » est présenté comme « un espace solidaire d’agriculture urbaine qui a pour ambition de participer à la construction de la ville durable », qui « allie production et vente de légumes en circuits ultra-courts, favorisant la transmission de connaissances agroécologiques, un cadre de vie et une alimentation durable, et la préservation de la biodiversité [6] ». Conçu en 2019 dans le cadre de l’appel à projets « Mon projet pour la planète », il est co-construit par le bailleur social GrandLyon Habitat, un bureau d’étude en agriculture urbaine – Le Grand Romanesco – et l’entreprise coopérative d’agriculture urbaine « Place au Terreau ».

Sur une surface totale de 1 600 m², le 8e Cèdre est composé de trois espaces complémentaires (Figure 2) :
  une parcelle de 600 m² exploitée par Philippe Zerr, maraîcher urbain professionnel, la microferme des États-Unis ;
  un jardin permacole de 300 m² avec une quarantaine de bacs accessibles à tous ;
  une « zone d’expérimentations pour la biodiversité » de 300 m², accessible aux résidents sous la responsabilité de Place au Terreau et comprenant hôtels à insectes, lombricomposteurs, ainsi qu’une zone de phytoremédiation.

Plusieurs innovations se concentrent au sein de ce projet.

Innovation # 1 : Une démarche de conception originale inspirée des principes de permaculture.
L’aménagement de l’espace met en valeur des fonctions écologique, nourricière, sociale, pédagogique, et économique au service de la ville et de ses habitants, selon des principes permacoles :
  prendre soin de la terre : les sols, l’environnement et l’eau ;
  prendre soin de l’humain : soi-même, la communauté et les générations futures ;
  partager équitablement les ressources : limiter la consommation, redistribuer les surplus.

L’innovation est ici conceptuelle et organisationnelle : elle repose sur près de 2 ans de concertation avec les habitants et divers partenaires et sur la mise en place d’une gouvernance partagée (comités de pilotage doublés de comités techniques). La coordination pédagogique est assurée principalement par Place au Terreau qui, en lien avec de multiples partenaires (centre social, pôle santé, autres associations) assure une cinquantaine d’animations annuelles : ateliers permacoles, accueils de scolaires, chantiers jeunes, évènements culturels, formations, etc.
La clé du succès selon Lucas Blanes, co-fondateur du Grand Romanesco : « une ingénierie de projet permettant la concertation entre les parties prenantes et garantissant une réelle appropriation du projet par les habitants » (Blanes, 2022).

Innovation # 2 : Une microferme urbaine qui a démontré sa viabilité économique.
Philippe Zerr, maraîcher du 8e Cèdre, est un ancien professionnel de l’audiovisuel reconverti au maraîchage urbain. Il souhaitait prouver que l’équation (de l’agriculture conventionnelle) « 1 SMIC = 1 hectare » n’est pas valable pour l’agriculture urbaine. Fort de son expérience sur le 1er toit cultivé lyonnais (siège de Groupama), sa première année d’exploitation de la microferme des États-Unis (en 2021) lui a permis de démontrer qu’il est possible de faire vivre une personne à temps plein sur 1 000 m² (soit 0,1 ha). Ses perspectives sont prometteuses avec en outre l’extension de la surface maraîchère à d’autres parcelles et l’embauche d’un apprenti.

L’innovation est ici principalement d’ordre technique. Le mode de production est inspiré de la méthode de Jean-Martin Fortier [7] : du « bio intensif » avec des rotations rapides de cultures, essentiellement des légumes feuilles type mesclun ou épinards, petits primeurs (betteraves, carottes, radis, etc.) et aromatiques (menthe, persil, etc.).

L’innovation est également organisationnelle puisque la vente s’effectue de manière hebdomadaire sur site, s’affranchissant des coûts d’intermédiaires et permettant d’offrir des prix similaires à ceux pratiqués sur les marchés locaux. La microferme vend également ses productions à quelques restaurants et épiceries locales sur des trajectoires de livraison optimisées pour le vélo.

Autres ingrédients ayant contribué au succès du projet : le principe d’une économie circulaire appliqué à la gestion des déchets urbains des résidents qui, transitant par les lombricomposteurs, permettent une renaturation du sol ; également, un accord informel avec les services en charge de la gestion des espaces verts permet l’acquisition de broyats ou paillis à moindre frais.

Innovation # 3 : La phytoremédiation pour dépolluer les sols
Les sols urbains ou « technosols » sont généralement issus de matériaux hétérogènes dont la qualité et la fertilité sont aléatoires. Une partie de l’espace du 8e Cèdre étant adjacente à un parking, GrandLyon Habitat a fait appel à la société Biomede pour une prestation de phytoremédiation, c’est-à-dire de dépollution des sols par des plantes.

