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Près de Lyon, la station Vavilov sème la biodiversité alimentaire 

Aurore Raveneau

MOTS-CLÉS : BIODIVERSITÉ CULTIVÉE, CHANGEMENT CLIMATIQUE, ADAPTATION, SEMENCES, RÉSEAU

À Charly, dans le Rhône, le centre d’expérimentation agronomique Vavilov sélectionne des variétés anciennes. Un des objectifs majeurs est d’étudier l’adaptation des végétaux aux effets du changement climatique : un enjeu crucial pour l’avenir de notre sécurité alimentaire. Ce projet débute dans les années 2010 suite à un partenariat avec l’Institut Vavilov de Saint-Pétersbourg. Il reprend l’idée originale du botaniste Vavilov, en l’élargissant aux nouveaux enjeux climatiques : une petite graine, promesse d’une biodiversité alimentaire régénérée ?

LE PROJET VAVILOV EN FRANCE

Entre l’Institut et le collectif Vavilov : un partenariat basé sur la confiance
Stéphane Crozat, directeur du Centre de ressources de botanique appliquée (CRBA) et ethnobotaniste, souhaite faire revivre la richesse du patrimoine cultivé de la région lyonnaise du XIXe siècle. En effet, à cette époque, il existait des dizaines de milliers de variétés de fruitiers, légumes ou rosiers : la tomate « monstrueuse de Lyon », le poireau « bleu de Solaise », le piment et le melon « de Bresse », le navet « noir de Caluire », etc. (Crozat et al., 2010). La région lyonnaise est alors un centre majeur de botanique et d’horticulture en Europe. Et même, selon Sabrina Novak, directrice adjointe au CRBA, elle représentait « l’un des plus grands centres d’acclimatation des plantes au monde » (Novak, 2022). Or, au XXIe siècle, Stéphane Crozat constate la disparition d’une majeure partie de ce patrimoine local. Le directeur du CRBA souhaite le faire revivre. Pour cela, il forme un collectif composé de chercheurs, de mécènes, de collectivités territoriales, d’associations et d’entreprises. Ces partenaires se rapprochent de l’Institut Vavilov, un centre de botanique russe qui détient des variétés anciennes. Cet échange portera ses fruits. En 2014, un partenariat de coopération scientifique franco-russe est signé. Selon Stéphane Crozat, « la confiance est le pilier fondamental dans la réussite de cet engagement collectif. De plus, les acteurs, que ce soit côté russe ou côté français, partagent des valeurs communes. Par exemple, les semences des variétés obtenues ne doivent en aucun cas avoir d’usage commercial » (Crozat, 2022).

En France, les ambitions du projet se concrétisent dès 2019 avec la création de la première station expérimentale de l’Institut Vavilov en dehors de la Russie. Ce centre agronomique a notamment pour objectif d’étudier la résistance des plantes à la sécheresse et aux maladies et d’évaluer les qualités gustatives des variétés.

Les variétés patrimoniales et locales comme fer de lance
Dès lors, le collectif Vavilov rapporte en France des semences de végétaux issus de la collection de l’Institut Vavilov. Soixante-quinze variétés locales issues de la région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) sont concernées. Certaines ont disparu de l’Hexagone, comme le chou pommé « quintal d’Auvergne » ou le haricot « gloire de Lyon ». Ces végétaux ont été produits avant l’avènement de l’industrialisation de l’agriculture : ils n’ont pas été sélectionnés sur des critères tels que l’adaptation à l’utilisation de produits phytosanitaires ou d’engrais chimiques. Moins épurés, et donc plus riches génétiquement, ils sont probablement plus résistants.

Élargissement des recherches : les prospections mondiales reprennent
Aujourd’hui, le collectif Vavilov élargit ses prospections aux plantes alimentaires mondiales. Des expéditions sont menées à travers le globe afin d’en recueillir de nouvelles. Les pays présentant des amplitudes thermiques assez fortes, tels que le Kazakhstan, sont privilégiés dans ces explorations. Dans ce type de climat où la pluviométrie est faible, les plantes ont potentiellement pu s’adapter pour résister à la sécheresse.

