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Célia Magnier 

Valorisation de pratiques respectueuses du bien-être animal

MOTS-CLÉS : BIEN-ÊTRE ANIMAL, LABELLISATION, TERRITOIRES

Le concept « One Welfare », inspiré de l’initiative « One Health », met en évidence les interconnexions entre le bien-être animal (BEA), le bien-être humain et l’environnement, et vise la collaboration transdisciplinaire pour améliorer le bien-être humain et animal au niveau international. Renforcer la reconnaissance des pratiques respectueuses du BEA via les processus de labellisation peut être envisagé comme un levier d’amélioration du sort des acteurs de la filière : animaux comme éleveurs (Bismuth et al., 2018).

Depuis les années 1960, les animaux sont sélectionnés pour leur valeur économique. C’est dans le cadre de cette course à la productivité que la relation homme-animal s’est dégradée et que les enjeux autour du BEA ont émergé (Porcher, 2011).

Le Conseil de l’UE du 16 décembre 2019 reconnaît le BEA comme une composante essentielle d’une agriculture durable, notamment pour améliorer la santé animale en limitant les risques d’antibiorésistance. Bien qu’omniprésent dans les discours publics relatifs à l’élevage, le concept de BEA n’entraîne pas de force juridique contraignante (Grimonprez, 2019).

Les systèmes techniques ont perçu dans le BEA un moyen d’améliorer la « qualité » des modes de production en favorisant un environnement contrôlé. Des chercheurs dénoncent une injonction visant à rendre acceptables socialement des conditions de vie qui ne sont pas améliorables dans les élevages intensifs (Leterrier et al., 2022). Dans ce cadre, les règlements et normes publiques ou privés (démarches volontaires) ont influencé et continuent d’influencer les activités d’élevage de par l’intérêt commercial que représentent les arguments welfaristes (relatifs au BEA) pour le consommateur.

Dans un premier temps, nous questionnerons les représentations du métier, puis le point de vue du consommateur sera décrit. Enfin, plusieurs exemples d’initiatives permettant de faciliter la compréhension des modalités de productions par les consommateurs seront présentés. Ces exemples n’ont pas pour but d’être exhaustifs.

LE BEA EN ÉLEVAGE

Une définition entre technicité et paysannerie

La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature indique que « tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce »

À l’origine, le BEA évalue des états préjudiciables, perceptibles par l’homme et nécessaires
à la survie de l’animal (observation de stress, douleur, maladie). À travers un prisme socioéconomique, cette approche intègre la capacité biologique et mentale de l’animal à vivre dans le milieu proposé pour que l’on puisse en tirer les meilleurs profits. Séduisant les productions industrielles par l’essor de la zootechnie, cette logique productiviste aboutit à des critères mesurables optimisant la gestion des productions animales. La reconnaissance publique de ces méthodes provoque une orientation vers une normalisation dans le droit européen. En 2015, le Code civil décrit les animaux comme des « êtres vivants doués de sensibilité ». L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) définit en 2018 le BEA comme l’« état mental et physique positif lié à la satisfaction des besoins physiologiques et comportementaux ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal ». Des perceptions subjectives donc, qui peuvent s’avérer déplaisantes ou plaisantes et résultent en l’expression d’émotions négatives ou positives.

Dans la pratique, en Europe, la définition opérationnelle du BEA est basée sur cinq libertés non compensables entre elles :

  • les libertés physiologiques (alimentation,
    abreuvement) ;
  • la liberté environnementale (absence d’inconfort,
    par exemple un abri à disposition) ;
  • la prévention du risque sanitaire (absence de
    blessures, de maladie ou de douleurs) ;
    les libertés comportementales (c’est-à-dire
    la possibilité d’exprimer les comportements
    naturels) ;
  • l’absence de désordre psychologique (peur,
    stress)

Toutefois, ces libertés sont des conditions nécessaires mais non suffisantes pour garantir le BEA. Il existe d’autres méthodes d’évaluation allant plus loin, comme le protocole Welfare Quality. « La communauté scientifique est en réflexion autour d’une sixième liberté qui vise la possibilité d’exprimer des émotions positives avec par exemple des bains de soleil chez les poulets. Les indicateurs comportementaux sont sensibles et précoces, c’est-à-dire que leur évaluation permet de détecter un état de mal-être puis d’anticiper d’autres indicateurs (zootechnique, de santé, etc.) » (Warin, 2022 ; Gregorio, 2022).

Élevages intensifs : recherche publique et filières intégrées

Des chercheurs travaillant à l’amélioration du BEA dénoncent une réglementation insuffisante et une focalisation de leurs sujets de recherche sur les systèmes de productions intensifs, là où des atteintes au BEA sont plus fréquemment observées (Leterrier et al., 2022). Par exemple, chez les poulets de chair ou les porcs, les reproducteurs sont sévèrement rationnés afin de limiter le risque de myopathie, qui est un dysfonctionnement physiologique retrouvé plus fréquemment chez les reproducteurs de souches à croissance rapide. En effet, comme ces animaux destinés à la reproduction vivent plus longtemps que leurs descendances sélectionnées spécifiquement pour leur vitesse de croissance, cela engendre des difficultés de développement physiologique. De plus, les densités élevées au sein des élevages engendrent chez les animaux des troubles comportementaux pouvant être préjudiciables au développement. Ces chercheurs dénoncent une injonction de la recherche publique à travailler pour rendre acceptable socialement les conditions de vie de ces animaux difficilement défendables d’un point de vue éthique. Ils recommandent plutôt une diminution de la consommation de viande et un arrêt des élevages intensifs, puisque dans ces systèmes, le BEA n’est pas améliorable (Leterrier et al., 2022).

Ces élevages intensifs sont intégrés en aval (industries de transformation, distributeurs,
grossistes, etc.), de ce fait ils subissent des marges économiques extrêmement réduites et sont limités dans leurs choix. Ils sont soumis à de fortes contraintes imposées par la standardisation des productions, les règlements sanitaires et les contrats commerciaux. Dans ces systèmes, les animaux sont sélectionnés pour leur capacité à générer un revenu, facteur bien souvent associé à des races à forte vitesse de croissance. La filière porcine est fortement représentative de ces problématiques, comme en témoigne un éleveur : « On est obligé de passer 80 % de notre production au groupement » ; « On est obligé d’acheter les reproducteurs à ce groupement […], de se coltiner leurs abattoirs » (Porcher, 2011).

Représentation du métier par la relation à l’animal et la relation dans le travail

La logique productiviste conduit à un rapport à l’animal construit sur l’intérêt productif à très court terme. Ces systèmes intensifs semblent oublier que les rationalités des éleveurs, des animaux et des consommateurs ne sont pas uniquement économiques.

L’invitation de J. Porcher (2011) à replacer l’éleveur au centre des décisions vise à étudier les interrelations positives existantes : « Le plaisir ou déplaisir que prennent les animaux et l’humain à vivre et travailler ensemble est au moins aussi important que la valeur marchande des animaux ». Par le contact quotidien avec les animaux et la connaissance de leurs comportements naturels, les éleveurs sont les acteurs les plus influents et les plus à même de développer des capacités d’analyse et d’adaptation. Cela permet d’améliorer la résilience de l’activité mais également des animaux face aux variations exogènes.

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