Le principe est le suivant : suite à un diagnostic de métaux lourds dans le sol (arsenic, plomb, cuivre, etc.) et en fonction des conditions pédoclimatiques (type de sol, pH, exposition au vent), un mélange de plantes est sélectionné pour sa capacité d’extraction et d’accumulation de métaux lourds.

Pour Manon Poncato, responsable « projets urbains » au sein de Biomede, ce procédé doit permettre de réduire la pollution de 30 % en 9 mois de culture lorsqu’il est réalisé dans de bonnes conditions (Poncato, 2022) :
  des semences (graminées, fleurs, plantes rampantes) aux cycles de vie complémentaires ;
  des associations microbiologiques qui permettent de maximiser la fonction d’accumulation ;
  un couvert permanent favorisant la macrofaune qui, en brassant le sol, permet de « diluer » la pollution.

D’autres solutions existent mais présentent certaines limites. La plus commune, l’excavation et l’apport de terres rurales, n’apparaît ni souhaitable économiquement (environ vingt fois plus onéreuse que la phytoremédiation selon Manon Poncato et Axelle Pourret, chargée de mission Nature en Ville à Caluire et Cuire [8]), ni durable pour la terre à la campagne, compte tenu du temps de formation du sol : selon les conditions pédoclimatiques, 2 à 10 mm d’épaisseur de sol peuvent être reconstitués par siècle par l’accumulation d’humus (Perrin et al., 2022).

Axelle Pourret confirme l’intérêt de la phytoremédiation en comparaison d’autres procédés tels que la pose d’un géotextile, la séquestration des polluants par une couche de biochar [9] ou encore la culture hors-sol : « une solution pertinente dans un contexte politique d’aménagement visant le zéro artificialisation » (Pourret, 2022).

Morel-Chevillet (2017) souligne également l’importance de l’analyse du microclimat et la sélection de plantes adaptées dans tout projet d’agriculture urbaine (p. 55). Il s’agit aussi de limiter l’utilisation d’eau potable pour l’irrigation, de gérer les ravageurs et les maladies de manière la plus naturelle possible et de prendre en compte les contraintes liées à l’ensoleillement et à la réverbération des bâtiments.

ReD FARM – La production en environnement contrôlé pour contribuer à la durabilité des systèmes alimentaires
Une autre innovation en agriculture urbaine est celle de ReD FARM, qui propose la production de cultures en environnement contrôlé, c’est-à-dire hors-sol (hydroponie ou pots), en maîtrisant le climat, la lumière et l’irrigation (Figure 3). L’intérêt de ce type de production réside dans l’optimisation du process agronomique : une utilisation minimale des ressources (eau, terre arable), non recours aux pesticides, pour des rendements maximisés, avec des cycles de culture réduits de 30 % à 60 %, des plantes saines, robustes et enrichies en matières actives.

ReD FARM est une société créée en décembre 2020 par un consortium de trois industriels qui ont repris les actifs de la Ferme urbaine lyonnaise (FUL), celle-ci n’ayant pu voir le jour faute d’une levée de fonds suffisante. ReD FARM n’est pas à proprement parler une ferme indoor mais commercialise des solutions sur mesure issues d’études techniques et commerciales de production indoor.
Deux limites freinent le développement des technologies promues : une consommation énergétique importante (groupe froid notamment), génératrice d’émissions de gaz à effet de serre, et l’acceptation sociale de ce type d’infrastructure, les consommateurs restant méfiants vis-à-vis des productions alimentaires issues de productions hors-sol.

Bernard Béjar, président de ReD FARM, le confirme : « Les conditions ne sont pas réunies actuellement pour une production de denrées alimentaires, les coûts de production ne pouvant être couverts par les prix du marché. En revanche, la production de plantes industrielles types plantes à parfum, aromatiques ou médicinales (PPAM) semble plus porteuse : elle garantit une meilleure valeur ajoutée susceptible d’intéresser les laboratoires pharmaceutiques de la métropole lyonnaise  » (Béjar, 2022).

Deux autres pistes de développement semblent pertinentes pour ReD FARM : l’étude de conditions de production caractéristiques d’une région, en France ou dans le monde, utile pour la R&D de laboratoires phytopharmaceutiques en préalable à leurs investissements productifs sur un territoire ; la simulation de conditions de production en fonction de scénarios de changement climatique, afin d’anticiper le développement de cultures nouvelles ou de nouveaux traits phénologiques adaptés à de futurs contextes pédoclimatiques.