Le choix des pays explorés repose également sur la notion de « centres d’origine » : il existerait un berceau d’origine des plantes où le pool génétique y serait le plus riche. Nikolaï Ivanovitch Vavilov fut le premier scientifique à en émettre l’hypothèse. Ainsi, choux, blés, céleris, laitues, lentilles ou encore olives consommés en France proviendraient principalement d’Europe de l’Est. Abricots, melons, oignons, prunes, seigles et raisins seraient originaires d’Asie (Figure 1).

Selon Stéphane Crozat, «  le berceau d’origine des principales espèces que nous mangeons en France provient essentiellement d’Europe de l’Est et d’Asie. C’est pourquoi nous orientons nos expéditions dans ces aires géographiques. Par ailleurs, il est également important de recueillir des variétés situées aux antipodes de leur berceau d’origine. En effet, dans des conditions pédoclimatiques aux extrêmes de leurs habitudes, les plantes sont plus susceptibles de développer de nouvelles caractéristiques. Ces nouvelles adaptations sont liées à l’expression des gènes récessifs. Près du berceau d’origine, ce sont les gènes dominants qui prennent le dessus sur les gènes récessifs  » (Crozat, 2022). Associer ces deux stratégies exploratoires permet de maximiser la diversité génétique collectionnée. Au XXIe siècle, Nicolaï Vavilov continue de nous éclairer.

AUX RACINES DU PROJET : L’INSTITUT VAVILOV DE SAINT-PÉTERSBOURG

L’Institut Vavilov : grenier d’abondance de la biodiversité cultivée
Fondé en 1894, le centre de recherches botaniques Vavilov conserve aujourd’hui plus de 360 000 variétés de végétaux. Un tiers des graines stockées sont introuvables ailleurs. Détenteur de ressources génétiques expatriées, l’Institut gère une collection dite ex situ. Il est remarquable dans son fonctionnement car il maintient une collection vivante : les plantes sont toujours semées, cultivées et étudiées, ce qui leur permet de continuer à évoluer dans leur environnement. Cultiver et essaimer les plantes en parallèle présente également l’avantage de les préserver. En effet, les centres de collection ex situ, même les plus sécurisés, ne sont pas à l’abri des vicissitudes du temps. Des guerres ou autres bouleversements peuvent endommager les échantillons. C’est pourquoi, établir des partenariats dans différentes localités permet d’atténuer les risques de destruction irrémédiable de variétés.

En 1921, Nicolaï Vavilov, scientifique russe, spécialisé en agronomie et en phytogénétique, est directeur du centre de botanique russe. Ce chercheur acquiert une notoriété mondiale en raison de ses expéditions à travers le globe. Il découvre des variétés de végétaux inconnus, les rapatrie, les collectionne et les cultive au sein de son Institut. Entre les années 1920 et 1940, il explore plus d’une soixantaine de pays, des États-Unis à l’Afghanistan, de la Chine à l’Éthiopie ou l’Amérique latine, en passant par la région AURA. L’histoire de ce centre botanique, aujourd’hui la quatrième banque de semences au monde et la plus ancienne, a été semée d’embûches. Ainsi, par exemple, Nicolaï Vavilov a été arrêté et emprisonné par le régime stalinien, qui le considérait comme traître à la nation. Aujourd’hui, la pérennité de l’existence de l’Institut est à nouveau incertaine, en raison notamment d’une absence de soutien du régime politique actuel.

Collectionner la biodiversité cultivée pour conserver tous les potentiels
De tout temps, l’humain a contribué à l’évolution des plantes. La domestication des plantes fait référence à la sélection et à la perpétuation au champ des végétaux d’intérêt, ainsi qu’à leur croisement. Il oriente cette technique selon ses besoins et sur la base des conditions pédoclimatiques. Dans ce dispositif, les plantes ne présentant pas d’intérêt sur le moment ne sont plus perpétuées au champ et disparaissent rapidement. De plus, les semences ont une capacité de germination restreinte dans le temps. Cette caractéristique a également un impact sur l’extinction des variétés. Or, il semble capital de conserver ce patrimoine génétique issu de la recombinaison de différents gènes et molécules ayant lieu au cours du temps, qui peut aujourd’hui nous permettre de faire face au défi climatique (voir plus loin).

