SESSION 3 L’alimentation comme levier d’insertion sociale


Aujourd’hui, en France et dans le monde, de nombreuses personnes vivent toujours dans une situation de grande précarité, à la fois sociale et économique. En 2015 en France métropolitaine, 8 % de la population se situait en-dessous du seuil de pauvreté monétaire fixé à 50 % du revenu médian, soit 705 € mensuels pour une personne seule, et 14,2 % en-dessous du seuil de pauvreté monétaire fixé à 60 % du revenu médian, soit 1 015 € mensuels (Insee, 2017). Cette situation, qui concerne un nombre important de personnes partout dans le monde, est bien loin de se résumer à une question économique, de plus en plus de personnes étant « socialement exclues ».

L’exclusion a de multiples corollaires : mal-logement, dégradation des conditions d’accès aux soins, ou encore refus bancaire. Le terme d’exclusion sociale désigne d’après l’organisation internationale du travail « un état de pauvreté qui empêche les individus d’accéder aux conditions de vie qui leur permettraient à la fois de satisfaire leurs besoins essentiels (nourriture, éducation, santé, etc.) et de participer au développement de la société dans laquelle ils vivent » (Smelser et Baltes, 2001).

Certaines catégories sont plus vulnérables et se retrouvent plus fréquemment concernées par l’exclusion sociale, les facteurs favorisant celles-ci étant notamment : le sexe (femmes, mères célibataires), l’âge (jeunes d’une part, seniors d’autre part), la présence d’un handicap, la catégorie socioéconomique, ou encore la localisation géographique.

Face à ces constats, une société plus inclusive, c’est-à-dire qui « s’adapte aux différences de la personne, va au-devant de ses besoins afin de lui donner toutes les chances de réussite dans la vie » (Hadège, 2011) semble nécessaire.

L’insertion des personnes en situation d’exclusion peut être favorisée et encouragée par une variété de mesures et de dispositifs, comme l’insertion par l’activité économique (chantiers et entreprises d’insertion), l’accompagnement des personnes en situation de handicap vers le retour à l’emploi (ESAT ou entreprises adaptées), ou encore l’accompagnement vers des formations professionnalisantes. Quelle que soit la forme prise par ces dispositifs, la construction du pro-jet de vie à travers le travail apparaît être le grand intégrateur : le projet Food2rue en France et le programme AFOP au Cameroun décryptés dans ce chapitre en sont l’illustration.

En voici quelques mots :
→ Food2Rue est une association parisienne qui a souhaité permettre à des femmes éloignées de l’emploi de se réinsérer professionnellement et socialement, grâce à un dispositif d’insertion adapté à leurs contraintes. Avec un chantier d’insertion et une coopérative d’activité et d’emploi sur le secteur de la cuisine de rue, Food2rue œuvre pour que les femmes deviennent actrices de leur réinsertion.
→ AFOP est un programme camerounais de formation-insertion pour les jeunes dans l’agriculture : son approche co-construite engage les acteurs territoriaux et le gouvernement à mettre en place un dispositif durable, apte à installer des jeunes producteurs capables d’agir dans la réalité complexe de la gestion quotidienne de leur activité agricole. Le jeune exploitant augmente l’attractivité du métier agricole, de par son inclusion sociale au sein du territoire.

Par ailleurs, l’insertion ne se traduit pas uniquement par l’emploi : certains individus sont dans l’incapacité d’occuper un emploi classique. L’insertion prend alors une autre forme, en permettant de rendre visible une catégorie de personnes vis-à-vis du reste de la population par le biais de son activité, comme l’illustre le pro-jet « les jardins du Mas », présenté dans ce chapitre. Celui-ci est un projet d’implantation d’une exploitation maraîchère biologique au sein d’un foyer de vie de personnes en situation de handicap mental, mis en place par l’association Agapei 13. Il a pour buts de développer une activité remobilisante pour les résidents, de permettre à une jeune maraîchère de s’installer plus facilement, en bénéficiant d’un débouché stable, et d’approvisionner la cantine de l’établissement.

Tous ces projets s’inscrivent dans le domaine de l’alimentation. Les filières agroalimentaires et le système alimentaire dans son ensemble représentent un enjeu important pour l’insertion et l’inclusion de personnes caractérisées par différentes formes de vulnérabilité. En effet, les filières agroalimentaires, par leur poids économique, représentent un gisement d’emplois très important. Avec sept cent vingt mille emplois en France, les filières agricoles et alimentaires, et principalement leur secteur industriel, représentent le deuxième employeur national (Fondation Daniel et Nina Carasso, 2017). De plus, par leur structure atomisée et leur maillage très serré sur l’ensemble du territoire, les acteurs économiques agricoles et alimentaires constituent des leviers pertinents pour répondre à des problématiques économiques locales. Même constat au Cameroun, où les métiers agricoles, même si pour la plupart informels et vulnérables à cause de revenus faibles et du manque de services d’appui, contribuent de façon significative à l’économie nationale et à l’état de sécurité alimentaire du pays.

Le secteur de l’alimentation durable est d’autant plus porteur qu’il correspond à une demande sociétale émergente. Son essor présente de multiples opportunités d’emploi ou de création d’activité, à tous les niveaux du système alimentaire, aussi bien en milieu urbain que rural. Ainsi, le Réseau Cocagne relie depuis plus de vingt ans insertion par l’emploi et agriculture durable. Pauline Chatin a rejoint ce réseau avec la création des Vignes de Cocagne, première exploitation viticole biologique à but d’insertion. Invitée à introduire la thématique de l’insertion lors de la Jipad 2018, elle évoque des leviers qui restent selon elle à mieux activer : des politiques permet-tant de renforcer le potentiel des filières agricoles en matière d’insertion, des solutions qui puissent inclure une plus grande diversité de citoyens en situation d’exclusion, par exemple les personnes handicapées, des formes d’insertion qui génèrent un impact positif en terme d’inclusion dans un territoire obtenu grâce à la réinsertion. Les trois innovations présentées dans ce chapitre interrogent également ces leviers et les défis auxquels ils répondent.

Estelle Jacq, Lucas Le Gall, Andrea Limiroli

Estelle Jacq

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Andrea Limiroli

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Lucas Le Gall

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