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L’abattoir mobile : une réappropriation de l’étape d’abattage par les éleveurs 

Juliette Augerot

MOTS-CLÉS : ABATTOIR, ÉLEVEURS, PROTECTION ANIMALE, FILIÈRE TERRITORIALE

Depuis l’industrialisation de l’élevage, les éleveurs ont perdu la main sur l’étape d’abattage. Ils n’ont en effet pas d’autre choix que de confier leurs animaux à une filière sur laquelle ils n’ont aucun contrôle ni droit de regard. Dans les structures d’abattage industrielles, les employés souffrent d’un travail à la chaîne mené à une cadence élevée, les animaux sont stressés du fait de leur transport depuis la ferme et ne sont pas toujours correctement étourdis avant d’être tués, et enfin les éleveurs se sentent dépossédés de leur travail, qui implique une responsabilité vis-à-vis de ces animaux. À la suite d’actions menées depuis plusieurs années par le collectif « Quand l’abattoir vient à la ferme » et la Confédération paysanne, un décret autorisant l’expérimentation de l’abattoir mobile pour quatre ans a été promulgué le 15 avril 2019. Cette innovation,qui consiste à proposer un abattage des animaux à la ferme, vise à redonner aux éleveurs la possibilité de maîtriser l’intégralité du processus d’élevage et à renforcer la durabilité des systèmes d’élevage.

Nous détaillerons tout d’abord le contexte dans lequel cette innovation tente de se développer et les conséquences de l’abattage industriel. Nous préciserons ensuite le processus d’apparition de cette innovation, avant d’éclairer ses dimensions technique, sociale et organisationnelle. Enfin, la trajectoire de l’association « Abattage à la ferme Hérault » sera présentée, avant de conclure sur les obstacles et les leviers de l’abattage à la ferme.

UN CONTEXTE DE RÉDUCTION DU NOMBRE D’ABATTOIRS

L’élevage paysan de type extensif, qui pourrait répondre aux attentes croissantes des citoyens en termes de bien-être animal et d’écologie, semble freiné dans son essor par le manque d’outils d’abattage de proximité.

Chaque jour en France, environ trois millions d’animaux sont tués pour la consommation humaine dans seulement deux cent cinquante abattoirs. Le nombre d’abattoirs a été divisé par quatre depuis 1970, passant de mille deux cent cinquante à deux cent cinquante(Comité national d’éthique des abattoirs, 2019). Dans ce contexte, quelques groupes privés ont pris de l’importance et accéléré une concentration susceptible d’améliorer la rentabilité de ces abattoirs. Les tonnages annuels moyens montrent la domination actuelle de ces structures privées : 2 916 TEC (tonne équivalent-carcasse) dans le public et 17 266 TEC dans le privé pour l’année 2009(Comité national d’éthique des abattoirs, 2019).

On peut également observer une concentration géographique sur le territoire français, avec 70 % des abattages nationaux de porcins qui s’effectuent en Bretagne et 46 % des abattages nationaux de bovins qui s’effectuent dans le Grand Ouest (AFAAD, 2019). Cette inégale répartition géographique, qui s’explique par une concentration des activités d’élevage dans ces zones, prive certains départements,comme le Var et la Meurthe-et-Moselle, de la présence d’un abattoir. Et si l’Ille-et-Vilaine bénéficie d’au moins huit abattoirs, l’Hérault, l’Aude et beaucoup d’autres départements n’en comptent qu’un seul.

Les petits abattoirs de proximité ferment progressivement, car ils ne parviennent pas à soutenir la concurrence face aux structures industrielles. Ces dernières ont pu avoir recours à des stratégies d’acquisition puis de fermeture d’abattoirs de proximité, obligeant ainsi les éleveurs à envoyer leurs animaux dans les abattoirs industriels (Porcher, 2021). Les petits abattoirs de proximité qui pourraient mailler le territoire et éviter des temps trop longs de transport pour les animaux sont ainsi de plus en plus rares. Pour continuer leur activité, les éleveurs n’ont pas d’autre choix que d’envoyer leurs animaux dans des abattoirs parfois très éloignés de leur exploitation.

Le caractère intensif du mode de fonctionnement industriel qui vise une rentabilité financière à court terme avec une viande toujours moins chère (Deblois, 2016) cause alors de la souffrance aux animaux, aux éleveurs et aux travailleurs d’abattoirs.