C’est à partir du XIXe siècle que la communauté scientifique commence à conserver les graines dans des collections ex situ. Les précurseurs de ces dispositifs sont les botanistes et agronomes de la fin du XIXe siècle/début du XXe siècle. Ils explorent la planète pour mettre en collection une grande diversité de semences et de plantes dans des stations d’acclimatation (Brac de la Perrière, 2014). Les variétés sont ensuite introduites dans les systèmes agricoles.

Dans les années 1960, la communauté scientifique alerte sur la disparition des variétés locales. Cette érosion menace de limiter le stock de gènes disponibles pour créer de nouvelles variétés et retrouver des caractères de résistance (à la sécheresse, aux maladies, etc.). En conséquence, les banques de collection nationales se multiplient. Elles sont aujourd’hui plus de 1 750, conservant 90 % des échantillons de graines détenus dans le monde (Bolis, 2018).

LA BIODIVERSITÉ CULTIVÉE FACE À L’ENJEU CLIMATIQUE

L’adaptation : une des réponses du GIEC face au changement climatique
Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), paru en août 2021, confirme l’amplitude de l’évolution des températures depuis 1850 (IPCC, 2022). L’augmentation de la température ne se manifeste pas seulement au niveau des moyennes, mais également par la multiplication et l’intensification des vagues de chaleur dont les effets peuvent être dévastateurs pour les écosystèmes, l’agriculture ou la santé humaine (Huet, 2021).

L’adaptation fait partie des solutions proposées par le GIEC pour faire face à un réchauffement climatique aujourd’hui avéré. Le projet Vavilov s’inscrit pleinement dans cette voie de développement.

La biodiversité cultivée : une réponse d’adaptation au changement climatique
La FAO estime qu’environ 75 % de la diversité phytogénétique a disparu en un siècle dans le monde. Aujourd’hui, 75 % des aliments de la planète proviennent d’à peine douze espèces végétales. Si 250 000 à 300 000 espèces végétales comestibles sont connues, seules 150 à 200 sont exploitées. Le riz, le maïs et le blé produisent environ 60 % des calories et protéines végétales consommées par l’humain (FAO, 1999).

En France, c’est surtout à partir de la seconde guerre mondiale que le phénomène d’érosion de la biodiversité s’amplifie. La filière permettant de sélectionner et de produire des semences se professionnalise et s’institutionnalise. Elle tombe aux mains de quelques grands groupes semenciers. Le XXe siècle est également une période caractérisée par la modernisation agricole et la révolution verte. Dans ce contexte, les semences sont sélectionnées pour s’adapter à des systèmes agricoles fondés sur l’utilisation d’intrants chimiques, de produits phytosanitaires, et dans une finalité de rendement et de sélection d’attributs basés sur les attentes des consommateurs, qualité visuelle notamment, et sur celles des distributeurs, résistance aux chocs liés au transport par exemple.

L’érosion de la biodiversité cultivée fragilise les systèmes alimentaires. En cas de risques sanitaires ou climatiques, les dégâts provoqués risquent de prendre une plus grande ampleur. En effet, les plantes d’aujourd’hui possèdent un patrimoine génétique de plus en plus homogène. Si ce capital génétique présente une fragilité vis-à-vis d’un nouveau prédateur par exemple, les effets engendrés risquent d’être très importants, car la majorité des plantes n’aura pas les attributs pour y faire face.
Ce qui est « en jeu » dans la problématique climatique, c’est notre sécurité alimentaire. Le projet Vavilov lutte contre cette érosion en recherchant la biodiversité et en l’adaptant aux besoins des territoires. Ainsi, selon Stéphane Crozat, « en travaillant sur la reconquête de la richesse génétique et l’adaptation des plantes au changement climatique, ce programme de recherche [mené par le collectif Vavilov] tend à limiter les risques de pertes de récolte » (Crozat, 2022). Bien plus que réaliser un progrès technologique, le collectif Vavilov souhaite inscrire l’adaptation au changement climatique dans un projet plus vaste de transition des systèmes productifs.