CONCLUSIONS

L’agriculture urbaine joue aujourd’hui une fonction principalement sociale de reconnexion des citadins à la nature dans un contexte de prise de conscience du rôle de l’alimentation pour la santé et devant la nécessité d’améliorer la résilience des villes face aux changements climatiques. Certes, l’agriculture urbaine ne pourra pas répondre à elle seule à tous les enjeux de durabilité, mais elle représente un levier de premier plan, fédérateur pour de nombreux acteurs socioéconomiques.
Les innovations explorées ici peuvent inspirer d’autres territoires aux caractéristiques similaires. Christine Aubry, dans l’ouvrage de Charvet et Laureau (2018), anticipe justement l’essor de ces deux modèles d’agriculture urbaine : d’une part des « systèmes écologiquement vertueux, ou considérés comme tels comme par exemple le bio intensif ou la permaculture » et d’autre part des fermes de type indoor farming, tout en précisant que « ce modèle d’exploitation intensif en hautes technologies ne doit pas susciter de fascination outre mesure, tant le modèle économique reste fragile » (p. 181).

L’une des limites à l’essaimage de ces modèles concerne la capacité des acteurs à se regrouper en réseau pour constituer des filières locales robustes et pour construire une gouvernance capable d’embrasser les multiples enjeux de l’alimentation de manière décloisonnée : il faut défendre une stratégie globale de production agricole et d’alimentation avec des soutiens pédagogiques, sociaux, techniques et économiques, nécessaires pour une bonne coordination des acteurs. Pour les fermes indoor plus spécifiquement, la constitution de consortiums industriels capables de répondre aux besoins et exigences de marchés actuels et futurs paraît essentielle.

Dans un contexte de changement climatique, ces innovations répondent à des besoins différents, et permettent de développer des relations nouvelles, mutuellement bénéfiques entre parties prenantes. À l’image de la permaculture qui s’appuie sur et valorise les écosystèmes naturels, ces modèles de fermes urbaines renforcent les écosystèmes urbains et valorisent les interactions entre acteurs en activant des leviers spécifiques : plutôt socioécologiques dans le cas de la microferme, et plutôt technico-économiques dans le cas de productions en environnement contrôlé.

Auteur : Renaud LOESEL


[1Utopies estime à environ 2 % le gain d’autonomie alimentaire de l’agriculture urbaine dans les 100 premières villes françaises (https://utopies.com/publications/autonomie-alimentaire-des-villes). Charvet et Laureau (2018) estiment à 10 ou 15 % l’autonomie alimentaire des métropoles en considérant l’ensemble des espaces productifs disponibles : jardins potagers, friches, toits, façades, balcons et terrasses, bacs de permaculture, etc.

[2Voir les rapports du Groupe intergouvernemental d’experts pour le climat (GIEC), notamment deux parmi les derniers : « Réchauffement planétaire de 1,5° C » (2022) et « Changement climatique et terres émergées » (2019), https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/.

[3Jipad 2020 – Un paysage comestible à Lille-Hellemmes : vivre et manger son quartier par Mariane Steen ; Jipad 2021 – La ferme urbaine Capri : un projet pluridimensionnel et multi-partenarial à Marseille par Marie-Alice Martinat.

[4Plus d’information dans la section bibliographique ‘Aller plus loin’ : Le PATLY, stratégie alimentaire métropolitaine, dont les orientations stratégiques ont été adoptées en 2019 ; Fiche territoire de Terres en Villes ‘Outils de planification urbaine et politiques alimentaires Lyon Métropole.

[5Le Pacte Alimentaire de Milan, signé par une centaine de villes en octobre 2015, encourage le développement d’innovations en agriculture urbaine et la (re)connexion des villes avec leurs bassins de production agricole pour assurer une meilleure résilience et une durabilité des systèmes alimentaires : https://www.milanurbanfoodpolicypact.org/

[7Jean-Martin Fortier a créé avec sa compagne les Jardins de La Grelinette, une microferme biologique au Québec. Sur moins d’1 ha en maraîchage « bio intensif », elle nourrit plus de 200 familles et génère des bénéfices de plus de 150 000 $. Principales règles : diviser l’espace de culture en blocs et planches pour un meilleur drainage du sol et un réchauffement hâtif au printemps ; bâchages, faux-semis, paillage et désherbage manuels pour ameublir le sol sans retournement ; des plans de rotation qui limitent la propagation des ravageurs et maladies tout en améliorant la fertilité et la structure du sol.

[8L’une des 59 communes de la métropole.

[9Le biochar (aussi appelé « agrichar ») désigne la partie solide résultant de la pyrolyse de bois ou de résidus végétaux inexploités. Outre le fait d’améliorer le pH du sol, de favoriser la disponibilité du phosphore dans le sol et de stimuler la vie microbienne, le biochar participe à l’épuration du sol et de l’eau par sa porosité et sa faible densité : sa structure microporeuse permet de fixer les molécules toxiques (métaux lourds, notamment) présentes dans l’eau (Sources : Wikipédia, iedafrique.com).