UN MODÈLE D’ABATTAGE SOURCE DE SOUFFRANCES

Pour les animaux

Après la seconde guerre mondiale, les systèmes intensifiés sont devenus la norme dans la plupart des pays industrialisés pour répondre à une demande croissante de consommation de viande. Ce système d’élevage qui «  vise à augmenter le rendement en augmentant la densité d’animaux sur l’exploitation et en s’affranchissant du milieu environnant » (Pelluchon, 2017) questionne une partie des consommateurs et des acteurs de la filière. En effet, ce type d’élevage n’est pas compatible avec la définition du bien-être animal de la Farm Animal Welfare Council (FAWC), qui s’appuie sur cinq conditions (FAWC, 2019). Celles-ci comprennent des droits négatifs tels que ne pas souffrir de faim, de soif, de malnutrition, de stress physique ou thermique, de douleur, lésion ou maladie, de peur ; et des droits positifs, tels que la possibilité d’exprimer les comportements propres à son espèce. Le mode d’abattage, qui comprend des temps parfois longs de transport et des manipulations brutales, est la suite logique de l’industrialisation de l’élevage, « il existe une cohérence entre la production en masse des animaux et leur abattage en masse à l’abattoir » (Porcher, 2020).

Quitter la ferme, monter dans un camion, et débarquer dans des abattoirs bruyants et odorants à une cadence élevée imposée par le mode industriel est très traumatisant pour les animaux. De plus, il n’est pas rare que les étourdissements soient mal pratiqués et que les animaux arrivent conscients au moment de la saignée.

Les animaux issus de l’élevage paysan pourraient davantage souffrir du transport et du cadre industriel de l’abattoir, étant habitués au plein air et à des manipulations autres que celles subies par les animaux issus des productions industrielles (Deblois, 2016 ; Porcher, 2020).

Pour les éleveurs

Face à cette réalité, les éleveurs souffrent d’abandonner leurs animaux à cette filière. « Historiquement, l’abattage des animaux a été délégué de façon contrainte, ce n’est pas les éleveurs qui ont décidé de déléguer cela. […] Et donc cette délégation obligée a produit un détachement obligé et une espèce de culpabilisation et le sentiment d’abandonner leurs animaux  » (Porcher, 2021). Le fonctionnement de l’abattoir industriel est opaque pour les éleveurs,qui ont très peu de contacts avec les travailleurs, et le fait que ceux-ci « leur apparaissent clairement mal formés est source d’inquiétude » (Porcher, 2020). De plus, leur présence est interdite sur la chaîne d’abattage, ils ne savent donc absolument pas comment sont traités leurs animaux (Dublois, 2016). Enfin, au problème d’opacité s’ajoute un problème de traçabilité, car les éleveurs ne sont pas certains de récupérer la carcasse de leurs animaux.

Il résulte de cette situation un décalage entre un mode d’élevage respectueux de l’animal et un mode d’abattage industriel.Pour les éleveurs qui prennent soin de leurs animaux depuis leur naissance, le modèle de l’abattoir industriel pose un profond problème. « Le problème des éleveurs, c’est que leur pratique d’élevage en tant que paysan ne renvoie pas à ce type d’abattage. Du coup, il y avait un hiatus entre le fait d’élever respectueusement ses animaux et de les envoyer au bout du compte à l’abattoir ou ce respect disparaissait complètement » (Porcher, 2021).

Pour les travailleurs d’abattoirs

Du côté des employés d’abattoirs, les conditions de travail industriel les poussent à travailler sous contraintes et ils manquent ainsi de temps pour bien s’occuper de chaque animal. Les travailleurs souffrent des cadences élevées, des gestes répétitifs, du bruit, de la chaleur ou encore des odeurs (Comité national d’éthique des abattoirs, 2019). De plus, il n’existe pas de formation initiale requise pour les personnes travaillant dans les abattoirs. « L’industrialisation, la privatisation et la concentration des structures d’abattage et de transformation s’appuient en effet sur une standardisation des procédures, une forte taylorisation du travail et sur un objectif unique de rentabilité financière à court terme » (Porcher, 2005). Ainsi, pour les travailleurs des abattoirs, le sentiment de mal faire leur travail est générateur de souffrance.

Face à ces problèmes, des éleveurs ainsi que des acteurs de la recherche et de l’action syndicale, ont formé un collectif pour impulser une dynamique de réappropriation de l’abattage par les éleveurs.