LES STRATÉGIES DE CHANGEMENT D’ÉCHELLE : SCALING DEEP, OUT, UP

La recherche scientifique distingue trois méthodes pour changer d’échelle et opérer une transformation : le scaling deep, le scaling out et le scaling up. Concrètement, le changement d’échelle s’envisage en termes d’accroissement de l’ampleur, de la portée et de l’enracinement des innovations dans la société (Moore et al., 2015 ; Bricas et al., 2021).

Créer un changement profond dans la conscience des citoyens : scaling deep
Le projet Vavilov a aussi pour ambition de faire évoluer la conscience des citoyens concernant l’importance de maintenir la richesse de notre patrimoine végétal. Les jardins connectés portent cette aspiration car ils sont associés à une démarche pédagogique de sensibilisation du grand public. Espaces déployés à travers la France, ces jardins cultivent la biodiversité acquise par la station expérimentale lyonnaise et la conservent. Ils ont aussi pour objectif de générer un changement profond des valeurs culturelles et des croyances qui s’enracinent dans la population. Le scaling deep fait référence aux transformations des normes et des valeurs socioculturelles.

Ces jardins nécessitent la mise en place de partenariats locaux pour animer le projet pédagogique et le faire vivre. L’animation, essentielle pour que l’action éducative fonctionne, repose sur deux conditions : mettre en place une coopération avec des acteurs territoriaux et activer des leviers financiers pour pérenniser l’action.

Scaling out : dupliquer l’initiative via les jardins connectés ou des partenariats élargis
Les jardins connectés participent également à un processus de changement d’échelle qualifié de scaling out. Celui-ci correspond à l’augmentation du nombre de personnes ou de structures impactées par le projet. Un des principes de ce changement est « de penser global mais d’agir local » (Moore et al., 2015 ; Bricas et al., 2021). Dans le cadre des jardins connectés, le changement d’échelle s’illustre par la duplication de l’initiative dans d’autres territoires. Il pourrait également s’envisager sous l’angle d’une collaboration avec les acteurs semenciers alternatifs notamment détenteurs d’un vivier génétique végétal. En effet, si la communauté scientifique constate qu’il ne reste plus beaucoup de variétés anciennes sur le territoire rhodanien, peut-être que d’autres acteurs en ont conservé. Il pourrait être plus approprié, notamment sur le plan financier, de consacrer une part plus importante aux ressources génétiques françaises, ce qui permettrait de limiter les prospections mondiales et d’avoir plus de budget pour travailler sur d’autres axes de changement d’échelle, tels que l’implication des agriculteurs par exemple.

De façon plus générale, agriculteurs, paysans, gestionnaires de banques de gènes, chercheurs et une multitude d’acteurs agissent à leur échelle et depuis leur champ de discipline pour la sauvegarde de la diversité cultivée. Ces acteurs ont tout intérêt à collaborer et à se coordonner pour une gestion de la diversité cultivée plus en accord avec les enjeux sociaux et environnementaux (Louafi et al., 2019). Dans le cas du projet Vavilov, le défi majeur pour la création de partenariats réside dans le partage de valeurs communes et la confiance. Dans le contexte d’avenir incertain que connaît l’Institut russe, ce défi est d’autant plus important.

Le scaling up vavilovien : source d’inspiration des politiques
Le changement d’échelle d’un projet s’envisage sous le prisme des valeurs, du nombre d’acteurs ou des structures impactées. Un dernier changement d’échelle renforce ce dessein. Ce processus, dit de scaling up, correspond à l’institutionnalisation de l’initiative, se traduisant par une inscription dans des politiques publiques ou des réglementations (Moore et al., 2015 ; Bricas et al., 2021). Aujourd’hui, le collectif Vavilov porte cette ambition. Stéphane Crozat est vice-président du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS). Il plaide en faveur de la biodiversité cultivée auprès des ministères. Son objectif est de favoriser le développement du dispositif Vavilov en l’ancrant dans des politiques d’adaptation.