L’ABATTOIR MOBILE : DE L’IDÉE AU DÉCRET

Le collectif « Quand l’abattoir vient à la ferme » s’est créé en 2015 pour proposer des alternatives à l’abattage industriel avec l’objectif premier d’éviter toute souffrance et tout stress aux animaux.

Ce collectif national, qui est devenu une association en 2018, réunit de nombreux acteurs de la protection animale, des consommateurs, des chercheurs et des éleveurs. Deux acteurs sont à l’origine du collectif : Jocelyne Porcher, sociologue à l’Inrae, qui travaille depuis 2005 sur le malaise des éleveurs et les souffrances des travailleurs dans les abattoirs, et Stéphane Dinard, un éleveur qui abattait déjà à la ferme de manière illégale. Cet éleveur revendiquait le fait d’abattre ses animaux à la ferme par la responsabilité morale qu’il a envers eux. Ensemble, ils ont rencontré les éleveurs pendant deux ans pour recueillir leurs plaintes et leurs revendications. Ces enquêtes ont permis de constater que la délégation contrainte de l’abattage existe depuis tellement longtemps que les éleveurs ne pensaient plus que le modèle pouvait changer, « il y avait un tel couvercle administratif sur l’abattage, les éleveurs avait tellement perdu la main là-dessus, que cette idée de pouvoir faire autrement n’était pas dans le paysage » (Porcher, 2021). La volonté des éleveurs d’accompagner les animaux de la naissance à la mort étant cependant toujours forte, l’idée d’un abattoir mobile apportée par Jocelyne Porcher et Stéphane Dinard a intéressé la plupart des éleveurs rencontrés. Des liens ont ainsi été créés avec ceux-ci pendant les enquêtes et le collectif s’est créé sous cette impulsion, avec l’idée que « pour changer les choses, il fallait changer la loi  » (Porcher, 2021). Jusqu’alors, la loi interdisait les abattages qui ne respectaient pas les règles de l’abattoir conventionnel, ce qui rendait donc impossible l’abattage mobile en raison de la complexité de ces règles. La direction générale de l’alimentation du ministère de l’Agriculture a fermement été opposée à l’émergence d’alternatives à l’abattage industriel. Les services vétérinaires disaient ne pas vouloir revenir à un « abattage archaïque » (Porcher, 2021). À cela s’ajoutent les stratégies mises en place par les structures industrielles,qui ne veulent pas perdre la main sur un domaine dans lequel elles ont été hégémoniques jusqu’à présent. Le système était ainsi fermé à toute initiative d’abattage alternatif. Il a fallu aux acteurs beaucoup de persuasion et d’actions menées à différents niveaux pour enfin aboutir à une issue et finalement inverser le rapport de force. C’est ainsi qu’au terme d’un long processus, la Confédération paysanne et l’association ont présenté un projet d’amendement dans le cadre de la loi Alim qui a abouti en 2019 à un décret autorisant l’expérimentation de l’abattoir mobile pendant une durée de quatre ans. Si à présent les enjeux sont locaux, l’association continue d’exister avec sa portée nationale pour accomplir un travail de liaison entre les structures d’information et de formation.

À mi-parcours du temps d’expérimentation autorisé par le décret, une vingtaine de projets d’abattoir mobile ont émergé sur le territoire. Les stades d’avancement des projets sont variés, d’un début de réflexion pour certains à l’acquisition de l’équipement pour d’autres.

L’ABATTOIR MOBILE : UNE INNOVATION TECHNIQUE, SOCIALE ET ORGANISATIONNELLE

L’abattage de l’animal comprend différentes étapes. À la suite de l’étourdissement, l’animal est saigné, c’est-à-dire vidé de son sang pour assurer la qualité sanitaire de la viande. À la suite de la saignée, la peau est séparée de la carcasse, c’est le dépouillage. Le cuir sera récupéré et traité. Les carcasses sont ensuite éviscérées et placées dans un local où d’énormes ventilateurs propulsent un air froid à environ 10 °C, c’est l’étape du ressuage. Pour des raisons sanitaires (risque de contamination bactériologique), il ne doit pas s’écouler plus d’une heure entre la saignée et le dépouillage.

Plusieurs types d’équipements

Plusieurs scénarios sont possibles selon les capacités financières et logistiques des éleveurs.

Le premier scénario (Figure 1) est le plus simple à mettre en place. L’animal est abattu dans un caisson, une structure légère et relativement peu coûteuse, mais qui ne permet pas de réaliser les étapes qui suivent l’abattage. Cela implique qu’il faut pouvoir se rendre dans un abattoir en une heure maximum pour la gestion de la carcasse. Cette option peut être très intéressante pour les quelques éleveurs qui bénéficient d’un abattoir de proximité et avec lequel ils entretiennent une bonne relation. Pour des raisons d’hygiène, il n’est en effet pas évident que l’abattoir accepte de s’occuper de la carcasse d’un animal qu’il n’a pas tué. Dans le cas où l’abattoir ne souhaite pas ce partenariat ou s’il n’existe pas d’abattoir à moins d’une heure du lieu d’abattage, une option peut être la construction d’une unité fixe pour la gestion des carcasses issues d’animaux abattus à la ferme.

Le deuxième scénario (Figure 2) consiste en l’utilisation d’un camion abattoir qui permet d’effectuer toutes les étapes de l’abattage. L’investissement est beaucoup plus élevé que pour les caissons mais ce camion a l’avantage de pouvoir s’adapter à de plus gros volumes et de circuler de ferme en ferme. Pour les exploitations auxquellesil serait compliqué d’accéder avec un camion, il peut être envisagé d’utiliser un caisson d’abattage qui rejoindra ensuite le camion abattoir stationné à moins d’une heure. Les avantages et inconvénients de chacun de ces scénarios sont présentés dans le tableau 1.

TABLEAU 1.

Un travail réapproprié et sauvegardé

Selon Jocelyne Porcher, les éleveurs sont depuis longtemps confrontés à une interdiction de mener à terme leur métier, c’est-à-dire d’être présents jusqu’à la mort des animaux. C’est pourtant une revendication forte de leur part. L’abattoir mobile va ainsi permettre aux éleveurs qui le souhaitent d’accompagner leurs animaux jusqu’au bout et de retrouver la satisfaction d’un travail bien accompli.
De plus, la pérennité de l’élevage dépend de l’abattage. S’il n’y a plus d’outils d’abattage, dans certaines régions les élevages sont susceptible de disparaître (Porcher, 2021). La réappropriation de l’étape de l’abattage par les éleveurs est ainsi une condition à la sauvegarde de l’élevage paysan.


Une nouvelle filière territoriale

Pour les petits abattoirs de proximité qui parviennent difficilement à faire face aux abattoirs industriels, des collaborations avec les éleveurs autour des abattoirs mobiles peuvent être une opportunité.« Plein de petits abattoirs sont sur le fil pour les questions de mises aux normes et plein ferment leur portes. Donc cela peut être un créneau pour eux, ce partenariat, pour leur survie plus que pour le développement de leur activité. Mais en même temps, cela oblige à des renouvellements et à des systèmes de pensée et des façons de fonctionner qui peuvent être trop compliqués pour une direction d’abattoir » (Porcher, 2021). Les travailleurs des abattoirs qui fonctionnent de manière industrielle effectuent des tâches répétitives, automatisées. Il n’est pas certain que ces travailleurs souhaitent réfléchir et s’engager davantage concernant la mort des animaux si les conditions de travail restent les mêmes. En revanche,dans les petits abattoirs cela peut être différent, il peut y avoir des travailleurs intéressés par un travail de qualité et une création de lien avec les éleveurs, car« chez les travailleurs d’abattoirs, plutôt despetits abattoirs municipaux, il y a, comme chez les éleveurs, l’idée de faire un travail de A à Z  » (Porcher, 2021). Les abattoirs pourraient ainsi être intégrés dans ce processus de requalification et reterritorialisation de la filière pour permettre non seulement la transparence depuis l’étape de la production jusqu’à celle de la transformation en passant par l’abattage, mais aussi d’améliorer la qualité du produit final.

Une nouvelle filière territoriale pourrait ainsi voir le jour, qui redonnerait la charge de l’abattage aux éleveurs, attribuerait de nouvelles compétences aux travailleurs d’abattoirs, et re-créerait du lien entre les acteurs de la filière. Cette filière territoriale permettrait également de répondre à des besoins économiques et sociaux en permettant de pallier la baisse du nombre d’abattoirs de proximité par le renforcement du maillage des outils d’abattage.