Le projet Vavilov élabore des stratégies de changement d’échelle pour concevoir un nouveau modèle adapté aux enjeux climatiques. Activer d’autres leviers permettrait d’enraciner l’adaptation végétale au sein des territoires et des filières.

PROJET VAVILOV ET DÉVELOPPEMENT AGRICOLE

Verrouillage sociotechnique des agriculteurs
Le XXe siècle a créé plusieurs niveaux de rupture dans la filière de production de semences : rupture au niveau des agriculteurs, qui pendant 15 000 ans ont été les artisans de la diversité génétique végétale, et rupture au niveau de la capacité des plantes à pouvoir évoluer en fonction des écosystèmes changeants. En effet, notre système agroindustriel conventionnel a orienté la sélection vers des variétés rapidement stériles. L’enjeu majeur aujourd’hui est de replacer les agriculteurs au cœur de ce processus et de créer des partenariats collaboratifs avec la recherche afin de faire renaître des variétés évolutives (Brac de la Perrière, 2014). Pour redonner une place centrale aux agriculteurs, il semblerait avant tout essentiel que ces acteurs redeviennent maîtres de l’évolution des plantes. Concrètement, cela signifie qu’ils se réapproprient les techniques de sélection végétale et qu’ils en assurent sa gestion globale. Selon Léa Bernard de l’association régionale pour le développement de l’emploi agricole et rural (ARDEAR), « notre organisme a l’ambition politique de porter le projet d’une agriculture autonome, tant sous l’angle décisionnel que technique » (Bernard, 2022). Plusieurs raisons expliquent ce positionnement. D’une part, les stations d’expérimentation sont des dispositifs très onéreux, tant au niveau du démarrage qu’en routine. Ce sont des centaines de milliers d’euros qui sont engagés pour le projet Vavilov. Ces centres sont donc peu reproductibles. De plus, le modèle économique du projet rhodanien repose sur des dons. Les dispositifs s’appuyant sur ces modèles économiques sont fragiles et d’existence incertaine sur le long terme. Enfin, beaucoup de moyens sont mis en œuvre pour étudier de nouvelles variétés, or, au final, ce ne sont que quelques végétaux qui sont sélectionnés. D’autre part, au cours du XXe siècle, une majorité des agriculteurs ont été contraints de s’engager dans le système institutionnel de production de semences. Les producteurs ont peu à peu cessé de sélectionner des variétés. Or, ce sont avant tout eux qui portent la fonction nourricière et donc l’avenir productif de notre alimentation. Il conviendrait par conséquent que ce soit ces acteurs qui portent la stratégie évolutive des plantes. Et qu’ils soient impliqués dans la gouvernance du dispositif expérimental lyonnais en décidant des choix de sélection, autant au niveau des variétés que de la conduite de l’itinéraire technique. Par exemple, les agriculteurs travaillant avec Léa Bernard estiment que le protocole expérimental devrait atténuer le désherbage pour être au plus près des réelles pratiques agricoles.

Enfin, l’adaptation n’a de sens que si des réajustements fréquents sont effectués ; réajustements nécessaires en raison de la diversité des conditions pédoclimatiques des territoires et des effets multiples du changement climatique sur ces différentes localités. Par conséquent et pour toutes ces raisons, il semble légitime que les agriculteurs redeviennent maîtres de la sélection variétale.

Le projet Vavilov œuvre dans ce sens au niveau du territoire lyonnais. Il anime des collectifs d’agriculteurs afin de les intégrer dans les dispositifs décisionnels du projet.

Les jardins connectés pourraient également avoir l’ambition de déployer une dynamique d’empowerment des producteurs au niveau des territoires français. Dans cette perspective, on donnerait davantage de puissance aux producteurs pour leur permettre de faire face à un problème écologique tel que le réchauffement climatique. Cette stratégie pourrait se matérialiser par la mise en place de partenariats entre les jardins connectés Vavilov et des organisations professionnelles agricoles impliquées dans la sélection évolutive des plantes, telles que les maisons de semences paysannes.