L’ASSOCIATION « ABATTAGE À LA FERME HÉRAULT » : HISTOIRE D’UN PROJET

Son organisation

L’association « Abattage à la ferme Hérault » est une dynamique territoriale formée par un groupe d’acteurs variés. La quinzaine d’éleveurs membres de l’association,tous engagés dans une démarche de vente directe, élèvent des ovins, bovins, caprins et porcins. Grâce à un sondage auprès de ces éleveurs, un élément important a émergé, à savoir la volonté de vouloir collaborer avec l’abattoir municipal de Pézenas avec lequel ils entretiennent de bonnes relations de travail. « Notre idée ce n’était pas de travailler contre eux mais plutôt avec eux car c’est un outil public et c’est important de travailler en concertation avec eux » (Gernez, 2021). L’association envisage de mettre en œuvre les deux scénarios présentés plus haut en deux temps (dès le printemps prochain pour le premier scénario et à l’horizon 2 à 3 ans pour le deuxième). Le protocole envisagé est d’étourdir l’animal à l’extérieur avec un matador (tige perforante), de le déplacer dans le caisson dans lequel sera réalisée la saignée, puis de transporter la carcasse dans le camion ou à l’abattoir selon le scénario. À la ferme du Gaec des Albaronsde Maxime Gernez, le caisson sera stationné à proximité d’un circuit, appelé système de contention, dans lequel les animaux auront été habitués à passer plusieurs fois avant le jour de l’abattage. « S’ils sont habitués plusieurs fois dans la semaine avant l’abattage à passer dans le système de contention, ils seront moins stressés que si c’est tout nouveau. C’est différent de l’abattoir où, quand ils arrivent, c’est la première fois qu’ils y sont et il y a du bruit, il y a pleins d’autres animaux, ils ne sont pas habitués… donc on va vraiment travailler sur l’habitude des animaux à passer dans le système avant la mise à mort pour diminuer les sources de stress » (Gernez, 2021).

Une phase d’expérimentation de deux mois va avoir lieu au printemps 2021, durant laquelle l’association AALVie en Loire-Atlantique va leur prêter un caisson d’abattage et l’abattoir de Pézenas va leur mettre à disposition deux salariés, pour réaliser les opérations de mise à mort dans les fermes et conduire le caisson jusqu’à l’abattoir. Les objectifs de cette phase d’expérimentation sont d’évaluer le modèle économique, de tester le partenariat entre les éleveurs et l’abattoir et d’expérimenter d’un point de vue pratique et sanitaire l’abattage à la ferme. Durant ces deux mois, entre chaque abattage, les éleveurs, l’abattoir et les services vétérinaires feront des retours d’expérience. L’Inrae accompagnera également l’expérimentation en menant des recherches sur la condition animale et sur la qualité de la viande, qui pourrait différer selon le mode d’abattage de l’animal, car une quantité moindre d’hormone de stress améliore le goût et la qualité de la viande (Bioactualités.ch, 2021).

Durant la phase d’expérimentation, la mise à mort sera réalisée par les deux salariés de l’abattoir de Pézenas, mais au-delà, l’association doit décider du mode de fonctionnement.

Ses intérêts

L’intérêt premier des éleveurs est de réduire la souffrance des animaux. « […] parce qu’actuellement, en tant qu’éleveur, on essaie d’offrir les meilleures conditions de vie à nos animaux et à partir du moment où on les charge dans la bétaillère et qu’on les décharge à l’abattoir, on perd complètement la main et la maîtrise sur cette étape-là, qui n’est en plus pas la plus agréable » (Gernez, 2021). De plus, ce projet va leur permettre de répondre à une demande de plus en plus soutenue de la part des consommateurs quant à l’amélioration des conditions de mise à mort de l’animal et de qualité de la viande. Ainsi, dans le cadre de la vente directe dans laquelle sont engagés les éleveurs de l’association, l’abattage mobile va permettre de valoriser leur production auprès des consommateurs.

Ses soutiens

L’association bénéficie de plusieurs soutiens. Les éleveurs sont accompagnés par Brigitte Nougarèdes et Sébastien Mouret de l’Inrae (UMR Innovation), dans le cadre du projet BatiAlim, ainsi que par la Confédération paysanne de l’Hérault. La confédération fédère toutes les initiatives d’abattage mobile sous forme d’une mail list qui permet la diffusion d’informations et organise des réunions téléphoniques mensuelles sur des points techniques et logistiques du montage d’un projet d’abattage mobile. Par ce biais, les éleveurs de l’association ont pu bénéficier d’une formation donnée par un ancien directeur d’abattoir, Jacques Alverhne, qui accompagne les initiatives de mise en place d’outils d’abattage alternatifs. La formation traitait des caissons et spécifiquement des derniers modèles existants. Ils ont également bénéficié d’un rappel de la réglementation et de conseils sur la convention qu’ils peuvent mettre en place avec l’abattoir de Pézenas. Par ailleurs, les éleveurs bénéficient d’un soutien de la Région Occitanie qui les aide à trouver des sources de financements.