Verrouillage des filières agro-industrielles
Les systèmes de culture reposent majoritairement sur les filières industrielles. Le secteur de l’agroalimentaire transforme 70 % de la production agricole française (ANIA, 2020). Ces acteurs contractualisent des variétés avec les agriculteurs en raison notamment de nécessités technologiques. Ce maillon de la filière agroalimentaire est-il prêt à modifier cette exigence ? Le projet Vavilov semble s’attacher plutôt aux filières de produits bruts qui, pour le moment, restent toujours marginales.

CONCLUSION

Le pouvoir de la biodiversité
Nicolaï Vavilov et les acteurs à sa suite portent une vision moderne de la biodiversité. Bien plus qu’un simple compartiment touché par les externalités négatives de nos modes de vie contemporains, ils la placent au rang de driver d’un nouveau système alternatif (Boisvert et Thomas, 2015). Et ils ne sont pas les seuls. De nombreux autres scientifiques s’inspirent de ce courant de pensée pour leurs travaux. En redonnant une place centrale à la biodiversité, la recherche souhaite que celle-ci puisse ouvrir les portes d’une écologie de la réconciliation dans laquelle développement et conservation de la nature pourraient enfin se retrouver (Fleury et Prévot-Julliard, 2012). C’est sur la base de ces deux principes fondamentaux que se structure le projet Vavilov.

Utiliser la variété pure pour incrémenter un mélange variétal fermier
En sélectionnant des semences ayant des potentiels de résistance à la sécheresse par exemple, le projet Vavilov cherche à s’ajuster au climat actuel ou attendu ainsi qu’à ses conséquences. Cette stratégie d’adaptation n’est pas la seule. En effet, la complexité des effets climatiques conduit la profession agricole à expérimenter de nouvelles méthodes productives. Ainsi, Léa Bernard estime « qu’il est peut-être limitant de continuer à concevoir l’attribution d’une seule variété à une parcelle. En effet, un agriculteur peut observer des étés secs se répétant de nombreuses années et donc sélectionner des variétés plus résistantes à une faible pluviométrie. Puis, brutalement, ce seront un ou plusieurs étés pluvieux qui prendront le relais » (Bernard, 2022). Elle ajoute qu’« aucune variété, sélectionnée sur des critères d’adaptation climatique, ne pourra faire face à ces dérèglements météorologiques. Trop fréquents, ils engendrent des effets hétérogènes, que ce soit à l’échelle d’une ou de plusieurs années. C’est pourquoi le mélange variétal semble être une piste prometteuse, notamment pour la filière blé. Il consiste à développer une collection sur une exploitation agricole, pouvant aller de vingt à quatre-vingt-dix variétés. Une parcelle est ensemencée à partir d’une vingtaine de variétés issues de ces collections internes. Chaque année, ce mélange évolutif est enrichi par de nouvelles variétés et crée une diversité de la population de blé. Sur le plan productif, il n’y a pas de récoltes catastrophiques ou géniales. Ce procédé lisse le rendement. Ce que ces agriculteurs recherchent avant tout, c’est l’assurance d’un rendement moyen chaque année, autrement dit la sécurité ».

Selon elle, la stratégie du mélange fermier et l’approche variétale « pure » peuvent s’enrichir mutuellement : « En effet, l’approche puriste vavilovienne a un avantage indéniable. Elle permet aux agriculteurs d’incrémenter chaque année leur mélange fermier à partir de variétés dont les caractéristiques agronomiques sont parfaitement connues » (Bernard, 2022).

Ainsi, l’agriculture dispose de nombreuses ressources pour faire face au défi climatique. Il en existe certaines basées sur l’atténuation du risque et d’autres reposant sur un principe d’adaptation. Dans cette deuxième approche, il semble maintenant important d’explorer et d’expérimenter une nouvelle voie, celle du mélange variétal ; tout en continuant à étudier le comportement adaptatif de nouvelles variétés, issues de collectionneurs ex situ, de réseaux paysans ou plus largement de collections dites in situ, qu’ils soient situés en France ou dans le monde.

Auteure : Aurore RAVENEAU