CONCLUSION

L’abattage à la ferme apparaît ainsi comme une innovation pouvant susciter l’intérêt de nombreux acteurs, des éleveurs jusqu’aux consommateurs. Elle doit cependant relever un certain nombre de défis.

Des obstacles…

L’obstacle principal est le temps et l’énergie que le montage d’un projet d’abattoir mobile demande aux éleveurs. Les recherches de financement, les questions réglementaires, les points organisationnels sont autant d’étapes dans le montage de ces projets qui demandent un temps bénévole non négligeable. De plus, les éleveurs se heurtent souvent à des questions sans réponses par la nature même de l’innovation car, en France, personne n’abat encore à la ferme de manière régulière. De ce fait, les éleveurs passent beaucoup de temps à discuter avec les autorités sanitaires et la Confédération paysanne pour éclaircir de nombreux points techniques et réglementaires.

Par ailleurs, à un autre niveau, les éleveurs doivent répondre à une controverse qui pourrait être associée à cette innovation. Ils pourraient en effet être critiqués par des citoyens et des associations de protection animale sur le fait qu’ils souhaitent améliorer la condition des animaux lors d’une étape où il s’agit de les abattre : « On est très vigilants à comment on communique là-dessus et comment on va le faire car il y a quand même une partie de la population qui est opposée à l’élevage d’une manière générale et donc à la mise à mort des animaux, et donc il faut qu’on fasse le mieux possible les choses sur la communication pour ne pas braquer cette population-là » (Gernez, 2021).

Enfin, le système dans lequel s’inscrit cette innovation est largement dominé par les structures industrielles et la FNSEA qui les défend. « Il faut voir que ces acteurs ont la main sur tout, ils sont maîtres du jeu et en voient arriver d’autres qui les dérangent. Et plus largement, les productions animales n’ont pas intérêt, que ce soit en élevage ou en abattage, à laisser la place à des acteurs qui montrent qu’il y a des alternatives justement  » (Porcher, 2021). Ce que craignent les grands acteurs privés de l’abattage est que ce modèle alternatif prenne de l’ampleur et que cela ait un impact sur la filière entière de l’élevage. En effet, changer les modes d’abattage peut être appréhendé comme un levier pour changer le système d’élevage tout entier vers plus de durabilité, et, si c’est le souhait de Jocelyne Porcher, cette hypothèse inquiète les acteurs de ce qu’elle nomme les productions animales (Porcher, 2020). « La FNSEA est absolument contre les abattoirs mobiles : ce n’est pas parce que ça enlèvera du volume à Bigard qu’ils sont contre, c’est parce qu’ils savent que derrière il y a quelque chose qui pourrait se mettre en route » (Porcher, 2021). Il est important de préciser que l’abattoir mobile n’a pas vocation à remplacer l’abattoir conventionnel, c’est un mode d’abattage qui correspond à un mode d’élevage. Cependant, si, comme Jocelyne Porcher le pense, les modes d’élevage évoluent à la suite des modes d’abattage, alors davantage d’animaux pourront être concernés par cette innovation.

… et des leviers

Si l’abattoir mobile doit faire face à de nombreux obstacles, cette innovation bénéficie toutefois d’un contexte sociétal favorable du fait des préoccupations grandissantes des citoyens concernant les conditions de vie et de mort des animaux d’élevage. En outre, l’abattoir mobile va permettre d’impliquer le consommateur dans la mise à mort des animaux en assistant à l’abattage dans les fermes qui permettent l’accès. « C’est un bon moyen de re-responsabiliser les consommateurs par rapport à ce qu’ils mangent et de redonner du sens aux choses. […] Cela peut aider les consommateurs à mieux comprendre comment la vie et la mort s’articulent et donc du coup à devenir des soutiens durables de ces innovations, de ces systèmes d’élevage alternatifs » (Porcher, 2021).

Auteure : Juliette Augerot